Bonjour Madame.
Vous êtes morte.
Bienvenue dans la mort.
Comme point de départ de cette création, il y a la mise en scène d’un espace qu’on peut en vain imaginer : l’au-delà.Intimement, ce moment, qu’on pourrait appeler spectacle, est une tentative échouée d’échapper à la mort. Intimement,
ce moment, qu’on pourrait appeler spectacle, est une prière collective,
une méditation, une tentative hautement spirituelle et sceptique.
Au Service de la perdition et du beau temps, on peut jouer et écouter son silence.
C’est redondant, extrêmement ennuyeux, extravagant, absurde, dithyrambique, finement choisi et millimétré. Mais vous savez, Au Service de la perdition et du beau temps, Le langage n’est pas fait pour se comprendre.
Saint Guillaume, un temple peu orthodoxe se prête au jeu de l’accueil d'une pièce de théâtre inédite, tout droit sortir de la langue fantasque d'Aurélie Debuire. Une vasque immense, une nef en coquille de bateau réduite pour l'occasion en un boudoir rougeoyant, tapis rond et rideau plissé rouges, lampadaire design appuyé sur un socle. Dans cette atmosphère sulfureuse, opaque, brouillard garanti, on distingue à peine une sorte de statuaire immobile, pétrifiée. Quatre corps tétanisés par la mort..? L'un s'éveille, se dresse, vêtu d'une tunique longue, apprêtée à la taille, gonflée de manches et d'épaulettes en forme de crête de coq. Baroque créature curieuse. Une seconde peau diabolique pour ce messie qui fera la pluie et le beau temps, la météo de la mort lente ou subite des trois autres personnages.L'un, chevelure luxuriante, visage trempé d'inquiétude et deux autres femmes ou êtres androgynes. Alice, dite Marthe, morte et ressuscitée le temps d'être maintenue en vie par des battements de coeur improbables. Apolline Taillieu, belle dans sa jupe-tutu, sanguinolente, peinte sur tissus comme une toile sans cadre ni armature. Les costumes sont aussi absurdes que le texte qui sourd des lèvres de cet officiant diabolique, clef de voute d'une architecture scénographique spirituelle en diable. Les masques trompent l'oeil et induisent les perspectives sculpturales des corps en leurre corporels et organiques dignes d'une commedia dell'arte povera! Et plis selon plis en osmose avec les pans de tissus rouge sang, les costumes se fondent dans une vie sous les plis baroques de Deleuze.
Une apparition de derrière le dispositif rouge du rideau de fond fait de notre anti héros un évêque digne de Francis Bacon et tout ce meut ici en gestes hallucinés, grandiloquents sans être ni caricaturaux, ni redondants. Les chutes des corps façonnées par un savoir être corporel digne de danseurs.Un proscénium de marches se renverse pour mieux accueillir ces situations absurdes et grotesques. Nous sommes au théâtre , rituel quasi carnavalesque, au sein de l'église . La dévotion des personnages face à cette mort omniprésente est combat, lutte féroce et belle. Pas de pathos mais une dure réalité où de battre mon coeur ne cesse.Prophétie, sermon salvateur, texte ingénieux et toujours surprenant, l'opus vagabonde dans cette acoustique naturelle de cathédrale qui réverbère le son à l'envi. Paroles et cris sublimés par l"écho et le retour naturel du texte énoncé.
Némo Schiffman, le secrétaire, le Grand D en forme surprenante, texte majeur émanant de tout son corps, son regard, ses postures et attitudes poignantes. Son silence, ses mouvements tétaniques, interrompus pour mieux incarner une sorte d'Ubu Roi surréaliste.Belle performance d'acteur, visage de furet aux aguets , magnétisme empreint de malice, versatilité et autres facéties très convaincantes. Un "artiste" assurément.Dans sa longue toge, prêtre et bonimenteur pour blasphème œcuménique savoureux...Un moment de théâtre rare et insolite qui donne la mesure du talent d'auteure et metteuse en scène de Aurélie Debuire accompagnée de la scénographie intuitive de Salomé Vandendriessche et des comédiens fort affirmés tel Thomas Lelo, Blanche Plagnol, Apolline Taillieu. Le tout haussé par une ambiance sonore signée Mathis Berezoutzky-Brimeur, épousant l'acoustique du lieu de manière judicieuse: ambiance glauque ou solaire des sons environnants, créant une vasque sonore en ricochet comme ces corps qui se lovent et répondent en écho à l'absurdité de ce monde de science friction étonnant, détonant. Chacun quitte le plateau sur le chemin de la mort en direction d'en néant bien tentant et attractif.Le coeur et l'amour sous le bras pour mieux caresser en embrasser la camarde. Au service de la perdition et du beau temps, la météo est bonne!
[Mise en scène - écriture] Aurélie Debuire
[Collaboration artistique - dramaturgie] Thomas Lelo
[Scénographie - costumes] Salomé Vandendriessche
[Créateur lumière et sonore] Mathis Berezoutzky-Brimeur
Avec
Thomas Lelo - Âme 2019, Cœur 2019, Cerveau 2019
Blanche Plagnol - 3.290.114, Cœur 3.290.114, Cerveau 3.290.114, Peau Lisse
Nemo Schiffman - Secrétaire, Grand D
Apolline Taillieu - Alice, Marthe, Cœur Alice, Cerveau Alice