L’une des plus grandes compagnies de danse contemporaine s’allie à 3 chorégraphes d’exception : après Skid, Damien Jalet propose sa nouvelle création, Kites. Imre et Marne van Opstal explorent les limites du corps et de l’esprit avec To Kingdom Come.
Kites, Damien Jalet
Après Skid, donné à Chaillot en 2019 et créé en 2017 à Göteborg, spectacle sidérant où les dix-sept danseurs de la GöterborgsOperans Danskompani évoluaient sur une pente inclinée à 34°, Damien Jalet crée Kites pour la compagnie suédoise. Pour cette nouvelle pièce, le chorégraphe franco-belge reconduit quasiment la même équipe qui a assuré le succès de Skid, avec le plasticien new-yorkais Jim Hodges aux décors et le styliste Jean-Paul Lespagnard aux costumes. La musique est cette fois signée Mark Pritchard, un proche collaborateur de Thom Yorke.
Signifiant « cerf-volant », Kites nous rappelle que la vie et la danse ne tiennent qu’à un fil délicat qu’une brise pourrait souffler. Mais son envol utilise et déjoue les forces contraires, tel l’espoir qui nous submerge et nous donne la force naturelle de résister.
Le plateau est investi par une sculpture magistrale de Jim Hodges, telle deux espaces volants, sortes de pistes de skate board ou de surf...Surgit une femme qui s'adonne à un magnifique solo, enivrant, possédé: roulades, enfilades de volutes gracieuses se fondant dans le sol, se répandant juste avant de se relever dans un rebond régénérant. L'énergie et la passion de la soliste qui l'anime sont foudroyants, captivants, fascinants. La première note est donnée pour cet opus étrange et vulnérable, touchant et parfois maladroit, tant Damien Jalet souligne et surligne son écriture à foison: après ce splendide prologue en introduction comme le début d'une odyssée à venir, d'autres personnages anonymes, de blanc vêtus comme des kimonos ou tenues d'entrainement de judo, combinaisons ouvragées de survie, s'adonnent à des ascensions, descentes effrénées de ses deux terrains de jeux: les plaques ondulées, concaves sont prétextes à des allées et venues sempiternelles qui au départ séduisent puis lassent rapidement...L'"Ascension de Mont Ventoux" ce n'est pas cela, ni l'envol de jeunes émules d'Icare, ivres de frénésies, de redites ou de répétitions.Le danger est absent, l'habitacle de cet espace singulier, très large et libre ne semble pas donner toutes ses pulsations, élans à ces créatures lâchées comme des salves dans l'espace. Le temps d'une tornade venteuse où Éole sauverait la partie en donnant des pulsations d'air ne parvient pas à gonfler les voiles de cette embarcation restée à flot...De l'air s'infiltre dans les vestes blanches qui se transforment en airbag de survie argentés...Ou bouées de sauvetage ou manchons, insignes de danger. Souffler n'est pas danser et ce gadget imparfait ferait plutôt sourire, désuet instrument de l'incapacité de l'homme à prendre son envol. Les deux hélices d'un avion échoué au sol ne peuvent évoquer la légèreté ou brièveté des vies évoquée dans cet ether évoqué. Les danseurs s'ingénient à simuler ces courses folles incessantes, glissades, surf ou autres divagations répétitives. On salue leur énergie qui dans un manque d'engagement et de détermination issus de l'écriture délayée ne parviennent pas à nous faire habiter non plus cet univers volage ou volatile, fugace ou instable à l'envi.
To Kingdom Come, Imre et Marne van Opstal
Imre et Marne van Opstal sont frère et sœur. Ensemble, ils ont dansé principalement pour le Nederlans Dans Theater 1 et 2, et pour la Batsheva Dance Company. Ils en ont tiré un style inimitable, qui allie à la fluidité du néoclassique des éléments théâtraux, une danse viscérale et brute qui puise à des questionnements existentiels. Leur travail parle de la condition humaine, des limites et des possibilités du corps et de l’esprit. Leur nouvelle création explore la manière dont les traumatismes influencent à la fois l’individu et son environnement. Projetant les formidables danseurs de la GöteborgsOperans Danskompani dans leur monde surréaliste aux confins du réel, les entraînant dans une gestuelle instinctive, aussi physique qu’émotionnelle, cette création confirme l’excellence de la compagnie suédoise.
Un cercle magnétique fait de terre battue ou de sable comme une arène sera le second terrain de jeu de la deuxième pièce de la soirée. Une femme s'y tient au bord de la ligne de démarcation entre le plateau et cette aire de jeu. Espace sensible qui évoquera le champ de bataille où les corps des danseurs viendront s'y lover, s'y répandre, s'y fracasser... Solo, duos ou mouvements de groupe époustouflants habitent ce cirque d'éléments minéraux instables, mouvants, accueillant ou repoussant les corps à l'envi. Pas d'esthétisme sur cette matière quasi organique qui sollicite ou répond aux investigations dansées des interprètes. Cela donne lieu à une dramaturgie savante et calculée, celle d'un désastre, d'une attente vaine d'une mère au bord du précipice de la douleur. Ou la beauté d'un duo fugace qui évoque amour, fraternité ou solidarité. Un univers étrange, émouvant s'en détache, parsemé de saynètes quasi comiques à la "danse gaga"à la Naharin , à des pieds flex et une danse de déséquilibré à la Mats Ek, toujours les bienvenues en citations ou inspirations folles. C'est dire si la danse des Von Opstal est vive, habitée, dramatique ou burlesque.. Très picturale à la Goya ou Delacroix, champs de bataille ou héros surgissant du groupe pour brandir l' étendard de la fraternité. La musique en contrepoint de Tom Visser pour rehausser l'atmosphère jamais morbide mais éclairant ce monde minéral. Les costumes au diapason.La compagnie "GoteborgsOperans Danskompani" en très "bonne compagnie" avec les deux chorégraphes inspirés, convaincants, dotés d'une "patte", dune "griffe" originale où la danse prend ses quartiers de théâtralité singulière au regard de mouvements prégnants, fluides, fugaces et volubiles. Graves et pondérés aussi dans cette logique d'évocation de tristesse, vacuité, attente ou folle désolation. Des pieds de nez burlesques en contrepoint, des mimiques ironiques et caustiques au chapitre et un vocabulaire pétri d'inventivité loquace à foison.
A La Grande Halle de la Villette avec Chaillot Théâtre National de la Danse, nomade. Du 7 au 10 JUIN
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