mercredi 18 janvier 2023

"Un sentiment de vie" et de minuscule en Majuscule....Claudine Galéa, Valérie Dreville et Emilie Charriot, triolet magnétique.

 


"Comment préserver tout ce qui, dans les grands moments comme dans les gestes dérisoires, nous procure un sentiment de vie ? L’écrivaine Claudine Galea trace ici un chemin sensible entre passé et présent, elle qui a grandi entre un père né en Algérie, militaire ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, à l’Indochine et une mère française et anticolonialiste. Il est question de la porosité et du poids de la grande Histoire dans celle, intime, de la cellule familiale. Que fait-on de nos « héritages » ? La metteure en scène Émilie Charriot et l’actrice Valérie Dréville donnent corps et voix à cette recherche de beauté et de vérité où se mêlent la vie, la mort, le voyage en voiture avec un père décédé, la voix de Frank Sinatra à la radio, l’art et l’écriture comme souffle vital."

Les choses infimes seront ici révélées à partir d'un texte "incarné" sur le plateau nu, vide de la salle Gignoux par Valérie Dreville dans son plus simple "costume" de ville, neutre, banalisé: pullover et pantalon sombre, chevelure déployée sobrement. C'est tout le reste du corps, de la voix qui font le reste et c'est peu dire que cette performance d'actrice, discrète et absolue dans son engagement, touche, bouleverse, renverse. Décale et fascine par son authenticité. Directe, effleurant les mots ou les pondérant d'un poids juste et pertinent. Nous voilà embarqués dans une très belle évocation de souvenir de lecture de Richter, "Falk" dans le texte: une évocation charnelle d'un amant vêtu d'un "jean" seconde peau que la comédienne semble enfiler avec grâce et jouissance. L'amant décarcassé de son exosquelette qui lui sied à ravir.Diction sensible, secrète au départ de la pièce, volume et puissance se renforçant au fur et à mesure. La voix comme vecteur, médium d'une sensibilité à fleur de peau. Valérie Dréville a elle seule, dans ce "monologue" évoque nostalgie, résurgence de sentiments, de sensations fines, subtiles et dignes de transmettre une véracité, une empathie singulière avec ce personnage qui porte la vie. En Majuscule, minuscule opus grandiose de l'Amour. Amour du père, du pays, de ses racines et du théâtre. Ce lieu, cet "endroit" où elle sait être et ne pas paraitre. Claudine Galéa, autrice et génitrice de cette matrice féconde, un texte sobre qui va droit vers nous sans obstacle ni effet de mise en scène: Emilie Charriot se pliant avec respect et décence à ce jeu de va et vient entre scène et salle, public et actrice dans son plus simple appareil: corps et voix du corps, correspondance entre musicalité et sonorité des mots, du rythme de la syntaxe. Malicieuse, mutine, le regard bien dans son assiette, cette surface de réparation salutaire de la  performeuse-athlète du plateau. Une danse sensuelle du bout des lèvres, des mains. Un face- à- face où les regard s'échangent, le texte coule de source, douleur ou doute, questions et indépendance de l’être au poing. Une partition à trois, un triolet musical sur un territoire d'écriture singulier.

Artiste associée au TNS, Claudine Galea est écrivaine de théâtre et de romans. Son théâtre est publié aux éditions Espaces 34. Mathieu Amalric a adapté Je reviens de loin au cinéma sous le titre Serre moi fort. Son dernier roman Les choses comme elles sont est paru en 2019 aux Éditions Verticales. Émilie Charriot, actrice et metteure en scène, a connu un succès international dès 2014 avec la création de King Kong Théorie de Virginie Despentes. En partenariat avec le Théâtre Vidy - Lausanne, elle met en scène, entre autre, Passion simple de Annie Erneaux (2019) et Outrage au public de Peter Handke (2020). Passionnée par l’art du jeu, qui est au centre de son travail, elle rencontre ici Valérie Dréville, actrice associée au TNS.

Au TNS jusqu'au 27 Janvier

samedi 14 janvier 2023

"Hotel Proust": à la recherche de la madeleine perdue...et pas retrouvée.Les égarements d'un Ritz désafecté.


"C’est à un voyage dans le temps que nous invite Mathias Moritz. Non pas une plongée dans les grandes heures de l’Histoire, mais un saut de puce dans le passé, en 1995.

Dans une année politique où naissait dans les mouvements sociaux l’idée d’une gauche plurielle, une année européenne où entraient en vigueur les accords de Schengen. L’annus horribilis d’Edouard Balladur, un Premier ministre vizir qui se rêvait calife : déclaration en janvier, défaite en avril. Mort d’Hugo Pratt, naissance d’Aya Nakamura. Une année d’attentats, aussi.
Dans un hôtel luxueux se croisent des figures anonymes, qui nous font revivre le temps d’un spectacle différents épisodes de « cette année-là ». Des journées particulières, mais significatives d’une comédie humaine contemporaine.

Hôtel Proust est une madeleine qui nous permet de revivre le passé pour mieux comprendre le présent. Un coup d’œil poétique dans notre rétroviseur pour mesurer le chemin parcouru. Mais avons-nous pour autant avancé ? Et dans quelle direction ?"

 Et si ce soir "j'attends Madeleine", elle ne viendra pas...Pas de leurre à cette heure où un palace sera le huis clos de la dérive humaine: six personnages en quête d'auteur vont se confronter, seul ou avec les autres sur une estrade fragile, sur un promontoire, piédestal, socle hors sol d'un territoire improbable. Le lien unificateur de cette satyre, caricature grotesque, panorama raccourci d'une société microscosmique sera le valet de chambre, le gouvernant, groom mal graissé de ce petit peuple indisciplinaire... Chacun pour soi dans ce dédale, labyrinthe peuplé d'embûches, de désespoir, de malheurs et de sexe revendiqué pour sa crudité, sa cruauté.Théâtre de la cruauté que cette toile où une palette de caractères indéfinis se dessine à l'envi. Chaque comédien s'emparant d'une figure-créature à la dimension désuète de ses aveux insipides ou sans odeur. On se plait à entendre les paroles d'anciens "polis petits chiens" comme disait le Général en jouant à la devinette. Voix off de Mitterrand, ou Madame "non" à qui l'on aurait pas appris à dire "oui" et qui découvre l'origine fondamentale de l'acte qui l'a conduite à renoncer à tout...Souvenez vous de la série "Palace" de J.M. Ribes où le protagoniste se faisait berner: "je les aurais demain"...pour mieux se venger de son triste sort inéluctable. Ici les facéties s'enchainent dans des présentations de personnages frustrés, agressifs, distanciés par un langage et vocabulaire peu châtié.On sourit parfois devant le désarroi du grassouillet acteur de choc, face à la dérive du branleur qui ne cesse de pleurer au téléphone ou de hurler sa solitude masturbatoire...Les filles sont vamp, putes ou péripatéticiennes sans la gloire ni l'aura d'un Aristote, et la musique va bon train, celle qui nous accueillait en salle: tubes ou morceaux de choix de références de "ces années là"..On y danse pas vraiment sur cette passerelle décomposée par les sorts de ces épaves tonitruantes parfois.Et la nostalgie de s'emparer de ceux de cette génération: 1995, un choix entre deux eaux, politique certes mais pas vraiment poétique ou l'éthique ne semble pas le maitre mot pour mesurer la pauvreté, l’indigence des propos mis en bouche.

Alors on se projette en rêvant dans d'autres chambres noires ou claires, "Palace Hotel" de Busby Berkeley, "The grand Budapest hotel" de Wes Anderson, ou les aventures d'une photographe, auteure Sophie Calle, les histoires vraies de "Hotel" ou les chorégraphies en chambre de Osmosis ou Obadia Bouvier "La chambre", le"solo hotel rooms" d'Angels Margarit...Où se justifient lieu, dramaturgie, danse et texte à l'envi........Alors cet "Hotel Proust" inclassable au palmarès des étoilés part à vau l'eau en déconfiture et on sauve in extrémis le travail des comédiens qui montent les décors praticables, panneaux à claire voie ou table de DJ."Ce soir j’attends Madeleine", elle ne viendra pas, trop bien pour moi sans doute....  Comédie pessimiste genre Compagnie Tongue, la "langue en anglais" cet opus sidère et tétanise on l'on en sort médusé, paralysé, asphyxié par tant de haine, un peu d'humour, une once de dérision et beaucoup de nostalgie d'une radio-graphie des années de transition d'une société malveillante, désabusée, blessée par la cupidité, le sexe triste et les corps malmenés d'un pessimisme ravageur.Proust se restaurait chez Larue ou Prunier place de la Madeleine et fréquentait le palace Ritz : on aurait aimé cette «allure meringuée» pour mieux déguster bien chambré un millésime 1995 un peu moins bouchonné.

Au Maillon les 12 et 13 Janvier

 Mise en scène : Mathias Moritz

  • Texte : Antoine Descanvelle
  • Avec : Frédéric Baron, Débora Cherrière, Claire Rappin, Lucas Partensky, Vincent Portal, Romaric Seguin
  • Scénographie : Arnaud Verley
  • Dramaturgie, direction d’acteur·rice·s : Antoine Descanvelle, Mathias Moritz
  • Création lumières : Fanny Perreau
  • Création sonore et régie générale : Nicolas Lutz
  • Costumes : Élise Kobisch-Miana

À partir de 2001, Mathias Moritz construit un théâtre autodidacte avec un collectif d’acteurs strasbourgeois et met en scène des spectacles qui replacent à notre époque des figures fondatrices ou des états sensibles de la modernité. Il aborde dans ce cadre la révolution russe, l’underground ou l’héritage nazi. Fin 2006, il crée la Dinoponera / Howl Factory, compagnie avec laquelle il signera plus d’une vingtaine de mises en scène, dont la Trilogie de l’État Urgent qui marquera la fin de cette épopée entre 2017 et 2019. Le Groupe Tongue est créé au printemps 2019, et lance la nouvelle aventure théâtrale de Mathias Moritz dont Macbeth et Hôtel Proust (création 2022) seront les deux projets initiateurs.
Il est accueilli au Maillon avec Antiklima(X) en 2012 et Bovary en 2014.

vendredi 13 janvier 2023

"Exposition: la danse du temps suspendu" : danse in situ photo-graphiée, litté-rarifiée. Aux bancs de la danse-cité.

 


Irena Tatiboit crée des événements dansés, chorégraphiés et mis en scène avec l’association Le Carré d’Art. Les danseur.euses sont mis en relation avec des espaces publics emblématiques de Strasbourg, hors de leurs conditions habituelles – la salle de danse ou un théâtre. Ces spectacles, par nature éphémères, sont documentés par la photographie et les mots, trouvant alors une forme de permanence à travers l’objectif de Francis Gast et la plume d’Ambroise Perrin, puis la publication d’un livre. Les spectateurs deviennent des lecteurs !

