dimanche 8 octobre 2017

"Orfeo/ Je suis mort en Arcadie": Le nectar des abeilles, l'hydromel et la gelée royale.Happy poncture!


Un spectacle haut en couleurs pour clore l'édition du festival Musica à la Cité de la Musique et de la Danse
L’un a inventé l’opéra; les autres le réinventent – et à partir de lui. Lui, c’est Claudio Monteverdi, auteur en 1607 d’Orfeo, premier opéra de l’histoire de la musique dont la partition nous soit parvenue. Eux, ce sont les metteurs en scène Samuel Achache et Jeanne Candel qui, avec le chef Florent Hubert et l’incandescente troupe musicalo-théâtrale de La vie brève, ont fait de cet Orfeo le matériau de leur nouveau spectacle – comme ces réjouissants experts en détournement du répertoire lyrique avaient déjà pu le faire en 2013 avec Le Crocodile trompeur / Didon et Énée, d’après Henry Purcell.

Happy poncture!
Du bel ouvrage déjanté pour cette relecture d'un mythe sensible et très proche de nos humaines et humbles conditions
Un décor de ruches, de serre, un lit, couche qui fera écrin à la "Maman" et ses nombreuses progénitures, toutes plus burlesques les unes que les autres!
Menée tambour battant, alternant jeu théâtral et pièces musicales baroques ou contemporaines, cet objet spectacle non identifiable fait mouche et l'on compatit en grande empathie avec ce petit peuple agité de bonnes ou mauvaises intention.Gestes, postures, attitudes très soignées et travaillées pour une chorégraphie, des empoignades, étreintes et autres physicalités très pertinentes.
La mise en scène de ces êtres décalés en proie à la fatalité qui se débattent désespérément, est efficace et opérante.
Les passages et glissements d'une époque à l'autre, la narration abondante mais jamais indigeste, enchantent. Amour dansant son rôle de toute son envergure et ses talents de comédien-danseur baroque à souhait -Léo Antonin Lutinier- et Alain, Olivier Laisney sont désopilants, décapants. On s"amuse à cet "Orfeo", transposition d'un mythe bien vivant et générateur de tableaux, d'icônes scéniques très belles: scène du mariage en blanc, avec des tenues d'apiculteurs voilés, chasseurs et dompteurs d'abeilles, héroïnes de l'histoire
Elles butinent, s'affairent et pollinisent l'oeuvre, elles extraient gelée royale, bâtissent de cire et de propolis, les cadres des hausses et leur ambroisie n'est autre que l'hydromel, nectar des dieux!
Ce rucher agité de larves, reines, bâtisseuses, ventileuses et autres ouvrières, mettra hors de la ruche tous les bourdons inutiles et Orféo de déserter la crèche pour aller voir ailleurs...
Une histoire de famille qui n'est pas un long fleuve tranquille, mais une épopée picaresque , perle baroque ou de culture: au choix ! 

Quatuor Tana et Neue Vocalsolisten à Musica:"Delocazione": le bal des ectoplasmes


Un concert à Sainte Aurélie, ça fait déjà rêver alors l'immersion dans ce "Delocazione" de Raphael Cendo va se révéler un véritable bain d'étrangeté, un voyage désincarné sur une planète onirique et tentaculaire...
De même qu’un quatuor à cordes est composé de trois instruments différents (le violon, l’alto, le violoncelle), trois lettres suffisent à écrire un mot de quatre, «Tan». Aussi est-ce à l’unisson que les membres du Quatuor Tana mettent leurs sidérantes énergies au service de la musique d’aujourd’hui. Dédicataire de Substances. Quatuor à cordes n°2 (2013) de Raphaël Cendo, c’est aux côtés des aventureux Neue Vocalsolisten qu’ils créent ce que Cendo identifie comme son Quatuor n°3 – une pièce d’une heure dix pour quatuor à cordes et quatuor vocal. 

Des souffles, expirations, râles, ténus dans le silence et le recueillement entament l'opus: immersion des voix dans l'espace, telle des flèches sagittales qui traversent à toute vitesse. Ça fuse en petites touches affûtées, cinglantes, brèves et vives. L'atmosphère est campée.Des sonorités nocturnes évoquant des grillons, des onomatopées incisives, intrusives pour peaufiner le tableau. Vivant, entre les failles des espaces sonores, se glissent en cachette quelques spectres, ectoplasmes, qui surgissent, s’immiscent dans les interstices des sons des violons.
Peur, inquiétude, malaise à la clef. Les voix étouffent dans ce suspens, suspension des tensions sonores engendrées ^par l'ensemble des sources sonores.
 Un film d'horreur, un bal de vampires, des ombres portées fantastiques s'y dessinent, comme dans une grotte ou caverne où sous les voûtes, gémissent des êtres en souffrance, des absents, des esprits...Une agitation fébrile s'empare des violons, très physique, étrange; les voix de femmes dérangent et génèrent peu à peu la panique chez les hommes.Sorcellerie de pythies et autres oracles de voyantes, étranglements des voix englouties, déglutissant, éructant le son: on égorge, on strangule dans une atmosphère morbide et lugubre. Des zombies peuplent cette maison hantée, des morts vivants mènent le bal, danse macabre distinguée et légère dans ces derniers souffles de vie.
Cette oeuvre, très organique, sensuelle, sensible, émeut, fait tressaillir et trembler...de peur ou de curiosité.Les enfers résonnent des voix des condamnés, damnés: halètements, poussières et fumées se livrent dans des récitatifs, vécus comme des ombres mortes dans des villes invisibles.Disparition de ces "revenants" éternels sujets de la pièce; c'est très esthétique "butoh", théâtre de la cruauté, Arte Povera musical digne des univers de cendres et de poussière de ParmigGiani: on se retrouve dans la bibliothèque incendiée du Musée Fabre de Montpellier ou au Castel Rivoli, entre ruines et désaffection.Esprits des lieux en action sur du polystyrène gratté par des archets, nouveaux corps de violons recyclés.Pour générer des sons âpres, bruts, abruptes, cinglants, acérés.



La matière interroge Raphael Cendo avec amertume dans des fragrances musicales , sons caverneux, psalmodies graves de sumo japonais, agonie et agitation ultimes des voix à travers des corps morts-vivants.Des murmures en catimini bordent cet univers fantastique, tels des oiseaux de nuit qui effraient et glacent le sang .Inouïe, incroyable bande son d'un film d'épouvante expressionniste. Angoissant paysage sonore qui dérange, comme dans une lente agonie inéluctable, irréversible, irrévocable sanction des Frankenstein ou Dracula, rôdant dans cette maison hantée.Des sons étranglés finissent par occire la pièce.
L'oracle peut se réaliser et ce sera de bonne augure pour cette oeuvre servie avec un sens de la théâtralité dépouillée, Arte Povera de la musique d'aujourd'hui: un nouveau "genre" est né, forme hybride, entre rêve et réalité, légende et réalisme.Banquet pour Rilke, Didi Huberman et Parmiggiani, réunis et ici convoqués pour le meilleur des repas de fantômes!

Percustra "atelier-concert": les technologies nouvelles percutent!


Un atelier-concert fabriqué dans le  quartier de Hautepierre qui a été conçu et aménagé entre 1967 et 1984 : c’est là que, depuis plus de trente ans, sont implantés les Percussions de Strasbourg. Et l’ensemble a beau avoir réalisé plus de 1600 concerts dans 170 pays, c’est à Hautepierre qu’il a développé son projet d’action culturelle le plus ambitieux : Percustra. Encadrés par des musiciens de l’ensemble, les habitants de Hautepierre et des élèves du collège Érasme donnent lors de ce concert trois œuvres en création mondiale
Sous la fervente houlette pédagogique de François Papirer, voici venir, le temps de la représentation de ces fertiles ateliers.
"Fragments articulés" de Benoit Montambault démarre par une véritable et curieuse chorégraphie de mains dans un large rectangle de lumière: on s'interroge sur la source musicale de ces mouvements, papillons lâchés dans l'espace, lucioles précieuses animées par quatre adultes...Ces "faits et gestes" dans la lumière se prolongent , cette fois orchestrées à vue par des percussions plus classiques.Une bande son semble s'étirer dans l'espace, entrecoupé: une belle mise en scène que ce ballet dans ce faisceaux éclairé Bruits de salve, de pétards; ce laboratoire de gestes cliniques sur paillasses , éprouvettes au poing, vient, explique par la suite notre animateur, brisant le mystère, de capteurs obéissant à un logiciel de détection du mouvement qui engendre du son! Magie des effets, cependant, animés par les corps des interprètes qui dans l'obscurité, génèrent de belles rémanences, des tourbillons de sons
"On se dit qu'on compte jusqu'à quatre; après on verra bien!" est un vrai jeu savant, encadré par Galdric Subirana
14 collégiens s'avancent et percutent dans un travail précis, net, simple, exigeant, très professionnel.
Les éphémères continuent leurs danses dans la lumière, piège et écrin de leurs mouvances captés, prisonnier de l'ère des technologies nouvelles, fort bien explorées!
Place "Minh-Tâm Nguyen pour "@Ack", une pièce très "tendance", technologique à souhait, un vrai jeu vidéo d’antan transposé pour smartphone, interaction et interactivité public/ machine en live et direct.Une manette géante sur scène, une écriture graphique style facebook et autre icônes sur la toile, pictogrammes très mode et référencé téléphone portable.
Très génération montante, ce morceau est ludique, visuel et met en pratique percussions, technique et autres machineries informatiques: la nouvelle tendance de recherche des Percu, fait mouche Et attire un public de chercheurs exécutants amateurs, friands de nouveautés! Des archets sur du polystyrène, des xylophones au son complexe, des icônes vidéo sur écran: tout se mêle et les connections s'entrelacent.Navigateurs, réseau, niches de la musique nouvelle e-toilée! Une petite révolution en herbe, art numérique sonore, art cinétique qui finit par transformer les corps des interprètes en machine, robot, pantin ou poupée manipulables à souhait.
La contagion des univers opère: du virtuel au charnel dans une atmosphère joyeuse de contamination sonre et musicale
En avant vers l'avenir pour ces générations de "jeunes pousses" de la musique d'aujourd'hui: cet après midi à France 3 Alsace, l'auditorium était une fois de plus, le creuset de découvertes et de partage: le public nombreux, venu soutenir les participants qui ne semblaient pas plus que cela avoir le "trac": maîtrisent-ils déjà si bien ce langage pour y être aussi à l'aise?