vendredi 20 juillet 2018

La DANSE dans le 72 ème Festival d'Avignon 2018 : engendrée par les corps fantasmés !

Ces visages d'enfants, unis par une camisole commune: ils nous regardent, anges ouvrant de leurs trois clefs les portes du Palais....Claire Tabouret nous interpelle, Olivier Py nous secoue....Sur le sentier de la mule, la danse fait ses rondes, ses entrelacs, ses croche- pieds et pieds de nez aux conventions....

Alors, allons direct dans le "vif du sujet" !!!

Sujets à vif
programmes A et B


"La rose en céramique" de Scali Delpeyrat et Alexander Vantournhout
Rrose Selavy
Il est son double articulaire, danseur, clone de ses sentiments, double de son destin; l'autre, c'est un homme "normal" qui se souvient et s’embarrasse de tas de choses pour bloquer son chemin, entraver sa course. Les objets le hantent: serviette brodée ou lave vaisselle contenant souvenirs et passé.Tous deux occupent le plateau du Jardin de la Vierge et l'un questionne le monde: ce qui est "important",  c'est de discerner ce qui l'est de ce qui ne l'est pas ! En désillusion, désenchanté, il clame tandis que son ombre, compère le manipule ou se contorsionne savamment dans de beaux engrenages de gestes virtuoses. Torse nu, en short, ils se séparent, se retrouvent dans des entrelacs de corps. Évoque un point noir en cicatrice sur fond de violoncelle. Et si "Rrose Selavy" gardons notre rond de serviette brodée dans nos cœurs et avec eux allons sur les chemins de traverse: le lave vaisselle qui lui servira de tombe ou de cercueil se chargera d'essorer la nostalgie !


"L'invocation à la muse" de Caritia  Abell et Vanasay Khamphommala

Eros et Tanatos
Un homme en blanc, masqué de rouge, cloche et panier de fleurs tel un colporteur fait son apparition, quasi aveugle, tâtonnant l'espace. Observé par une gente damoiselle, qui s'installe en partie de pique nique.Il invoque des esprits en litanie religieuse, il sort des objets de culte de pacotille: alors elle se métamorphose en sorcière, le déshabille et s'adonne à un rituel d’envoûtement: docile, il se laisse faire se transformant lors de ces jeux dangereux: ligotage, flagellation, violences au corps consentant: addict au fouet, aux épingles à linge, comme dans un rituel SM. Hommage au soleil et aux fleurs, plumes piquées à même la peau, voici notre fétiche emplumé chaussé de talons hauts révéler son identité: statue christique magnifiée. Ils valsent , lui paon paré pour la parade, elle, déesse de la métamorphose. Tout s’efface sur un chant baroque, Euterpe s'évanouit, Echo demeure et les muses s'amusent !


"4" de Mathieu Delangle Nathalie Maufroy et Claudio Stellato

Le "clou" du Vif
Un panneau en contre plaqué, un établi, des clous et le décor est planté! Un être hybride, mi homme mi cheval à la tête de mule, en slip s'adonne à un savant jeu de clous avec un marteau. Il s'acharne, s'épuise dans un rythme de percussion, de travail, de forge! S'échine à soulever l'établi, fait sa musculation, comme sur un cheval d'arson,  Des bruits de scie qui tranchent le panneau vertical l'alarment: un passe muraille s'en libère, déchire la paroi et s'enfuit avec son praticable, en marche. Comique, humour désuet, absurde, ici on scie en cadence sa branche sur laquelle on est assis Accroupi en fakir on échappe à son sort , on se crucifie les pieds pour en faire des chaussures de sécurité de bois pour une danse de sabots, ou un périple en ski de fond.Entrave, handicap et autre facéties pour ces quatre sans clous qui n'ont pas la langue de bois.


"Toc toc en toc" de Sophie Bissantz et Meriam Menant

Très poly-sons !
En écolière, voix éraillé, elle improvise pendant le démontage de l'atelier de menuiserie précédent, harangue et sourit, maline, féline et espiègle. C'est Meriam Menant, clown défroquée qui va se confronter à sa "bruiteuse" en direct: pas un pas sans sonorisation drolatique, issue d'objets hétéroclites pour imiter sons et bruits. C'est un duo tonique et inventif, à fleurs de résonances multiples où l'absurde côtoie le quotidien d'objets détournés de leur fonction pour imiter la réalité. Seulement ça se complique énormément et les situations sont cornéliennes. Une porte ouverte ne peut faire de bruit: alors comment la franchir sans s'affranchir du son du loquet? Ici tout est raccord et la scripte doit tout remarquer pour ne pas faire d'erreur!
 Incongru et poétique, cette performance se conclue par la mélodie"Au bord de l'eau" de Fauré, jouée au petit piano mécanique, jouet d'antan  pour mieux passer le temps sereinement sans embûche ni casse tête.
Poly-sons à souhait, polisson à vos souhaits!

Programme C


"Le bruit de l'herbe qui pousse" de Thierry Balasse et Pierre Mifsud

L'Instant T
Du larsen, des échos des inventions sonores paternelles Thierry Balasse a conservé des empreintes indélébiles: bidouilleur de son en direct, il nous fait ici avec la complicité de Pierre Mifsud, comédien, une jolie démonstration de savoir non-faire !
Ralenti du son, capture de l'instantané, du silence, invention du son fixe: c'est une obsession salutaire qui les traverse et passe le relais au spectateur. Exposé-conférence cet opus est drôle on y apprend plein de choses sur l'univers, le temps: le passé serait devant nous pour élargir notre espace,un son cristallisé crée de la lumière....L'univers n'est pas silencieux, ses vibrations, pulsations seraient les premières notes de musique!
Que de surprises et de révélations qui éveillent curiosité et âme d'enfant émerveillé par cette science à portée de mains. Un récit magique d'un rêve de petit garçon en pyjama parti pour Alpha du Centaure en compagnie des paons de la tapisserie de la chambre d'enfant, est un instant majeur.
Très belle envolée lyrique au pays du son où au final du haut de la grande fenêtre de la Cour de la Vierge les deux compères regardent le temps passer sans se lasser ni être dépassés: encore une petite "Sérénade" de Poulenc?


"Georges" de Mylène Benoit et Julika Mayer

A tombeaux ouverts
Deux femmes, vêtues de noir racontent l’odyssée de marionnettes usées, revenue d'un long périple de spectacles. L'une raconte et décrit l'anatomie de ces êtres de chiffons ou autre matériaux Six caisses à claire voie en sont emplies comme des fœtus dans des bocaux de formol.
 Une voix off, aux accents germaniques évoquent le destin de chacune.Habillées de leur carcasse avec os, atlas, c^tes flottantes et autres abattis.Une est comme une femme nue, manipulée encore devant nos yeux, l'autre est de matière grise et se secoue sur une musique techno. Comme des trophées, des macabés elles nous scrutent puis sortent une à une de leur coffre translucide.C'est jubilatoire ou morbide, peut importe, les images sont fortes et éloquentes: un pilier de deux corps serrant une marionnette fait mouche sur fond de musique médiévale: pilier des anges mouvant sur polyphonies lointaines.
La relique, les ossements et si la tombe de Georges avait les bonnes mensurations pour l'ensevelir comme un humain? Le trou, le cercueil de la mémoire pour tombeau: une "concession" se libère, alors allons y sans concession, libres et sereins
La pièce est étrange et interroge sur notre rapport à l'effigie plastique, reproduction quasi à l'identique du corps humain comme chez les plasticiens Duane Hanson, Toni Matelli ou Ron Muek.
Les deux actrices gisant parmi ces gisants dans le cimetière sous le soleil: le lieu reprend ses droits et la Vierge veille à la paix de cette sacrée scène!

Une fois de plus les "Sujets à Vif" font preuve d'audace et de décalage, mêlant disciplines et acteurs, auteurs et musiciens dans un vaste champ d'investigations indisciplinaires!




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