vendredi 20 juillet 2018

Les Hivernales 2018 : on (y) danse aussi l'été : pour sur et dans l'éclectisme !


" Inaudible" chorégraphié par Thomas Hauert

La mélodie du bonheur, la gaieté lyrique
En prologue, une sculpture de corps, mouvante s'offre au regard. La musique plutôt comique et enjouée donne le ton: la mêlée est belle et promet le meilleur. Fondu au noir comme au cinéma et c'est Gershwin qui prend le relais et ne cédera plus sa place avec le "Piano Concerto en Fa Allegro": par extrais, on en suit les aventures, les tectoniques et la jovialité comme dans une bonne comédie musicale: gaieté lyrique et mélodie du bonheur pour ces six danseurs qui modèlent l'espace, chacun dans sa gestuelle, sa morphologie, son âge. Interruptions, reprises, petites démonstrations de savoir faire pour chacun: gestuelle enroulée, segmentée: chacun semble y incarner un bout de phrase pour une syntaxe syncopée, ponctuée curieusement de multiples signes: interrogation, parenthèse, exclamation... C'est aussi la parade carnavalesque, costumes seyants de cirque, de présentation ludique des corps dans une danse, tout style confondu.Quelques arrêts sur image et tout reprend. Un beau solo burlesque d'un homme en costume de parade sur une musique de film, avec aisance, désinvolture et nonchalance. On est dans des univers familiers de comédie musicale, de cartoons et ça fait du bien ! Le danseur se cherche dans une mécanique incroyable dans sa combinaison de fête et ça fonctionne bien.Comédie de la vie de groupe, gaieté contagieuse, jovialité d'une musique "gonflée" à bloc, emphatique et parfois grandiloquente. Mais n'est pas Gershwin qui veut.Les images défilent comme au cinéma, les corps jubilent et se perdent dans la dépense, l'effort, la danse endiablée.Le souffle est repris après cette performance, dans le silence, le calme revient: les entrelacs savants de corps en fusion, jambes dressées, enlacées, enchevêtrées.Donner à voir la musique de façon débridée, en tous sens, lasse cependant et fait place à des répétitions et reprises parfois inutiles. Au final, encore une belle sculpture mouvante sur les sons inouis de Mauro Lanza, sorte de zoo musical fabuleux, comique et évocateur de joie.Maillage des membres de chacun, jeu de légo en pièces détachées comme des jouets savants qui bougent, roulent, s'exposent. "inaudible": symphonie jubilatoire pour danseurs épris de musicalité, partageux, désireux de plaire et heureux de composer avec une partition joyeuse, simple, "populaire".


"Phasme" chorégraphié par Fanny Soriano, compagnie Libertivore

Prédateurs
Une bête à deux dos qui s'enroule dans le noir, se projettent, se déchire...Deux corps soudés qui s'enlacent, se cherchent, esquivent sans se lasser de leurs gestes gémelles, emmélés...Trouble de la vision que cet opus, duo miracle qui oscille entre danse et densité-gravité à fleur de déséquilibre. Il est grand, elle est fragile mais si forte dans ses réceptions, dans son enracinement qui l'a conduit jusqu'au nirvana de l'éther. Inséparables complices, on sent un prédateur et une mante religieuse en un combat animal singulier: osmose, union sacrée des deux créatures, divine et secrète unisson des corps au diapason de la chair si proche, indissociable corps commun, corps à corps sur une musique galvanisante. Short et tenue sobre pour un huit clos amoureux très réussi, où l'énergie fait face à la détente, à l'abandon. Très convaincante cette pièce de "Libertivore" fait des deux interprètes, Vincent Brière et Voleak Ung, un couple parfait, au sein d'un berceau de feuilles accueillant, éparpillé et plastiquement efficace! En toute liberté, dévorant l'espace avec fougue, rage et passion.


 "Black Belt" chorégraphié par Frank Micheletti

Afrotopia
Un carré de néons rouges, ras du sol "encercle"un corps à la peau noire dans l'obscurité d'une sombre réalité, un contexte politique que l'on imagine, hélas, trop bien.Jamais dans la désespérance, mais dans l'errance, ce solo, habité, vécu , taillé sur mesure pour Idio Chichava décale une visio évangélique du migrant, de l'exilé, du déplacé. Il se bat, se débat, résiste, cède, désespère ou se cabre.Alors que l'espace autour de lui s'ouvre, s'élève. Les barrières demeurent cependant et menacent, lui semble s'ouvrir, s'élever malgré cet emprisonnement, cet enfermement géo politique.Et la liberté de se rétrécir où se configurer toujours à ce rectangle omniprésent. Émotion et empathie de rigueur pour ce très beau solo, signé de la patte rebelle et franche d'un trublion de la danse, jamais les bras baissés, toujours les mains ouvertes vers l'altérité et la poésie de l’indicible.


