mardi 28 janvier 2025

Marine Colard "Le Tir Sacré": petites et grandes foulées athlétiques

 


par Cie La Petite Foule Production France duo création 2021

Le Tir Sacré


Fascinée par la frénésie qui s’empare des journalistes au moindre match ou ligne droite dans un stade, Marine Colard fait des commentaires sportifs le fond sonore d’une chorégraphie athlétique. La jeune comédienne formée au théâtre physique a recruté pour coéquipière Esse Vanderbruggen. En s’époumonant avec exubérance, elles se lancent dans des postures olympiques, convoquant natation, haltérophilie, escrime ou encore ski alpin. Dans cette recherche autour des liens unissant enjeux chorégraphiques et textuels, les exploits gestuels vont de pair avec la surenchère passionnée des commentateurs, souvent risibles dans leur propension à s’enflammer. Le Tir Sacré tend un miroir à la compétitivité inhérente au capitalisme, celle qui nous enjoint à nous dépasser, à aller toujours plus haut, plus vite et plus fort.
 
 
On croirait Léon Zitrone, le roi des commentateurs de match de foot et autres sports collectifs où le public s'engage comme fan ou houligan. Frédéric Voegel chauffe la foule avec ferveur et enthousiasme en direct.C'est dire le rôle de ce dernier dans le tout début du show annoncé. Commentaires toniques à suspens, rythmés qui s'emballent et débordent de leur cadre. On nous tient en haleine 10 bonnes minutes durant, le temps d'installer une ambiance survoltée de début de match. Le plateau reste vide alors que les deux vedettes annoncées se font désirer. Et oh surprise, les voici apparaitre discrètement, les gestes au ralenti dans une grande modestie, un effacement certain. Leurre ou pas, elles se considèrent modestement, short et baskets, physiquement très différentes: l'une gracile et longs cheveux noués, l'autre forte et robuste, taillée comme une sportive entrainée. Contraste mais gémellité de leurs évolutions, front contre front , leur seul contact qui les guide. Belle démonstration de solidarité dans un monde plutôt voué à la compétition. Tout va de plus belle avec moultes évocations de gestes sportifs, transgressés par la chorégraphie et la mouvance soignée des deux interprètes.On reconnait la décomposition des positions et postures à la Marey ou Muybridge dans une séquence vouée à la vélocité, la vitesse et la rémanence des images . La "locomotion" revisitée en art chorégraphique!Tout va de plus belle dans un rythme effréné, voisin d'un esprit sportif de précipitation et d'efficacité. Les deux compères-complices occupant le plateau à de savantes positions, arrêt sur image comme de très éloquentes photographies de sports. On passe en revue toutes sortes de gestuelles, évoquant tennis, foot et autres disciplines. C'est drôle et rondement mené et questionne de plein fouet les sources gestuelles, l'inspiration mimétique du mouvement.
Marine Colard et Esse Vanderbruggen au top modèle pour la conception  de la représentation anti sexiste du sport et de la danse du coup mêlés sur la surface de réparation bien méritée. Et Sophie Billon pour animer le show en toute complicité. Le tir en ligne de mire sur une cible convoitée, entre intellect et corporéité interrogés.Un tableau de famille au féminin, photo de groupe taillée dans du carton surdimensionné où les heroines prennent place, pour clore dans l'immobilité médusante ce show déglingué.
 
A Pole Sud les 22/ 23 Janvier dans le cadre du festival "L"année commence avec elles"

lundi 27 janvier 2025

Fanny Brouyaux "To be schieve or a romantic attempt": colibri d'argent fébrile et futile.

 


de Too moved to talk Belgique solo création 2024

To be schieve or a romantic attempt

Ancienne violoncelliste passée par P.A.R.T.S, l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker, la Bruxelloise Fanny Brouyaux s’intéresse à l’un des aspects viscéraux du mouvement romantique : la corde sensible. À partir d’un patient travail rythmique plein de maîtrise, allant de la tension physique aux mécaniques des états émotionnels, naît la performance To be Schieve or A Romantic Attempt. Sur une bande son de Caprices pour violon solo de Niccolò Paganini, ce jeu de mot sur « Schieve », signifiant tordu ou fou en bruxellois, explore les frictions entre gestes techniques et mouvements incontrôlés qui la traversent lors de crises de spasmophilie : des gestes-mémoire permettant au corps d’expurger un stress post-traumatique. Spasmes et tremblements pulsionnels anarchiques s’enchevêtrent à une virtuosité lyrique pour détricoter les tensions qui habitent son corps.

Dans le silence absolu, elle divague sur des notes de musique tout le long de son corps, les doigts fébriles agités de petits bougés spasmodiques. 


Doigts et pieds vif argent ou d'acier qui tintent dans l'espace comme autant de petites aiguilles agitées, percutantes,luisantes. Elle façonne et caresse l'espace. Le corps de Fanny Brouyaux devient instrument mimétique, mémoire d'une matière que l'on lui aurait dérobée et dont les formes et les sensations lui seraient encore très présentes. Solo à vif qui tranche l'espace de soubresauts tétaniques, de gestes voisins d'un mime étrange et sans référence, habité comme les solos de Chaplin, d'une malice énigmatique. Les lèvres marquées par un dessin en coeur glacé de bleu. Changement de veste, tout en noir elle danse sur des bribes de sons mélodiques de violon. La musique lui inspire des déplacements, circonvolutions ludiques et fraiches. Comme un colibri ou sphinx qui hésite à choisir sa corolle de fleurs pour butiner et palpite devant sa proie.Oiseau mouche à battement d'aile véloce et rapide.

Puis fend l'air et absorbe son élixir de jouvence. Beaucoup de grâce et de fébrilité dans cette mouvance, éclairée juste au corps, qui navigue à l'envi. La danse hypnotise, captive et marque son territoire en circulant lentement en poses dans les gradins. Moments de suspension du temps, replis vers le silence et la beauté plastique de son corps sculpté par la lumière changeante. Fanny nous livre sa perception et sa sensibilité musicale à fleur de peau, troublante vibration d'un corps en émoi qui se joue des rythmes intérieurs et de leurs répercutions sur le geste organique autant que réfléchi.

 

A la Pokop dans le cadre du festival "L'année commence avec elles" initié par Pole Sud le 27 Janvier

dimanche 26 janvier 2025

Les Contes d’Hoffmann Jacques Offenbach : reflets d'un homme qui s'A-muse.

 


Alors que commence l’entracte du Don Giovanni de Mozart dans lequel triomphe sa maîtresse Stella, Hoffmann échoue une nouvelle fois dans la taverne attenante au théâtre, flanqué de son compagnon Nicklausse qui le suit comme son ombre. Échauffé par le punch, les chansons grivoises et la présence électrique de son rival Lindorf, Hoffmann régale l’assemblée présente avec le récit épique de ses amours passées. Olympia, Antonia, Giulietta : trois femmes qu’il dit avoir aimées mais que le sort – ou un mauvais diable – s’est acharné à lui enlever, comme si la même histoire douloureuse se répétait sans cesse. Mais n’est-ce pas le lot de tout artiste de réchauffer son génie avec les cendres de son cœur ? Foi de muse : si l’homme est grand par l’amour, le poète l’est bien davantage par les pleurs.

Maître absolu de l’opérette sous le Second Empire, Offenbach consacre les derniers mois de sa vie à la composition de l’œuvre la plus ambitieuse de sa carrière : un opéra aussi émouvant que divertissant, dans lequel le rire n’enlève rien au tragique ni à la beauté. Il compose ce tour de force musical sur un livret tout aussi magistral, réunissant pas moins de trois histoires dans la même histoire, avec pour protagoniste l’écrivain (et musicien) E. T. A. Hoffmann, devenu le héros de ses propres contes fantastiques qui ont tant marqué l’imaginaire romantique. Avec la complicité du chef Pierre Dumoussaud, Lotte de Beer revisite ce grand classique et signe une plongée vertigineuse dans la psyché et les fantasmes d’un artiste en lutte avec ses démons intérieurs.


