lundi 3 avril 2023

"Mon absente": si les morts avaient des dents, du mordant. Pascal Rambert croque- mort du verbe à la présence fragile.

 


L’auteur et metteur en scène Pascal Rambert écrit spécialement pour les six actrices et cinq acteurs qu’il réunit ici sur scène. Mon absente est une pièce chorale, où des personnages sont rassemblés par la perte d’un être cher. Dans un espace plongé dans le noir, aux limites indistinctes, surgissent des corps, des mots. Onze personnes sont là pour s’adresser à l’absente. Quels liens existent, à la fois entre elles et avec cette absente ? Au travers de leurs souvenirs, des paroles échangées, de l’évocation de moments poignants ou infimes, une vie se recompose. Dans ce travail de mémoire, où jaillissent des contradictions, des interprétations et réécritures, se dessinent aussi les portraits des êtres en présence. Le souvenir est vivant et agissant, force de projection.

250 m2 boulevard Haussmann 

Un appartement partagé par une "famille" hétéroclite, hétérogène autour de la figure de la mère: l'absente qui sommeille à l'intérieur du cercueil, sur la scène, monté sur une estrade, reflété dans une lumière noire. Reflets qui scintillent, glacés, glissants : des fleurs en hommage à la défunte et une image paréidolique: comme une bouche ouverte qui avalerait les paroles de ces onze personnages qui vont hanter cette chambre froide. Avant la crémation de cette femme, ivre d'alcool ou de vie qui fédère ce jour ou cette nuit là, les membres disloqués ou disparates d'une "collectivité" de circonstances. Vont se succéder à la "tribune" des coupables ou responsables, onze figures aux attitudes diversifiées autant par l'allure que le ton ou le verbe. Acerbe et vociférant pour certains dont l'existence doit tant à une mère, plus lointain et distancé pour d'autres qui font figure d'environnement choisi. Filles et fils se trouvent "unis" , réunis pour cette circonstance et vont fustiger les uns les autres dans des aveux, paroles et révélations qui s'adressent autant aux uns et aux autres qu'à la défunte. De cet appartement d'apparat, vide pour pauvres créatures, on se souvient comme un tombeau avec angoisse et émotion. Une surface de réparation audacieuse que Pascal Rambert, auteur de cette odyssée de l'espèce rend opérant pour les mémoires qui s'y frottent. Chacun y va de sa diatribe, seul ou s'adressant à un autre: monologues ou duo à l'appui.  Claude Duparfait en fils démembré, disloqué y fait un numéro singulier, vif, bougeant de toute part pour incarner son désarroi, sa colère tonale vivifiante dans cette ambiance plombée par les souvenirs et impressions de chacun.

 


Vincent Dissez en robe verte de satin de soie se dévêtit somptueusement pour danser chaque instant de vie dédié à sa mère: belle prestation érotique, sensuelle aux mouvements dansés fluides et élastiques très maitrisés. Nu et cru dans un corps plastiquement irréprochable, souple, ondulant à l'envi dans des reptations évocatrices , très faune désirable. Il fait sa Kate Bush à la Pina Bausch....Une danse chère à Pascal Rambert qui sait faire bouger les corps émouvants dans des e-motions recherchées. Se mouvoir, dire et phonier de concert n'est pas chose aisée. Stanislas Nordey méconnaissable en fils rangé, tout de noir vêtu, claudicant et attendant sa mort prochaine avec grâce et tac mesuré. 


Audrey Bonnet, au jeu sobre et discrète fille de cette famille nombreuse à rejoindre la défunte autour du souvenir, de la parole, du verbe cadencé de l'auteur. La mise en scène au creux d'un dispositif enveloppant, sécurisant malgré la froideur de la lumière braquée sur le cercueil. Juste le temps d'imaginer l'allure de cette défunte si convoitée, haïe ou dénoncée par son destin chaotique sans foi ni loi. Tous les autres comédiens au diapason de cet opus singulier et sidérant. Ces enfants du BD Haussmann, errant, défaits dans un univers fracassé, cabossé par la douleur ou l'amour.L'absente bien présente dans les corps et les esprits tracassés, castrés ou hantés par cette légende familiale omniprésente. Mère et mordenseur au poing.Un clin d'oeil à Jan Fabre et sa " Preparatio Mortis: chronique d'un dernier orgasme floral" ?


Pascal Rambert crée ou recrée ses pièces partout dans le monde, tant en Europe qu’en Asie, aux États-Unis et en Afrique. Il est auteur associé au TNS depuis 2015 et y a présenté Clôture de l’amour et Répétition en 2015, Actrice en 2018, Architecture en 2019, Deux amis en 2021 ainsi que Mont Vérité en 2022 – spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 44 de l’École du TNS.

 

Au TNS jusqu'au 6 AVRIL

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