Après plusieurs monologues beckettiens en compagnie de Denis Lavant, Jacques Osinski fait un nouveau pari, excitant et effrayant : Fin de partie, la grande pièce de Beckett, sa préférée. Tout à coup, il faut voir les choses en grand. Sommes-nous sur terre ?
Sommes-nous sur l’Arche de Noé après la fin du monde ? Peut-être est-ce déjà le purgatoire …
La pièce raconte un monde qui
s’écroule et donne la plus belle définition du théâtre qui soit : « Le
souffle qu’on retient et puis …(il expire). Puis parler, vite des mots,
comme l’enfant solitaire qui se met en plusieurs, deux, trois, pour être
ensemble, et parler ensemble, dans la nuit. » Et il faut voir évoluer Denis Lavant dans un rôle qui semble taillé sur mesure: un être "empêché" dans son corps boiteux, handicapé aux prises avec l'enfermement, la soumission, la défaite peut-être d'être humble et fataliste. Le personnage est à la fois pathétique et empathique, fort et faible dans sa résilience. Denis Lavant apparait au début comme pétrifié, médusé, hors sol, pantin désarticulé aux gestes mécaniques et précis, ciselés au millimètre près comme à son accoutumé. Ici on compte, on pense, on arpente le plateau du regard pour le posséder, alors que son acolyte aveugle sur son fauteuil roulant ne peut mettre pied à terre.C'est bluffant de réalisme, touchant et plus de deux heures durant, on suit ce dialogue d'aveugle ou de sourd avec enchantement et ravissement. "Ravi",dépossédé par la justesse du jeu des deux acteurs en totale opposition. Lavant qui escalade sans cesse le monde et l'extérieur sur son échelle du ciel pour ausculter le monde extérieur, perché, niché pour échapper à ce huis clos dramatique ou absurde: au choix. Le texte fluide, la réflexion déroutante, désopilante, parfois comique et redondante pour mieux souligner la reprise, l'effet de répétition qui malgré tout fait avancer une intrigue absente. Perte de repère temporel, cocasse prise de positions physiques de Clov, élastique, souple, malgré ses difficultés ostéopathiques. Denis Lavant en danseur de corde, agile sous des facettes d 'entrave, de perte de motricité, de handicap dus à l'enfermement, le manque de divagations quotidiennes du à sa "prison dorée" chez son maitre "chien" Hamm. Maitre qui sans laisse, l'enferme, le préserve, le soumet à son emprise toxique. Un Frédéric Leidgens fascinant. De mal voyant, tireur de cartes de château en Espagne. Ils sont tendres et féroces, implacables objets d'un destin sans destination, hormis cette "fin de partie" qui n'en finit pas de rebondir. En match d'"échec" où le fou se démène, le roi déchoit et les deux tours que sont les parents Nagg et Nell se confinent dans des tubes, des bidons d'essence débordant de lucidité. Les relations sont simples et complexes, servies par une mise en scène sobre et éloquente Comme ce verbe flamboyant de Beckett qui nous cloue le bec, ce gouffre où l'on se jette sans réfléchir au sauvetage. Pas de bouée ni de maitre à danser pour cette prestation d'acteur au sommet de leur art: la présence, l'engagement physique et au service d'un texte qui vagabonde sans soucis dans l’exiguïté du verbe, de la syntaxe. Du Beckett assurément!
Ce sont quatre personnages - Clov et Hamm, Nagg et Nell ; c'est un lieu clos - car au dehors, c'est "Mortibus" ; c'est une boucle sans fin ; c'est un temps inexistant ; c'est surtout des répliques, des dialogues, des relations entre les personnages magnifiquement mis en scène par le génie de Beckett.
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Denis Lavant (Clov), Frédéric Leidgens (Hamm), Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg)
Scénographie Yann Chapotel
Lumières Catherine Verheyde
Costumes Hélène Kritikos
Au Théâtre de l'Atelier jusqu'au 5 MARS
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire