vendredi 26 janvier 2024

"Claire Days et Lussi: concert au féminin". A l'ombre de deux jeunes femmes en fleur sous le "signe" du chant-cygne d'étang.

 


Claire Days & Lüssi Concert au féminin Carte blanche à l’Espace Django

Dans le cadre de notre festival, il nous semblait important de montrer des femmes à l’œuvre dans d’autres domaines artistiques que la danse. Cette année, nous avons donc demandé à nos voisins et amis de l’Espace Django de nous concocter une soirée 100% féminine. Ils nous proposent deux songwriters folk qui réunissent les continents pour une soirée sublime et engagée.« Claire Days » c’est l’aventure menée par la française Claire, autour d’une folk saturée, hybride, qui tend vers le rock indé et s’affranchit des genres. Un nom d’emprunt pour une musique habitée qui s’inspire d’univers tantôt sensibles, tantôt volcaniques, tout en allant chercher de la tension et de l’étrangeté, à la croisée d’artistes comme Fink, Lianne la Havas ou encore Feist.


Une soirée musicale libre d'esprit et de conception, "jeune" et attirante assemblée de spectateurs, curieux de découvrir Lussi qui remplace au pied levé  Safia Nolin: quelle audace et quel culot mais aussi quel plaisir pour cette jeune chanteuse de nous livrer ses chansons à texte, sa vie et son plaisir de rencontrer son premier vrai public en "première" ou lever de rideau. Elle égrène ses oeuvres très personnelles avec une voix claire, frêle et comme un filtre très aigu de soprano légère. Chansons qui content ses débuts, son histoire, en français, pour une compréhension et une sympathie directe. Accompagnée sur le plateau par une violoncelliste Lucille Carbillet,chevronnée, en symbiose, en complicité avec ses accents tendres, tristes, nostalgiques, très doux et enveloppant. Lussi c'est aussi un personnage, ménestrel, habillée en gente dame médiévale, damoiselle troubadour des temps anciens: tunique blanche aux manches bouffantes de circonstance. Lussi in the sky pour notre plus grand plaisir. 

Et oh surprise sur la scène deux jeunes femmes interprètes en langue des signes de ses textes. Deux "danseuses" qui se prêtent au jeu de magnifier le vocabulaire gestuel de cette langue "chant-signée" chant " cygnée" comme une chorégraphie de mains, de bras qui tanguent, se dérobent, s'animent au gré du contexte, au gré des décibels, du volume vocal, des intentions d'interprétation. De la vraie Notation chorégraphique Laban adaptée au son. Du grand art partagé par le public au complet, fasciné par cette gestuelle inventive, descriptive mais sans redondance ni mimétisme incontournable Une expérience qui se renouvelle dans la deuxième partie consacrée à la chanteuse Claire Days accompagnée de son guitariste Ugo Del Rosso. 


À 13 ans, Lüssi écrivait des textes, apprenait le chant et la guitare et s’est tournée vers le conservatoire où elle restera quatre ans en section jazz. Actuellement, elle est plutôt orientée pop et donne des cours de chant.C’est bien au chaud, devant son feu de cheminée, que Lüssi compose sa musique : des chansons douces aux textes brumeux, envolées vocales et rythmes cassés. Une pop francophone, pleine de modernité.Son univers charbonneux rappelle la voix mystique d’Aurora, l’audace de Klô Pelgag ou encore le monde coton de November Ultra.Accompagnée par Lucille Carbillet au violoncelle, Lüssi saura entraîner le public dans son univers musical fait de simplicité et de douceur…


