Fraîchement sortie de l’atelier d’illustration de l’école des arts décoratifs de Strasbourg, [1] Marion Fayolle propose un livre étonnant, dont la sensibilité des histoires se lie à la délicatesse du trait. Cet album est composé de plusieurs récits muets, qui s’apparentent plus à des scénettes, chacun faisant généralement une page et étant indépendant des autres (les plus longs sont découpés en autant de planches autonomes).
Cet ouvrage est introduit par un texte intitulé « L’art d’élever un dessin » écrit par Didier Semin. Ce dernier est professeur d’histoire de l’art à l’école nationale supérieure des beaux arts de Paris, a été conservateur de musées prestigieux dont le centre Georges Pompidou et a ainsi assuré le commissariat de nombreuses expositions. Cette longue présentation du personnage a pour seul but de montrer qu’avec ce livre, Marion Fayolle a su toucher un autre monde que celui de la bande dessinée. Ses planches engagent en effet un discours qui, par sa plasticité et sa sensibilité, arrive à subjuguer un lectorat qui n’aura pas l’automatisme de se tourner vers des ouvrages de littératures dessinées (pour reprendre le terme d’Harry Morgan). Je ne m’attarderai pas sur ce texte de Didier Semin qui, malgré tout le respect dû à ce théoricien, me semble peuplé de nombreuses confusions et approximations qui ne rendent pas forcément justice au livre. Retenons seulement deux choses : la première est la citation de Kafka qui rapproche de façon pertinente l’univers de Marion Fayolle avec celui du théâtre ; la seconde est l’atteinte de la grâce d’un dessin par son état d’épure (sentiment que je partage volontiers mais qui aurait été intéressant d’être plus développé par un tel théoricien, tant l’argument peut être facilement réfutable [2]).
En effet, par leur élégance, les dessins de Marion Fayolle semblent d’une grande simplicité. Il y a dans son trait une volonté non pas de montrer mais bien plus d’exprimer. On pense alors aux personnages de Ruppert et Mulot, sans visages, mais dont les sentiments et émotions vont passer par leur posture (la comparaison avec les deux auteurs ne s’arrêtant pas ici). De plus, Marion Fayolle présente avec ce livre une technique assez innovante qu’elle a développée elle-même et qui enrichit radicalement son dessin. Pour faire simple, disons que l’auteur crayonne ses planches, les scanne, fait une mise en couleur par l’informatique, imprime seulement les couleurs, les reporte sur du papier et finit par un encrage au Rotring (stylo à encre très fin). Ainsi, sur le papier, il y a d’abord des tâches de couleurs que l’auteur incarne ensuite avec son trait. Il y a alors un choix à faire sur les parties à cerner ou à laisser, sur les traits à exprimer par l’encre ou sur les surfaces que l’auteur laisse exister par le découpage de la couleur, des éléments qui vivent déjà. Ces décisions font vibrer les dessins, affirment une certaine maturité dans la sensibilité de l’auteur. Elles reposent sur des sensations de rythme dans les traits, d’un équilibre de la composition auquel il faut être attentif. Si ces questions sont présentes dans n’importe quelle image, elles sont plus ou moins pertinentes selon les auteurs, et plus ou moins visibles. Marion Fayolle en fait l’essence de son dessin, et c’est ici qu’elle touche à une certaine épure, dans ce jeu constant d’équilibre et de rythme que renferment ses planches. De plus, cette technique de mise en couleur permet d’obtenir des tons délavés assez doux, qui installent une ambiance homogène avec le ton des histoires.
