Ce sera à Gisèle Vienne de relever le défi, de ne pas mettre en scène des "monstres" quasimodos d'un langage commun mais émis par les tripes, cette région du corps pas toujours très catholique !C'est parti, la curiosité est aiguisée par le sujet et les notes d'intentions: des ventriloques, des "vrais" sur scène ? Avec ou sans micro, nichés où ???Sur le ventre?
Neuf comédiens, manipulateurs arborent chacun une créature, hybride ou pas, petite reproduction humaine pour certain, bestiole étrange pour d'autres et un coussin, fantomatique, sculpteure à la Brancusi, lune étrange et émouvante... Un beau "bestiaire" à l'affiche qui exprime ses sentiments au travers de la paroi abdominale des hommes et femmes de ce casting étrange. Eux aussi vont exprimer par l'oralité leur fantasme de parents toxiques, manipulateurs de leur progéniture au cordon ombilical à peine ou pas, coupé!
Très beaux moments sensibles ou pathétiques, humains et débordant de mordant, de surprise et de subtilité. Ce congrès de ventriloques, des vrais! , rappelle celui de Juliette où des chérubins se réunissent et causent, livrant leurs doléances, leurs revendications ou simplement leurs idées sur le monde des humains. Denis Cooper pour les textes, le Puppen Theater Halle pour troupe soudée de performeurs aguéris et l'on s'envoie en l'air avec eux pour le plus grand plaisir du fantastique et du trivial, de l'incongru qui agace et titille alors que sur scène assis sur leur chaises, les protagonistes déversent paroles et gestes.
Parents castrateurs ou tutelle bienveillante, ces géniteurs sont bien des "manipulateurs" et leur soumises progénitures, des petites merveilles d’obéissance ou d'indiscipline !
Quand la grenouille verte perd ses eaux et donne naissance à son petit, sa patronne l'essore et c'est fini: c'est ainsi et il en va pour tous jusqu'à leur mort bercée par une infirmière, démiurge de la vie qui les soumet à une berceuse mortifère.
Le petit peuple est décimé et l'histoire est finie, surement pas d'"après une histoire vraie" !
Lorsqu’on regarde le rôle des ventriloques dans la littérature ou dans le cinéma, ils sont en général dépeints comme des personnages perturbés, voire criminels. Cela créé des stéréotypes autour des ventriloques qui sont très récurrents. C’est quelque chose que j’expérimente aussi en tant que marionnettiste. On nous demande souvent si nous vivons avec nos marionnettes ou si nous leur parlons… J’ai envie de dire que nous ne sommes pas plus fous que la moyenne ! La plus grande suspicion est celle de la schizophrénie, qui est évidemment fausse : l’exercice du ventriloque n’est pas différent de celui du comédien ou du pianiste. »
Il est vrai aussi que, contrairement à la marionnette qui a su, petit à petit, gagner ses lettres de noblesse en tant qu’art du spectacle vivant, la ventriloquie, qui nécessite pourtant de la virtuosité, est souvent associée à un environnement plutôt forain, comme les magiciens ou les comiques. Gisèle Vienne avait déjà utilisé la ventriloquie dans une création précédente en 2008, Jerk, un solo avec Jonathan Capdevielle.
Pour elle il s’agit aussi, à travers ces spectacles, de faire reconnaître ces performances comme des démarches artistiques à part entière :
« Dans les faits, cela a aidé à générer un nouvel intérêt. Des cours de ventriloquie ont par exemple été proposés ensuite à l’école de la marionnette, et des jeunes marionnettistes s’y sont intéressés suite à Jerk. »
Réunion « en famille » dans le Kentucky
La convention annuelle du Kentucky souligne encore cet aspect « divertissement », en accueillant toute une série de « numéros ». Gisèle Vienne, qui est allée explorer l’univers de cette convention in situ, a été frappée par la diversité des profils des gens qui s’y retrouvent, et par cette joie qu’ils ont à pouvoir partager leur passion.
« Lors de la convention il y avait une sorte de solidarité, de gentillesse : la bienveillance d’une atmosphère familiale, où les gens se connaissent depuis longtemps. La ventriloquie n’est pas une passion qu’on peut facilement partager avec plein de gens, il est sans doute plus facile de trouver des gens pour faire du mountain bike dans son quartier… J’y étais avec Estelle Hanania, une photographe avec qui je travaille beaucoup, et j’avais demandé leur autorisation aux gens de les filmer et de les photographier. On nous a donné l’autorisation en nous disant d’emblée : « nous voulons être sûrs que vous ne vous moquerez pas de nous. » Je comprends cette inquiétude, la peur qu’on les dépeigne comme des gens bizarres, tordus… »
Gisèle Vienne explique que dans The Ventriloquists Convention, elle évoque les ventriloques tels qu’elle les a rencontrés, tels qu’ils existent aujourd’hui : il y a indéniablement un aspect documentaire dans ce travail. Pour autant le spectacle est une fiction, « une pièce qui met en scène des personnages qui veulent faire des pièces humoristiques. » On y retrouve cette solitude dramatique du clown en coulisse, mais aussi des interactions très drôles.
Au TJP jusqu'au 24 Mars en coproduction avec Le Maillon dans le cadre du festival "les giboulées"
La vidéo ci-dessous (en anglais) a été tournée lors de la création de The Ventriloquists Convention en Allemagne en août 2015 :
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire