vendredi 3 décembre 2021

"Antigone à Molenbeek et Térésias" : deux monologues sans langue de bois!

 


Antigone à Molenbeek
Nouria, une étudiante en droit, qui vient au poste de police réclamer la dépouille de son frère parti rejoindre les rangs de Daech et mort dans un attentat suicide. C'est "Antigone" qui une heure durant va façonner son monde: celui d'être la sœur d'un jihadiste mort dans l'attentat suicide qu'il a commis: situation d'aujourd'hui au regard du personnage légendaire et mythique. C'est Ghita Serraj qui s'y colle, une Nuria douce et aimable, résolue et avec qui une empathie se tisse au fur et à mesure: longue chevelure noire, présence impressionnante et convaincante figure de l'inhabituel, de l'étrangeté de son sort.Destin qu'elle franchit en compagnie de quatre musiciens "virtuels" gravés en vidéo sur des panneaux grandeur nature: c'est bluffant et la simultanéité de leur jeu avec la musique et le jeu de l'actrice sont des éléments virtuoses de mise en scène. Son visage en gros plan, ses yeux écarquillés, la douceur feutrée de sa voix, tout concourt à nous guider dans son cheminement Le quatuor Debussy se jouant des poses, des silences, des image surdimensionnées ou rétrécies...Chostakovitch au poing sur le bout des cordes Intime confession et aveux d'une femme livrée à elle même face à une justice réinventée Le frère et sa filiation et adhésion sans limite de compréhension: sa rage est vitale et sa situation cornélienne, supplice et douleur, souffrance et sacrifice. C'est beau et prenant, tendu et les dessins qu'elle esquisse sur deux cadres de verre diffusent le flou, la confusion existentielle de cette héroïne légendaire méconnaissable Antigone d'aujourd'hui. Les praticables qui la soutiennent en décor et scénographie tectonique tracent et limitent son champ d'action et l'enferment malgré elle dans le carcan du destin tout tracé, comme dans celui de Stephan Hermans, dramaturge.

Tirésias

Un adolescent qui d’homme devient femme, puis prophète aveugle qu’on ne veut pas entendre. Dans le monologue de Kae Tempest, poetesse, se dresse derrière ce portrait d’aujourd’hui une silhouette antique de Tirésias.C'est la pièce suivante de cette soirée Cassiers: Valérie Dréville sera ce personnage d'apparence féminine dont elle garde la douceur, la malice et la tendresse.Dans le même décor elle évolue en phase avec les quatre musiciens sur panneaux-vidéo, se reflète dans les images vidéo simultanées, se dédouble et sème le trouble. Voix enjôleuse et sereine, assurée, attitudes et postures confiantes, très chorégraphique Habitée judicieusement de moult émotions et sentiments , musicale aussi, en dialogue permanent avec la musique.Elle malaxe son destin dans un réceptacle de farine, ses bras s'allongent en gros plan-vidéo comme une plage qui oscille...

Quoi de commun entre ces figures, ancrées dans le présent politique comme dans le passé mythique ? Une voix du refus d’un ordre étouffant, des assignations identitaires, culturelles, sociales, sexuelles, celle qui affronte le silence froid de l’institution en affirmant la nécessité vitale de l’empathie. Celle qui oppose un « je veux » à un « tu dois ». Guy Cassiers nous fait entendre ces paroles en miroir, dans un spectacle qui fait se rejoindre la technologie visuelle et la musique de Chostakovitch, enregistrée par le célèbre Quatuor Debussy.. Un diptyque qui est bien plus qu’une simple actualisation de la tragédie dans le présent : il révèle dans le présent la permanence du tragique.

Au Maillon jusqu'au 3 Décembre

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