L'opéra s'ouvre dans un décor de cabaret-taverne où tout va se jouer: mobilier traditionnel du lieu, parquet en trompe l'oeil, mur recouvert de tapisserie classique. La sobriété de la scénographie magnifie le jeu des chanteurs-acteurs remarquables de cet opus complexe centré sur les amours de Hoffmann. Chose remarquable, il y a des scènes entièrement jouées et parlées, dialogue ou monologue, loin des traditionnels récitatifs parlé-chanté. Ce qui confère à cette version de l'oeuvre un caractère théâtral bien trempé, une narration et un récit plutôt limpide. Les interrogations et questionnements du principal personnage, dialoguant avec les remarques et propos avisés de sa muse.Alors que la soprano colorature endosse les trois rôles féminins avec brio et virtuosité, le ténor lui aussi tient et prend la scène avec aplomb et perspicacité.


C'est Lenneke Ruiten et Attilio Glaser les piliers de ce spectacle fleuve, parsemé d'entremets parlés qui se taillent la part belle.Olympia devient poupée géante qui chante et exprime ses sentiments haut et fort et cette surdimension féminine est singulière et osée. La voix est superbe et virtuose et en plaquerait plus d'un au sol tant la verve et le charme sourdent du jeu vocal et physique de la cantatrice. Endossant trois rôles majeurs face à Hoffmann qui semble s'égarer dans la complexité psychologique de sa personne. Sans cesse sa muse en aparté devant le rideau baissé, lui conseille d'acter et non de rêver et de vivre de ses fantasmes. Lui, écharpe au cou pour se protéger va et vient dans cet espace, embrassant ses trois natures féminines qui le troublent et le bouleversent. Tandis que la musique d'Offenbach s'écoule jusqu'au bouquet final de la célèbre barcarolle tant attendue. Les choeurs s'y frottent tout de gris vêtus comme à un exercice d'unisson remarquable. Les costumes et le décor se fondent pour sublimer la présence des artistes et la mise en scène prend le parti de servir l'action plutôt qu'un parti pris esthétisant trop présent.

Le Philharmonique est remarquable sous la direction de Pierre Dumoussaud et le plaisir à suivre cet opéra bouffe très stylé en devient jubilatoire.Des moments de musique où l'on découvre Offenbach plus sage que survolté, au service d'un genre unique où l'opéra comique trouve une identité nouvelle. Lotte de Beer épousant les volontés du compositeur avec respect et considération. Théâtre musical de haute volée inégalée.


A l'Opéra du Rhin jusqu'au 30 Janvier 

photos klara beck

Direction musicale Pierre Dumoussaud Mise en scène Lotte de Beer Décors Christof Hetzer Costumes Jorine van Beek Lumières Alex Brok Réécriture des dialogues et dramaturgie Peter Te Nuyl Dramaturgie Christian Longchamp Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas

Les Artistes

Hoffmann Attilio Glaser Olympia, Antonia, Giulietta, Stella Lenneke Ruiten Nicklausse, La Muse Floriane Hasler Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto Jean-Sébastien Bou Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio Raphaël Brémard Crespel, Luther Marc Barrard Nathanaël, Spalanzani Pierre Romainville Hermann, Schlémil Pierre Gennaï La Mère Bernadette Johns Orchestre philharmonique de Strasbourg, Chœur de l’Opéra national du Rhin

Opéra fantastique en cinq actes.
Livret de Jules Barbier et Michel Carré.
Créé le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique à Paris.


Nouvelle production.

Coproduction avec le Théâtre National de l’Opéra-Comique, le Volksoper de Vienne et l’Opéra de Reims.