Claire Days, c’est l’aventure menée par Claire autour d’une folk saturée, hybride, qui tend vers le rock indé et s’affranchit des genres. Un nom d’emprunt pour une musique habitée qui s’inspire des univers tantôt sensibles, tantôt volcaniques de Feist et Laura Marling, tout en allant chercher de la tension et de l’étrangeté chez Warpaint, Lump ou The National. Le registre est quasi semblable à celui de Lussi: confidences, aveux, intimité,nostalgie, tendresse, autoportrait en chansons très personnelles, en français. Pour expérimenter l'impact de notre langue sur la versification, les sonorités, la prosodie . L'anglais que la chanteuse a toujours affectionné dès sa plus tendre enfance en écrivant ses textes dans la langue de Shakespeare.Elle nous conte modestement comme entremets, la genèse de ses textes, s'adresse au public avec reconnaissance et empathie. Sobre et limpide personnage, douce et belle voix timbrée qui sourd de ses lèvres, de son regard, de son attitude ouverte et partageuse. Un texte pour sa soeur très profondément en symbiose avec son caractère pudique et sincère, un "ombre" qui la tarabuste, sorte de rêve récurent pour exprimer le recueillement sur soi, l'introspection qui peut se partager. Du bel ouvrage de dame accompagné par la danse d'un jeune homme en fauteuil Adamo Sayad qui danse de tout son buste, ses jambes les mots et les sons de ses textes. Les deux jeunes interprètes à ses côtés pour lui traduire en direct ce qu'il traduit et prolonge pour ses pairs dans le public. La danse des signes n'est pas un "lac à assécher" mais une source d'adaptation intelligible et riche pour aborder la musique, le chant et toutes ses variations, ses modulations. Concert chansigné par "Deux mains sur scène" et gilets vibrants On pose un regard sympathique à l'égard d'une expérience riche d'enseignement sur la multiplicité des vecteurs de communication. Les 2 M(i)SS Rachel Frery et Séverine Michel George à l'affut du texte à traduire à interpréter.Un plaisir pour Claire Days que de partager et vivre ces instants uniques.Et les ombres de planer sur ce récital à deux voix, bordé de charme et de découvertes musicales.

 


les 2 M(i)SS de "deux mains sur scène"

A l'Espace Django le 25 Janvier dans le cadre du festival "l'année commence avec elles"

jeudi 25 janvier 2024

"ANGST": du fil sonore à retordre pour cette "anatomie de la chute" !

 


Performance autour du fil et de la peur

 Marchant au-dessus du vide, réalisant des sauts incroyables en risquant à tout instant de chuter, l’acrobate risque sa vie dès qu’il performe. Lorsque le corps fait face à un danger, l’esprit se réfugie derrière la peur. L’aborder entre artistes de cirque, transgresser ce tabou, permet d’explorer cette émotion fondamentale de notre humanité, présente en tous lieux, de tout temps, chez chaque individu. Celle qui peut nous sauver la vie comme nous pousser droit dans le mur ! Sur scène, confrontant la parole et les corps en action, Lucas Bergandi et Clément Dazin jouent avec les frayeurs du public, avec les leurs en tant que fil-de-fériste et jongleur, mais aussi celles qu’ils ressentent au quotidien. Si la peur fait résonner en nous l’écho d’une mort possible, la joie éclatante du circassien sur son fil semble clamer qu’elle éveille tout autant l’envie de vivre.


 Entrée en scène d'un jeune homme décontracté en apparence: mais ce prologue nous dévoile ses angoisses d'artiste pourtant habitué depuis 24 ans à exercer son métier! Il jongle en commentant d'une voix douce et feutrée les recettes de ses secrets de fabrication de jeu. Les balles sont légères, épousent son corps bien ancré, le poids et le centre de gravité mobilisés pour un bel équilibre. Comme son complice qui le rejoint. Félin pour l'autre, les voici devisant sur le métier tout en intégrant le dispositif, agrès et praticable du "fil". Une discipline de fer, un apprentissage où la répétition, l'endurance, la pugnacité sont de mise. Pas d'improvisation ni d'aléatoire dans l'exercice de cet art du vide. Maitrise et contrôle constants sont mobilisés. Funambule, homme de l'air sur la brèche sans cesse. Pour le meilleur d'un dialogue haut perché comme deux oiseaux qui devisent sans se diviser. Le risque est constant et l'accident arrive..Chute à l'appui. Rude, au sol, sans tapis: feinte, leurre ou réal incident corporel? Le doute s'installe...Et cela fait l'objet d'un bel exposé sur le mécanisme organique qui se déploie dans cette situation: l'anatomie d'une chute! Du bel ouvrage, tendre et haletant, palpitant: de la danse du fil qui glisse, recule, patine, fait des double salto sans effet de performance gymnique. De l'imagination dans les corps pour rendre ce spectacle au delà d'une simple dimension circassienne. Des "fils d'aplomb" sonorisés en herbe en quête d'équilibre-déséquilibre constant pour brosser un tableau mouvant et périlleux de deux artistes en quête de danger: même pas peur! La réverbération du son du fil confère au spectacle des vibrations, résonances, fréquences pour l'oreille interne qui dirige toutes les opérations de stabilité. C'est le public qui tremble et frémit à l'envi, se libère en éclatant de rire même quand les situations des deux protagonistes sont incertaines. La complicité, la solidarité de ce duo soudé est fondamentale, naturelle et rend ces deux interprètes sympathiques et proches.


