samedi 18 janvier 2025

Chara Kotsali:" to be possessed": démons et merveille, self controle!

 


to be possessed

 Marquée dès son plus jeune âge par les films d’horreur et les histoires de possessions de sa Grèce natale, Chara Kotsali traque les esprits qui hantent notre langue, nos textes, nos connaissances et le monde matériel dans lequel nous baignons. En solo, elle donne vie à une multitude de rituels successifs, issus de témoignages de femmes d’horizons variés. Histoires de démons, exorcisme religieux, convocation d’esprits… autant de matières qu’elle transcrit corporellement, agitée par des phénomènes extérieurs qui entraînent une sauvagerie subversive. Être possédé par un passé impalpable et un pouvoir inconnu, la performeuse compile des archives de sons auxquels elle ajoute des effets de loop au micro, colle des affiches comme autant d’idoles formant un cadre indémêlable d’attirance / répulsion, dans une mise en abyme du carcan de normes qui contrôlent le corps social, depuis des siècles.

La réflexion est prolixe, le mur d'affiches à l'inverse de la pratique d'arrachement à la Hains Rotella ou Villeglé, bordé de coupures de photographies qui vont se rejoindre et former une nouvelle image. Collages, décollage sur ce tarmac à la verticale que la performeuse va recouvrir de colle à tapisserie à l'envi. Trois plots pour accueillir les accessoires "utiles" ou "inutiles" pour cette performance percussive où l'artiste, soliste nous interroge sur le son, les mots de la folie. Ce qui passe par le vecteur corporel quand on est atteint de syndrome de "danse de saint guy" ou autre possession chamanique et rituelle. Les mots du corps, les maux de cette femme, longs cheveux éparpillés, jean et baskets communs. Elle déploie son talent unique et singulier en une danse diffractée, déséquilibrée, en miette comme cabossée ou inspirée par des esprits proches ou lointains. Ce solo énigmatique ne délivrera pas tous ses secrets: sa voix bordée en direct par une reproduction artificielle de ses paroles indistinctes. Jeu de malin, jeu de vilain, jeu de sorcellerie qui touche, inquiète et nous projette dans une étrange atmosphère de mystère. Douée d'une présence forte et ancrée, la performeuse use et abuse de cette physicalité qui lui est propre, de son regard inquisiteur. Chara Kotsali est intrigante et fascinante.Trompette de la renommée, percussions de secrétaire sur son clavier informatique, elle oscille entre danse et théâtralité, passe furtivement de l'une à l'autre, offrant des paysages harmonieux, des ambiances troublantes. Déséquilibrée, folle et lascive, elle s'empare de cette danse de Saint Guy -on se souvient des danses d'épidémie de 1518 de Strasbourg- avec passion et distanciation.

A Pole Sud les 17/ 18 Janvier dans le cadre du Festival "L'année commence avec elles"

Akiko Hasegawa : "Kanashimi " efleurage à pétales. Lamentations distantes et distendues. Bonjour, Adieu tristesse !

 


Kanashimi

Après avoir exploré le corps en joie dans un premier solo (Haré Dance), Akiko Hasegawa sonde la tristesse (Kanashimi). La danseuse strasbourgeoise, installée en France depuis le milieu des années 1990, poursuit un voyage intérieur autour de moments clés de son existence. Solitude et éloignement familial, danse au bord des larmes de Marta Graham, rencontre avec la tragédie Grecque sous un soleil de plomb, perte d’êtres chers… Autant de montagnes russes d’émotions qu’elle traverse au son du violon d’Aline Zeller. Sur une note tendue, redescendre là où le cœur se serre, avoir besoin de lumière et retrouver la brûlure de vivre poussant à remonter la pente. Mêler la danse, la présence et l’absence, l’ici et l’ailleurs.

 Sa silhouette se dessine à peine dans la pénombre... Seule dans l'opacité du noir, dessinée en contours imperceptibles. On la découvre en jogging, cagoule ou capuchon tendu, veste également outrancièrement distendue comme une seconde peau qui tente de muer, de se déchirer. Hommage à Martha Graham dans "Lamentation", clin d'oeil à l'histoire de la danse et de ses femmes "pionnières".  Sans doute..Elle insiste pour détendre et relâcher de toute sa peau cette pelure artificielle et sous cette plissure, des clochettes s’égrènent au sol, tintinnabulant. Son corps, massif, s'expose et vibre. Sa seconde doublure apparait: une violoniste qui l'accompagnera durant ses cinq tableaux successifs. Instrument qui prolonge le corps de son interprète qui prend le haut du plateau. Deux pour un solo dansé où les formes du corps de Akiko Hasegawa prennent de l'aisance, se déploient sous les lumières et couleurs de pastel à la Rothko qui la teintent de douceur, de flou évanescent. Noire, sera sa tunique, longue et seyante pour exprimer la douleur, l'intimité de la tristesse. 


Puis un long voile rouge en fera une Willis égarée, spectrale traversant elle aussi l'histoire du ballet: ces êtres diaphanes qui hantent les fantasmes du XIX siècle. Reine ou ectoplasme naviguant sur le plateau à la recherche d'une identité. La danseuse sème le trouble, isolée de toute influence, droite et directe, poétique et fluide, le corps asservi à ses désirs de calme, de tranquillité, de jubilation intérieure. Pour les transmettre et communiquer à un public attentif bercé par les sons, les vibrations de l'instrument à cordes, rivé à Aline Zeller.Fleur de tulipier ou magnolia en couronne qu'elle effeuille doucement, pétale après pétale: une façon bien à elle de faire de l'effeuillage discret et poétique, couronné par ce végétal symbolique à la japonaise.

