vendredi 22 novembre 2024

"Antigone in the Amazon" : le jeu de Milo Rau: super banco gagnant! Colère et rugueuse revendication "très imagée".

 


Avec Antigone in the Amazon, Milo Rau croise un mythe antique et la brutale réalité d’un combat contemporain au Brésil. En collaboration avec des habitant·es et des artistes locaux, il met en scène la révolte d’une Antigone du XXIe siècle, sur les lieux-mêmes où dix-neuf ouvriers agricoles ont été assassinés par la police militaire en 1996. Là où 10 % de la population possèdent 80 % du sol, le Mouvement des sans-terre (MST) se mobilise contre une tyrannie économique soutenue par l’État. Sur un plateau recouvert de terre, l’esprit de lutte et les émotions prennent forme, tandis qu’à l’écran les activistes, tel un chœur politique d’aujourd’hui, commentent l’action qui se déploie sur scène entre Créon, Antigone, son fiancé Hémon et Eurydice. Par la force des images, la présence des corps et la puissance évocatrice des mots, Milo Rau donne une forme inimitable à la révolte. Face à l’exploitation à outrance des ressources naturelles, l’oppression des populations et la violence du pouvoir, le récit antique donne forme au soulèvement pour un changement global. 

Grand moment d'émotion vive au Maillon à l'occasion de la venue de ce spectacle "militant", dénonciateur des "monstruosités" faites au peuple brésilien par la dictature au pouvoir. Eloge à la terre nourricière pour démarrer cette ode à la fraternité et solidarité internationale. Cette terre qui appartient à tous sauf ceux qui en prennent soin. Terre qui jonche le plateau, terre battue comme ces militants de MST qui rejouent les scènes hyper violentes de tuerie collective. On y croit de façon saisissante à ces images projetées sur un écran à trois facettes qui témoignent des atrocités faite à une humanité en colère. Colère et prise de paroles, de positions durant quasi deux heures. Antigone et son mythe comme pré-texte et fondement de la narration. Film enlacé dans les mouvements des corps des comédiens, en osmose sidérante. Immédiateté et imminence, urgences de ces icônes mouvantes, en couleurs crues ou grises, glauques. Les circulations des images à l'écran à celle des personnages est synchrone étonnamment justes, cadencées, séquencées pour une narration en direct.Une rare qualité d'adéquation entre écrans surdimensionnés et petitesse des êtres  humains, au sol rivés. Alors que les monstres guerriers crèvent les trois écrans et semblent piétiner leurs pairs sur terre battue.


Quatre personnages se partagent cette dure tache de remplir l'espace, la lumière. Un récit à quatre voix, en portugais, brésilien, néerlandais que l'on suit des yeux grâce au surtitrage.La tension est grande mais également la "douceur" des propos et du ton d'Antigone, ici petit personnage à la longue chevelure hirsute. Il y a beaucoup d'empathie avec chacune des quatre feuilles de ce trèfle, porte bonheur de cette lutte permanente.On y suit les péripéties de cette famille déchirée par le destin, la fatalité. Mais le moral demeure, façonné par l'authenticité du jeu des comédiens. Un musicien entretient à la guitare une certaine sérénité salvatrice. 


Le combat est juste, urgent, incessant et le film qui nous éclaire sur les agissements oppressants et criminels de l'armée au pouvoir est saisissant. Cruauté, séquences terrifiantes de meurtres et d'agressions physiques, soulèvement et révolte des protagonistes de la rébellion en marche. Témoignage, récit et action débordante de vérité pour ces scènes de violence éprouvantes. On y croit sans leurre, les acteurs se fondant simultanément dans les images. Entre fiction et réalité, cette épopée loin d'être picaresque ou anecdotique demeure dans les corps et les esprits, travaillant sur la mémoire, le partage de l'indicible, du chant du choeur grec qui fait front. Choeur qui bat fédère une énergie combattive et charismatique. Choeur, atout de cette population en soulèvement permanent, jamais hors sol. Alors l'émotion nous prend et fait bouger une conscience vive, partagée. 


La colère comme flambeau, témoin d'horreurs que nous révèle Milo Rau et toute son équipe, forte de solidarité, de communion, en compagnie solide et indéfectible. Un rituel politique et militant de toute beauté féroce et irrévocable panorama de la bêtise humaine. Un panel vivant et jamais "spectaculaire" des aberrations économico-géo-politiques, manifeste sans fard ni concession pour la liberté.


Créateur : Christophe Raynaud de Lage Crédits : Christophe Raynaud de Lage
 
Au Maillon STRASBOURG les 21 et 22 Novembre 2024 dans le cadre de "10 jours avec Milo Rau"

jeudi 21 novembre 2024

Alessandro Bernardeschi & Mauro Paccagnella (Wooshing Machine): "Closing party: arrivederci e grazie": kinémato-chorégraphie!

 


Closing Party (arrivederci e grazie)

Comme souvent dans l’univers de la Cie Wooshing Machine, les quinquagénaires Alessandro Bernardeschi et Mauro Paccagnella revêtent perruques et micros pour entonner des airs populaires. De Simon & Garfunkel à Nina Simone, en passant par Marianne Faithfull, le duo déploie son goût du jeu en parallèle des fêlures qui les habitent. Après Happy Hour et El pueblo unido jamás será vencido, ils concluent leur Trilogie de la mémoire avec Closing Party (arrivederci e grazie). Un bal de clôture sans paillettes, absurde et ironique, traversant la fin des utopies dans le même costume noir et barbe de trois jours. Ce passage en revue des souvenirs intimes, mêlés à l’histoire collective, prend corps dans une nostalgie joyeuse. Leur nonchalance naturelle n’enlève rien à leurs qualités de danseurs assumant de vieillir en clowns désabusés, en valse d’adieux reportés. Une dernière danse, front contre front, affranchie de la pression de la performance, entièrement tournée vers l’émotion et le plaisir – partagé – du mouvement.


Ils adorent le cinéma et cela fait partie intégrante de leur culture chorégraphique: de l'imitation des grands titres de films de référence, au décor en noir et blanc scintillant comme sur la pellicule d'antan, ils se régalent. Ce duo intime et séduisant fabrique de la tendresse, du bonheur autant que de la nostalgie. Duel, joute, tête à tête, toujours dans la grâce et le respect de l'autre. En costume noir, chemise, pantalon et chaussures vernies, affublés de perruques bien noir-charbon anthracite pour dissimuler calvitie ou tonsure des années passées, ils disjonctent joyeusement. Couple complice ils dansent sur des morceaux de musique de choix qu'ils ont chéris autrefois et s'adonnent au pur plaisir de danser, de divaguer dans l'espace. Soudain c'est Pasolini et ses multiples visages d'acteurs fétiches qui apparait; un jeune danseur bien chevelu qui leur ressemble avec en plus la vélocité et l'aisance qu'ils ont mis de coté, virevolte à l'envi. Image fugitive et fugace de la jeunesse emportée par les années. La perte, l'usure en moins pour un solo vif et plein de fièvre.  Jeune trublion comme l'ange de "Théorème" pour référence... Renverser un chorégraphe conceptuel dans un rêve éveillé, rire de tout et de rien, décontractés, bon enfants.Des portés majestueux en cygnes noirs comme autant de références-mémoire de la Danse incarnée.Duo en miroir souvent, genoux fléchis, bras enrobant, désarticulés ils évoluent dignement sans fard ni falbala. Les épaules relax, détendues, mouvantes, les regards croisés et malicieux, la parole vive et bien enracinée dans les corps. Quelques blagues inachevées sur le bout des lèvres qui se terminent en fou rire pour impressionner son partenaire de scène.Que voilà bien du charme avant ces adieux pas pathétiques, plein de soleil de la langue italienne qu'ils manient dans la jouissance du partage; depuis bien longtemps sur le plateau de la danse depuis leurs ébats et débuts au Théâtre de la Bastille ou Jean-Pierre Timbaud du temps des Sagna et Jean Marc Adolphe! A bon entendeur, salut!

Essorer en machine tambour battant cette danse de mémoire vive et les couleurs ne s'altèrent pas!

A Pole Sud le 20 Novembre

mercredi 20 novembre 2024

Gaël Santisteva, Saaber Bachir & Antoine Leroy. "Voie, Voix, Vois" : que vois-je sur la voie publique à voix haute? VVV....