Lucas Bergandi et Clément Dazin se rencontrent en 2009 au Centre National des Arts du Cirque où ils étudient ensemble durant trois ans. En tant qu’acrobate et musicien, Lucas Bergandi collabore ensuite avec diverses compagnies sur des projets en danse, arts du cirque ou de la rue et se confronte un temps à l’intensité et l’exigence du travail au sein des Théâtres de Variétés allemands.

Puisant dans l’expérience de diverses pratiques – danse, théâtre gestuel, jonglage, gymnastique, Clément Dazin conçoit des spectacles de cirque faisant fi des frontières entre disciplines. Il s’intéresse depuis quelques années à la place du texte et de la parole dans ses créations, souvent inspirées de thématiques contemporaines.

En 2016, il fonde sa compagnie, La Main de l’Homme, à Strasbourg. Très active localement, elle présente également ses spectacles dans les grands festivals internationaux, de Rio de Janeiro à Taipei.

Au TJP jusqu'au27 Janvier 

A la MAC de Bischwiller le 30 JANVIER 20H

mercredi 24 janvier 2024

Solène Wachter : "for you/ not for you" : une technicienne de surface de réparation sur le ring.

 


Solène Wachter F
rance solo création 2022

FOR YOU / NOT FOR YOU

À travers un dispositif bi-frontal, Solène Wachter fait le choix de diviser son public en deux. En entrant dans la salle, on choisit son « camp ». Le solo se déroule alors entre les deux publics, dans un constant changement d’adresse, sans recherche d’équité. Ce jeu du caché-montré, du visible ou non, de basculement d’un personnage à l’autre, guide le regard du spectateur dans un zapping de mouvement presque cinématographique. Passant d’une danse virtuose à une danse frénétique de type concert, le dispositif peut basculer à tout moment. Danse, lumière et musique, tout est réalisé en direct et à vue et cette « machine à spectacle » que la chorégraphe a développée invite les deux groupes de spectateurs à devenir lecteurs, acteurs, alliés et parfois même décor de cette performance.


Qui est-elle cette femme vêtue autant à la rockers qu'à la catcheuse de choc. Pantalon bordé de paillettes d'argent, raie au milieu épinglée également argentée, cheveux longs roux et regard effrayé? Elle mesure, trace son territoire de jeu, balade deux énormes néons comme barrières de scène mais aussi projecteurs de lumière. Comme un ouvrier laborieux mais méticuleux, précis, opérationnel. Curieuses attitudes de cette femme forte et bien charpentée en autant de mouvements abruptes, secs, sectionnés, fragmentés: machine de guerre infernale, robot programmé, opérationnel, efficace. Elle fait sa propre régie, rythmée par un métronome intérieur qui semble ne jamais quitter ses déplacements. Décision, intention, direction! Tout est calculé, millimétré dans sa gestuelle tirée au cordeau. 


C'est impressionnant dans cette arène où le public lui-même face à face, se regarde, s'observe à loisir sous les feux de la rampe qu'elle dirige, conduit, appelle de ses voeux. Tonique, ferme et déterminée dans ce jeu où se confondent chanteuse de rock ou catcheuse en préparation de show. Elle ose le mime sans autre procès, façonne l'espace en architecture , nombre d'or où le corps se révèle mesure et machine de guerre. Femme-canon comme dans les espaces forains d'antan, femme objet mise en espace singulier, sur mesure. Elle n'hésite pas à franchir les frontières de la proximité avec le public, se glisse entre les sièges, nous interpelle dans nos attitudes de regardants, spectateurs de ses tribulations et pérégrinations. Un exercice de style jamais vu, source de questionnements. Elle va droit au but et ne se ménage pas. Les pas arpentant la superficie du plateau pour mieux trouver sa place, son endroit , son milieu .Parmi les cris d'une foule lointaine, les ovations d'un public impatient qui la booste et la stimule. Sur le ring, dans la fosse aux lions où dans l'arène d'une proche corrida. Solène Wachter en dit long sur le parcours préambule au spectacle: s'installer, prendre place et séduire dans une efficacité intelligente et bien dosée pour le meilleur d'une ambiance à mi chemin entre la vie et la mise à mort. Podium, ring ou scène de rock pour tremplin ou tarmac de prédilection....


'A Pole Sud les 23 et 24 Janvier dans le cadre du festival "l'année commence avec elles"