lundi 13 juin 2016

"La nuit transfigurée": Schoenberg danseur!


LE JEU DES ÉMOTIONS HUMAINES
Vingt ans après une première version « grand format », Anne Teresa De Keersmaeker focalise sur la théâtralité du duo son interprétation de l’œuvre de Schoenberg.

Le tumulte d’une nuit nue et froide au cours de laquelle une femme confie à son amant qu’il n’est pas le père de l’enfant qu’elle porte, mais où tout finit dans un pacte d’amour mutuel. Ainsi va cette romantique Nuit transfigurée, composée en 1899 par Arnold Schoenberg à partir d’un poème de Richard Dehmel. En réponse à Schoenberg, qui indiquait que sa musique « se limitait à peindre la nature et le jeu des émotions humaines », Anne Teresa De Keersmaeker en a déjà signé une transposition chorégraphique « grand format », en 1995 à l’Opéra de Bruxelles. Vingt ans plus tard, elle resserre le cadre, et tout en s’appuyant sur la version pour orchestre à cordes enregistrée par Pierre Boulez, focalise son écriture sur « la théâtralité intrinsèque du duo » avec un troisième homme dans le tableau d’ouverture. Soit une épure tragique, celle du triangle amoureux.  

Jean-Marc Adolphe


Alors que reste-t-il de ses émotions perdues, passées par rapport à une oeuvre "remontée", restaurée, resurgie du répertoire de la danse contemporaine, de sa mémoire qui se construit singulièrement, mais surement? Un immense plateau nu pour une course éperdue d'amour, d'étreintes , de silences singuliers comme seule De Keersmaeker sait les inscrire dans l'espace.
Un déferlement d'écriture, ponctuée par la musique, rehaussée par le talent d'une démiurge de la chorégraphie: suspension, halètements, répétitions à l'envie d'un leitmotiv qui s'imprime déjà dans nos mémoires immédiates: un trio, un couple qui s'étreint, se cherche, se glisse dans les failles et les interstices du corps de l'autre.
Une composition, partition graphique et organique qui épouse un chef d'oeuvre de la musique moderne, et la magie de l’inouï, de l'indicible opère et s'écrit devant nos yeux, avec un souffle inoubliable et contagieux.Beauté du geste qui se répète, poses ou attitudes comme des postures légendaires, se dessinent et s'effacent, s'oublient déjà et reviennent à l'assaut
Un homme, une femme qui dansent éperdument, dans une urgence, un affolement sidérant à vous couper le souffle: histoire vivante de deux corps, deux âmes en proie à des excès , de effusions troublantes qui sèment le dsordre, la tempête et récoltent l'amour
On songe à d'autres duos de Anne Teresa sur des musiques de Bartok, Microkosmos immortalisés dans le film "Hoppla" où les corps s’étreignent et se repoussent, se doublent et chavirent à foison
Au duo de Gallotta des bergers qui s'attrapent dans "Les louves et Pandora"....Bref du bonheur à l'appui, de l'irrévérence, du défi dans cette course où les protagonistes se heurtent aux obstacles du destin, retournent éternellement au point de départ pour jouir et goûter aux sensations et nous les faire partager: pieds nus, robe banale, costume sombre: nos héros nous ressembleraient-ils?

Au théâtre de la Ville à Paris

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