La danse hors les murs mais pas hors sol se dévoile sur les cimaises comme un panorama urbain fixé par l’œil"objectif" d'un faiseur d'images Francis Gast, puis d'une plume alerte d'un écrivain-rédacteur poète Ambroise Perrin. Danse colimaçon au cœur d'une sculpture en spirale d'escargot, trônant aux abords de la place de la République: comme des petits soldats piqués dans cet escalator aux pentes douces, rythmées par une architectonique de plaques rectilignes. Les silhouettes y grimpent en ascension comme une parade sacrée, un cortège mystique votif. Autan suspend ton vol en apnée, en danse suspendue aux cintres d'un théâtre naturel, cité-ciné de plein air, de plaine ère. Hanté par les corps en suspend de ces jeunes nymphettes qui courent sur les rails du tram, pieds nus dans l'herbe, isadorables créatures de rêve. Absorbé par ces corps en collant académiques noirs alanguis dans les vasques du port Malraux. Enchantés par ces âmes dansantes au jardin de ST Pierre le Jeune, comme en danse chorale pour une cérémonie mystiques.Choeur et danse collective au sein de la cité, les chorégraphies magnifient l'estrade, le piédestal à contre courant du statuaire contemporain: les corps émergent, se dressent ou se ploient en osmose avec environnement et décor, artifice architectural ou berceau de verdure comme au parc de l'Orangerie ou aux jardins, parcs et espaces verts de la ville. Magnifier la danse in situ à partir de chorégraphies pré-existantes n'est pas simple calcul. Penser la danse comme prolongement rythmique et esthétique de la mise en espace des lieux publics, penser la danse comme élément vivant de l'occupation des sols! Eco conception du geste et de la place de nos atours corporels, comme un nombre d'or de la mise en scène. Irena Tatiboit fait dans l'excellence d'un concept rabâché: la danse hors les murs, comme autant de murmures soulignés par la plume vive et acerbe d'un écrivain de charme. Oser déposer des mots sur le mouvant et l'éphèmère sans les scotcher pour l'éternité. De même pour les photo-graphies qui dévoilent le cadre sans chichi de mise en scène ou de point de vue extra-divagants. Jardinet gothique du musée de l'oeuvre revisité dans ses interstices où se lovent les corps assoupis des femmes allongées en corps endormis, ensorcelés.La beauté des "décors naturels" révélés par la présence des interprètes, femmes tout de noir, ou de tuniques colorées vêtues,ambassadrices d'un message secret chuchoté par photographie et poésie. Architecture en pétales de fleurs, communion d'un groupe qui change et se métamorphose continuellement sous la direction d'une choré-graphe, écrivain, auteur d'une narration fantasque.

Et ô surprise, le soir du vernissage au 5 ème lieu, une performance inédite au sein du lieu d'exposition. Une flute animée par un musicien joueur , habit vermeil au corps pour accompagner une danseuse, de rouge vêtue, pieds nus. Déambulation sur tout l'étage prenant en compte les espaces architecturaux, voisins de ceux des paysages de la cité, évoqués sur les cimaises. Sur les blocs, cubes, sous les espaces tabulaires, les appuis de cette jeune femme qui danse, soulignent les fondements de cette gestuelle, ancrée, périlleuse qui s’immisce dans les failles de l'architectonique de ces praticables. Avec grâce et souplesse,  Clara Jehmlich, sur la musique de Baptiste Asenciose glisse dans les méandres de l'éther, aborde les reliefs et obstacles comme des partenaires et danse avec tous ces éléments, nous conduisant sur les dérives de la création chorégraphique in situ. Arcboutée, sensuelle,en alerte, épousant les formes déclinées par les modules spatiaux des salles d'exposition.Le voyage prend tout son sens sur l'île du territoire de la cité, vaste plate forme, estrade où la danse se déploie au sol en toute visibilité Encore un clin d'oeil à ce "socle" qui magnifie les corps des statues de nos parcs et jardins. Et  la danseuse, guidée par la musique en live,  se fait  faune d'un Picasso mouvant, ému par tant de poésie. Au final, une rêverie sur un banc public, comme épilogue à cette histoire utopique des corps composés pour vivre "confortablement" dans le mobilier "national" de la cité revisitée dans tous ces centres d'évolution publics.

Évènement se déroulant au 5e Lieu, 5 place du Château, 67000 Strasbourg

Du lundi au samedi de 11h à 18h – attention dimanche fermeture à 17h 

Publication du livre « La danse du temps suspendu »
"Avec des élèves du Carré d’Art, nous avons crée une vingtaine de moments-spectacles-éphémères dans des jardins remarquables, des forêts ombrageuses, des champs prometteurs et d’autres espaces verts de la Ville de Strasbourg ; c’est ce qui a motivé la création du livre « La danse du temps suspendu ». Son titre est une référence très précise du moment, dans le déroulement d’un mouvement, où la mobilité s’arrête momentanément… et cette suspension du temps est devenue notre actualité. "Vous pouvez acheter le livre sur le site : www.editionsbourgblanc.com