Voie, Voix, Vois

Objet scénique pluriel et inhabituel, Voie, Voix, Vois est né d’une rencontre aux Ateliers Indigo. Cette association bruxelloise accompagne une vingtaine d’artistes en situation de handicap, dans des ateliers d’art plastique, de la scène et de la musique. Le musicien Antoine Leroy et le danseur et comédien Gaël Santisteva nouent une amitié et des affinités artistiques avec le plasticien-poète-acteur Saaber Bachir. Leur trio trouble les textures vocales et textiles afin de bouleverser l’ordre établi. La ventriloquie est détournée par modification électronique des voix, mais aussi par la prise de contrôle physique des partenaires de jeu sur scène. En maître de cérémonie, Saaber dirige, manipule, dicte le tempo et oriente les regards pour nous offrir sa propre vision des choses. Sur fond de sound system déstructuré, la normalité et la norme se trouvent questionnées, chamboulées dans leur frottement avec la légitimité, la soumission et le contrôle.

Belgique trio création 2023 

C'est un régal gourmand, ce trio atypique qui mène bon train un show en short de guépard, casquette et baskets de circonstance. Comme des marionnettes ils se manipulent et le son de leur voix n'est autre que celui du manipulateur. Effet de leurre garanti et trouble de surcroit pour ces duos drôlatiques et farceurs. Farce et tribulations de trublions de la scène que ce trio de fortune très riche en répliques, récits et autres histoires de verbe, le tout métamorphosé par des micros amplificateurs et tordeurs de sons. Ça cause et ça discute, ça polémique et ça enchante le plateau. Trois garçons dans le vent d'une balise-drapeau peuplée de chevaux esquissés, d'un tapis orange fluo fait maison, brodé d'une figure de cheval-licorne magnifique. Histoires de chevaux, d'équidés en tout genre pour un voyage chez ces animaux "sauvages" et beaux "Je me voyais déjà" sur un plateau de TV , hanté par des hauts-parleurs très design, façonnés par le musicien lui-même à la recherche de formes et de sons. Mégaphone en céramique rappelant des coiffes ou entonnoirs stigmatisant les fous du roi. Antoine Leroy aux commandes de cette recherche plastique et esthétique très réussie. Alors que ses deux compères, compagnons de route arpentent la scène en bavassant, sautillant, faisant la roue. C'est espiègle et malin, mutin et plein de charme. Les voix sont sur les chemins de traverse et le sentier de l'âne, sur la bonne voie. Et l'on y voit que du feu en empathie totale avec cette évidente simplicité de la représentation. Le pavillon en poupe pour mieux entendre les sons déformés des voix, pavillons de phonographes ou de mégaphone, chapeau, coiffe ou parure fort seyants. Les trompettes de la mort comme instrument de musique où il vaut mieux ne pas souffler! Ce cheval de trois comme une figure de parade, de carnaval. Leurs chansons, c'est pas du pipeau Des éclairages de boite de nuit pour illuminer l'ambiance et faire danser les pupilles rivées sur ce petit monde bigarré et sympathique. Mustang comme égérie et passion pour Saaber Bachir dont l'amour des chevaux transparait sans frontière. Ils semblent indomptables nos héros de pacotille et dotés d'un pouvoir magique: celui de conter fleurette et d’enjôler le public avec trois fois rien d'humain, de fraternel. Émouvant spectacle généreux, cent pour cent pur sang, sans queue de cheval ni tête de mule. Gael Santisteva comme homme orchestre et capitaine, figure de proue d'une formation collective bien individualisée pour qu'aucun ni perde son identité!



Et Georges Federmann et son chapeau entonnoir de fou...pour référence locale....



Le chapeau juif, connu aussi sous les noms de coiffe juive, Judenhut ou hoods en allemand et de pileus cornutus (calotte à cornes) en latin, est un chapeau pointu infamant en forme de cône ou d'entonnoir renversé, blanc ou jaune, devant être porté par les Juifs dans l'Europe médiévale et parfois dans le monde islamique ...
 
A Pole Sud le 20 Novembre