Ce solo en pleine éclosion fertile est un bon signe de l'évolution du travail hypnotique de la danseuse au coeur généreux, à la plastique bien ancrée et solide.


A Pole Sud le 17/ 18 Janvier dans le cadre du festival "L'année commence avec elles"



mercredi 15 janvier 2025

"On ne choisit pas ses fantômes": fantômes-attique....à tous les étages errent...

 


DEUX PERSONNES POUR FAIRE UN COUPLE CE N’EST PAS ASSEZ.

« Jonathan : Tu n’as rien retenu de ce que je t’ai dit, je ne sais pas comment te le faire comprendre. Je n’ai plus de sentiments pour toi. C’est fini. Je suis sobre, je suis vacciné, c’est terminé.
Mira : Tu es en colère. Je te demande seulement de prendre une seconde pour réfléchir. Ça prendra peut-être du temps.
Jonathan : Ça ne va pas ? Tu crois vraiment que je vais jeter aux orties tous mes progrès réalisés en deux ans, parce que tu as… Je vais te dire un truc, à un moment, je me suis mis à prier, à vraiment prier, devant Dieu, pour que tu reviennes. La fois où tu es venue ici… J’étais couché là-bas avec Ava, j’attendais qu’elle s’endorme pour pouvoir te parler, essayer de te convaincre et j’ai entendu la porte claquer. Là, l’envie de te tuer est revenue. »

Un homme et une femme s’évertuent à perpétuer les topiques d’une vie conjugale : le mariage réussi, la famille-modèle, les petits drames du quotidien, les grandes frustrations, la psychologie de chambre à coucher, le chantage affectif, la solitude dans le couple, la déchirure amoureuse et le grand vide de la séparation…De cette histoire vieille comme le monde, Ingmar Bergman tire une série-culte suédoise dans les années 1970. À son tour, le réalisateur Hagai Levi revisite ce mélodrame petit-bourgeois qui hante encore et toujours l’union sacrée du mariage, toutes classes sociales confondues. Fantôme persistant d’un modèle conjugal archaïque que Mathias Moritz met en scène jusqu’à l’os, arrachant la chair du couple pour sonder la consistance du cœur.

 C'est au son du Boléro de Ravel que tout démarre et s'interrompt: ritournelle ou montée en puissance du rythme sempiternel de la vie? Remake d'un tube légendaire qui fait recette et dont on retient la monotonie, le rituel ou l'ennui? C'est sans doute le miroir de ce couple qui se fait et se défait devant nous, chancelant au ralenti sur son banc célébrant les bans de ce qui sera soudure, empathie, rejet, questionnement sur le mode désormais ringard du couple: 12 ans de vie commune pour passer le cap et rester "fidèle". A quoi, pourquoi, pour qui? Deux comédiens pour incarner les affres de ce binôme intriguant et fort bien campé dans ses dérangements par Débora Cherrière et Lucas Parensky. Deux êtres qui souffrent, jubilent ou font l'amour sous l'oeil d'une caméra opérant comme un big brother inquisiteur, violeur d'intimité, reproduisant en direct mouvements et dialogues. Intrusif personnage suspendu aux cintres, ou tenu en déséquilibre sur cet attique, sorte de passerelle emplie d'accessoires divers. Cartons, lampe, et autres objets du quotidien qui ne cessent de basculer, éclater, se dérober et intervenir bruyamment dans les intrigues. Pour en ponctuer le vide ou les éclats. Absurdes objets animés dans un décor suspendu, fragile comme le terrain où exercent nos héros. Les dialogues sont truffés d'incidents, de paroles tendres ou virulentes et chargés d'intentions diverses quant à la fidélité, l'amour, la tendresse, la violence.Le couple ne semble pas être un territoire d'émancipation ni d'éveil, ni d'épanouissement. La critique sociale ainsi brossée est loin d'être élogieuse et ces deux pantins aux prises avec le réel se dépatouillent sans grand espoir de ces circonstances non atténuantes. Socialement correct, propre et net sur soi mais empreint de bien des espoirs ambitieux pour échapper au pire de la routine.Comme une fable toxique sur les rapports humains, la pièce fonctionne sans faille et quelques clins d'oeils humoristiques viennent en redorer le propos: la scène de la vodka neigeuse de pop-corn pour sourire et se réconcilier avec les facéties du quotidien et des querelles.inévitables. Le dispositif scénique comme un couvercle de marmite qui bout, qui défaille et déverse un fatras d'objets encombrants pour la mémoire et les corps pensants. Une histoire palpitante et amère du genre humain façon Bergman pimentée de Mathias Moritz qui signe ici une mise en espace singulière désignant corps et âme en cage sur tous les fronts oscillants de la vie conjugale: avec cris et chuchotements, silence, à travers le miroir de ces communiants de la honte conjugale.Un beau panorama fouillé de l'oeuvre de Bergman: une leçon d'amour sur l'attente des femmes, le lien, les tourments de la vie des marionnettes...

d’après Scènes de la vie conjugale de Ingmar Bergman et de Hagai Levi Adaptation et mise en scène Mathias Moritz Groupe Tongue, Strasbourg

Avec Débora Cherrière, Lucas Partensky

Scénographie Arnaud Verley Création lumière Fanny Perreau Création sonore Nicolas Lutz Régie plateau Arnaud Verley en alternance avec Yann Argenté

Aux TAPS Scala jusqu'au 17 Janvier