mercredi 3 décembre 2025

Koen Augustijnen & Rosalba Torres Guerrero Siamese Cie: "Amours aveugles": le lyrisme de la danse

 


Amours Aveugles

Dans Amours Aveugles, Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero revisitent deux chefs-d’œuvre de Monteverdi : Orfeo (1607), où le poète perd Eurydice pour toujours aux enfers, et Il Combattimento di Tancredi e Clorinda (1624), où deux amants s’entretuent sans se reconnaître. Ces récits d’amours impossibles et tragiques, traversés de passions contradictoires, deviennent matière à une danse intense et bouleversée. Trois couples se partagent la scène : deux danseur·se·s, deux accordéonistes et un duo lyrique. La musique baroque y est interprétée exclusivement à l’accordéon, un choix inattendu et audacieux. Instrument populaire par excellence, l’accordéon imprime aux œuvres savantes une sensualité nouvelle, entre bal, tango et lyrisme. Cette réinvention musicale ouvre un espace vibrant où le tragique s’enracine dans le désir, où les corps, guidés par leur pulsion vitale, se contournent et se heurtent. Une manière de rendre Monteverdi profondément contemporain, charnel et accessible.

A colin- maillard, Amours Aveugles déambule, divague à loisir sur la carte du tendre en sillon, méandres et labyrinthes musicaux."Ottone, Ottone" de Anne Teresa de Keersmaeker revisitait "le couronnement de Poppée" de Monteverdi avec délicatesse, brio et élégance. Ici Koen Augustijnen brusque la donne en mêlant danse, chant et accordéons pour le plus bel ensemble de musique de chambre minimal et unique en son gente. Avec le mythe de Tancrède et Clorinde, il fait se confronter le lyrisme de la voix, de l'accordéon et des corps dansant avec lucidité et virtuosité. Le couple de danseurs s'y affronte de front avec une vélocité, une allure sidérante, ourlée d'instants de grâce fluide et très sensuelle. Duo, duel de l'un à l'autre, félin pour l'autre dans des divagations spatiales mesurées et pointées comme le chant lyrique qui soutient et accompagne leurs ébats. Mouvements chaloupés, autant que retenus dans les épaules pour les évolutions de Nicolas Manzoni, fulgurant Tancrède, incarné, vivant, habité par une fougue sans égal.Elle, virtuose de la fluidité, de la sensualité, déborde de lyrisme et de musicalité gestuelle. C'est Meritxell Checa, divine Clorinde qui s'impose dans cette lutte des corps, ces repoussées ou cette attirance irrévocable de l'un à l'autre. Dans un costume qui dévoile ses épaules nues à la sculpture idéale, elle va et vient, fébrile, haletante, aux aguets de la moindre étincelle de danse de son partenaire. Alors que les deux accordéonistes, Philippe Thuriot et Gwen Cresens se partagent l'univers musical de leur souffle inouï et novateur. Les voix des partenaires chanteurs se fondent littéralement dans le mouvement, rythmant et colorant la danse dans des atours baroques très assurés. Liesbeth Devos, soprano au timbre profond et gouteux dialogue avec la danseuse jusqu'à être son miroir et esquisse des gestes dansés fort appropriés à la quête du personnage; est-ce son double, son mentor, sa muse ou sa déesse Echo, on s'imagine une époque intemporelle à travers leurs interprétations respectives. Matthew Long tient la scène de sa voix chaleureuse à la tessiture vagabonde et sa présence très charnelle. Un texte traduit les paroles de l'opéra pour nous guider dans la compréhension du livret. Pas de paraphrase ni de mimétisme dans la chorégraphie qui part vers d'autres allusions. Les costumes, tunique noire pour Tancrède le chevalier amoureux fou, longue robe de plumes et de poils au bustien béant pour Clorinde.

Deuxième tableau de la soirée avec Orphée, oeuvre passée au crible de toutes les influences jusqu'au flamenco tonitruant et fougueux de la danseuse, accompagnée par les gestes arrondis, précise et très toniques du danseur. C'est un régal de joie et de passion riante, contagieuse sur le plateau et la robe noire plissée fendue de rouge est source d'une plasticité féroce. Toute la verve de la danse est sur le plateau nu comme une évidence lyrique sans égal et les corps deviennent passeurs de musique, vecteurs de fluidité inégalé. Koen Augustijnen se révèle ici grand lecteur de Monteverdi, plein d'audace et de culot face à une oeuvre mythique. "Étonnez moi ", toujours au seuil de l'inconnu de l'écriture chorégraphique ici source de bonheur et de musicalité incarnée.

A Pole Sud les 3 et 4 Décembre 

et l'exposition "parterre" en sus!

L’origine de projet photographique porté par le danseur et chorégraphe flamand Koen Augustijnen, se retrouve dans un bar de Bruxelles. Un moment d’impatience et une forte habitude acquise depuis ses débuts aux ballets C de la B. de ne pas craindre se jeter au sol entraînent, un jour, Koen à se coucher parterre de manière inattendue. De cette première expérience, le danseur engage peu à peu une sorte de rituel qu’il transporte dans différents lieux au cours de ses voyages. Il s’allonge ainsi sans but, face contre sol, dans des endroits improbables ou désignés et cette salutation têtue à la terre prend les allures d’une rébellion pacifique, une résistance calme qui avoue son impuissance. A la violence du monde, Koen répond par ce temps d’inertie qui convoque l’étrangeté de la différence, l’audace du non faire dans le mouvement perpétuel du monde. La position rappelle les corps immobilisés au sol dans les violences policières tout comme il peut évoquer la posture finale du danseur dans
« L’après-midi d’un faune ». Ce corps couché dans le bruissement du monde inquiète autant qu’il provoque par son étrangeté.
Cette posture intime rendue publique bouleverse l’ordre ambiant et nous interpelle sur la force d’un corps simplement exposé. Il peut se fondre dans des escaliers, sembler rejeté par la mer sur une plage, honorer humblement le Mont Michel comme les pèlerins savent le faire en se pliant tout entier devant le Christ, chacun y trouvera une interprétation plausible en fonction du cadre.
Ce corps non dansant souligne, dans son immobilité, la beauté d’un paysage ou d’un lieu et en requalifie tout le relief. Il nous invite à un temps d’arrêt, un ralentissement salvateur dans notre course.
 

 


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