Le découpage de l’action, sa mise en espace dans la page et le lien qui relie chaque dessin sont aussi des plus intéressants, notamment dans la constante évolution qu’ils vont avoir tout au long de l’album. Il y a bien entendu des relations fortes entre toutes ces histoires, le livre formant une unité harmonieuse. Les planches n’ont pas de cases, les personnages sont souvent seuls présents dans la page, avec si nécessaire quelques accessoires. Leurs mouvements, actions sont méticuleusement représentés et donnent l’impression d’avoir des planches de Muybridge devant les yeux. C’est ici que peut se faire un second lien avec les récits de Ruppert et Mulot, dans cette décomposition de l’action qui témoigne d’une appréhension particulière de l’ellipse. Loin de vouloir jouer la carte de l’efficacité comme sont souvent, à juste titre, décrites les planches d’Hergé (pour prendre l’exemple le plus connu), ces auteurs prennent le temps de l’action en la sur-découpant. Il y a alors un jeu sur l’élongation du temps intéressant et assez rarement amené à ce paroxysme, qui donne l’impression que l’action s’écoule plus lentement. [3] Mais alors que la volonté de Ruppert et Mulot est plutôt de bien expliquer les actes, dans des passages qui naviguent entre la didactique [4] et le film d’animation, [5] Marion Fayolle va plus vers la poésie, tire ses séquences vers une sorte de contemplation. Les espaces temps entre les dessins varient ainsi souvent. On cherche plus à suggérer un mouvement, une action, que de le montrer dans ses moindres détails. La planche des ricochets (page 26) est certainement celle qui met le plus en évidence ce travail ; dans cette séquence, il est difficile de reconstruire avec exactitude le mouvement de lancé du personnage, et certaines postures qui se suivent peuvent même faire contre sens. Il se crée alors une tension certaine entre les images. En négligeant ainsi les codes classiques de la séquence, Marion Fayolle propose une expérience de lecture bien particulière et fait preuve d’une grande liberté narrative.
Dans ces histoires, la symbolique est au cœur de la réception de l’œuvre. Le sens métaphorique de ces planches est appuyé et révélé par un titre qui introduit chacune d’entre elles, seul texte présent dans ce livre (en dehors de la préface bien entendu). On rencontrera aussi un certain nombre de signes qui reviennent plus ou moins régulièrement comme celui de la maison par exemple. En plus de donner du corps à ce recueil, ils révèlent quelques obsessions de l’auteur. En se livrant à une interprétation similaire à celle des rêves, le lecteur saura facilement se réapproprier ces images, les faire siennes afin qu’elles produisent un discours qui lui sera personnel. Ainsi, ce livre ne force pas à réfléchir mais propose, à mi-voix, une invitation à aller plus loin.
L’homme en pièces est un livre surprenant, reposant par la délicatesse des images de l’auteur, le calme de la narration, et enfin par ces couleurs presque fanées. Elles leur confèrent un coté suranné qui est dynamisé par un trait en proie à des problématiques graphiques bien contemporaines. De cette technique si particulière qu’elle a développée, Marion Fayolle a su bâtir un univers fort par sa cohérence, dont le principal mystère reste maintenant de voir dans quelles directions il évoluera.
[1] C’est dans cette école qu’elle a notamment monté, avec deux camarades, le magazine Nyctalope, plateforme d’expérimentations des plus intéressantes. Principalement centrée sur le dessin narratif, Marion Fayolle y a déjà publié quelques unes des planches de ce livre.
[2] Je ne peux m’ôter de l’esprit cette citation de Giacometti : « Plus on en met, plus il en manque ».
[3] Je pense alors au cinéma, et plus particulièrement aux vieilles caméras qui fonctionnaient à la manivelle. Cette manivelle était reliée à la pellicule de la caméra. Le cameraman la faisait tourner à une certaine cadence, exposant plus ou moins de pellicule pendant un certain laps de temps. Ainsi, plus il tournait vite, plus le nombre d’images impressionnées se multiplie.Un ouvrage hors du commun!!!!
1 commentaires:
Tout le monde fait l'apologie de son dessin et de son univers alors qu'il est copieusement inspiré par celui de Marcel Dzama qui semble inconnu de tous en France et bénéficie d'un certain prestige ailleurs.
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