"Feu" chorégraphié par Bérangère Fournier et Samuel Faccioli de la Vouivre

Salves et rafales
Un environnement plastique, évoquant le va et vient,  interstices de passages furtifs, décalés, en cascades et fugues incessantes, le tout éclairé en coupes cinglantes. C'est du Marey ou Muybridge, impressionnant de rapidité et de rémanence rétinienne. Choc du rythme et de la musique omniprésente, en rafales, en salves décapantes. Les corps s'affolent, disparaissent, réapparaissent dans les creux et les espaces à conquérir au plus pressé!Dans l'embrasure de ces trois portes, la décomposition des mouvements opère sur fond de décibels  oppressants.
La danse y est binaire, cathartique, affolante et le propos en icônes furtives, dénonce progression, humiliation, harcèlement dans des attitudes ou poses évocatrices de corps contraints.
La tribu est farouche, brutale et sans concession: l'image des corps traqués, intranquilles, bousculés est réactive et opérationnelle: on sort abasourdi, remué, pas "enchanté" de ce troublant tableau cinglant de l'humanité crue et abrupte.

"L'iniZio" chorégraphié par Amine Boussa Cie Chriki'Z


Miserere, salvum me !
Au début était le "geste", constitutif du corps commun de la genèse. Corps démantelé d'une horde d'êtres quelque peu secoués de gestuelle hybride, mal définie. Cinq danseurs s'attellent à interpréter cette ode ambitieuse au monde avec détermination et bonne volonté Mais Arvo Part ou  Allegri ne parviennent pas à nous emmener dans cet univers qui patine, recule ou avance pour faire décoller un propos légitime. Beaucoup de fatigue pour des gestes convenus, conventionnels et consensuels: la banalité fait surface et ennuie: même les contre ut du Miserere ne parviennent à élever notre pensée qui stagne et que plus rien ne réanime.


"De(s) personne(s)" chorégraphié par  Julia Coutant et Eric Fessenmeyer, Cie La Cavale

Restons groupés, famille , je vous aime ! Comme personne !
Corps commun, identité se font face et se regardent, s'insurgent, s'insultent ou savent s'apprécier à leur juste valeur. Ce beau conflit de générations s'entend et se regarde avec intérêt et écoute subtile. Cinq danseurs dont deux "doyens" s'emparent du plateau pour s'y rencontrer, s'y frôler, chargés de conter ce qui nous relie, nous attire ou nous sépare. Générations confrontées dans leur énergie respective, leur expérience, leur compréhension du monde ou leur rébellion!
Ce quintette fonctionne à merveille, éveillant le respect, la reconnaissance et la considération de l'autre. Bien faite et bien rodée, la pièce glisse et se fraye un chemin réflexif, structuré et dansé avec justesse et conviction. Du bel ouvrage, laissant libre la pensée, le regard et l'éclosion d'une douce émotion fragile et très "familiale" !


"Déjà vu" chorégraphié par Ting-Ting Chang de T.T.C. Dance

Bien vu !
De l’inouï pour du "Déjà vu" ! Cette impression que l'on a quand des événements, visions se chevauchent simultanément...
La  chorégraphe nous propose son univers visionnaire, très psychanalytique avec audace, surprise et séduction.Du très bel ouvrage pour sept danseurs, cinq femmes, deux hommes aux talents et techniques impressionnants. Costumes noirs très seyants, rectilignes mais épousant les mouvements fluides et énergiques de cet ensemble à l'unisson Du très pertinent langage dansé pour évoquer un phénomène bizarre, intriguant, secret et très en suspens....Hitchcock en vue pour cette ambiance spectrale et fantomatique, digne des icônes japonaises curieuses et intrigantes, yokais virulents, omniprésents dans cette danse complexe et raffinée.



"KNUSA insert coins" chorégraphié par Cindy Van Acker Cie Greffe

Pulsations lumineuses
A la fondation Lambert, la performeuse fait vibrer au sous sol l'exposition temporaire des photos lumineuses de Christian Lutz.Sous les pulsations électro de Mika Vainio, le corps de la performeuse se meut, s'invente un dialogue avec les espaces urbains du photographe. Des êtres isolés, déchus, mis en lumière, parias, oubliés du monde. Elle, seule, toute en noir, cheveux déployés, longs et masquant son visage. Des gestes tétaniques, angulaires, rectilignes, robotiques la parcoure, l'anime avec force Dans ces hautes solitudes, elle progresse parmi les spectateurs qui l'entourent Au sol, de longs déploiements de gestes, glissés, fondus, s’enchaînent. Captivés, les regards la font vivre et légitiment cette intervention pertinente au regard des images, vives, vivantes. Du pouls de la musique naissent les veines qui font circuler le sang du vivant.L'érection de son corps en fait une effigie perméable aux affres de ces visions urbaines scintillantes.




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