Et recommence cette singulière aventure du fond des bois chez les artistes Hugues et France Siptrott. En lien profond avec la nature. 15 comédiens accompagnés d'une équipe de bénévoles attendent avec l'impatient désir de partager le plaisir de re-écouter ou tout simplement découvrir Molière, notre contemporain. Sans public, pas de théâtre hors institution , le théâtre qui se fabrique ici est direct, se construit en circuit court à l'opposé de ce qui parait-il fait culture et sens aujourd'hui.
" Si vous aimez cette démarche, partagez ce post, faites un pas de côté et rejoignez-nous. Des impromptus, Les fourberies de Scapin, le Misanthrope , un plat surprise de "chez Anthon", quelques bons verres, un lieu d'art magnifique à découvrir ...et le beau temps de juin au rdv !!" Yan Siptrott
Et si le temps de Molière n'était pas révolu? Et si le théâtre de Mnouchkine était ressuscité, les tréteaux de Molière reconstruits au profit du jeu de proximité, du partage en direct comme une bonne claque placée où il faut pour réveiller nos habitudes "bourgeoises" de réception du "spectacle"...Chose faite et assumée pour cette belle et longue soirée de "dégustation" de théâtre classique. Au menu deux pièces majeures du répertoire , des entremets savoureux comme des impromptus pour mieux faire digérer les alexandrins magnétiques d'une "langue" châtiée si chère à Jean Baptiste Poquelin! Justement, le voici évoqué par deux comédiennes en "costumes d'époque", deux femmes hautes en couleurs, perruques poudrées de rose, de vert, pièces montées d'un "ridicule" précieux et assumé. En l’occurrence la savoureuse Sophie Thomann et la rabat-joie Isabelle Ruiz..Coiffées de "poufs" ou de surtouts de table!
Des propos sur le féminisme, la maternité, les classes sociales,le tout en verve, malice, audace et plein de "culot" comme ces deux effigies baroques d'une société qui n'aurait même pas changé. C'est dire si le ton de la soirée est donné, un "la", ni bémol ni dièse sur la condition humaine, ses affres, ses "magouilles", son système D , son amour et ses rivalités. Comme un répertoire de notre enfance où l'on fréquentait ces textes sans trop savoir pourquoi ni comment, mais en savourant déjà la langue, la musicalité, la beauté. Dans le contexte fabuleux du théâtre forestier, territoire de Yan Siptrott partagé à l'occasion par le comédien metteur en scène Serge Lipszyc, tout ceci fonctionne à merveille et le très nombreux public venu à travers bois et guérets va se régaler.
Démarrage en trombe donc avec ses tranches de jeu animé parmi le public, convié par la suite à s'installer près de l'étang, toujours en plein air. C'est parti pour un voyage en compagnie de Scapin, ce fameux valet célèbre pour ses astuces, son ingéniosité, sa capacité à rebondir, être dans le mille en phase avec les caractères de chacun de ses interlocuteurs. C'est Yan Siptrott qui s'y frotte et nous pique de ses acrobaties, roulades et astuces de jeu, toujours tonique, malin, engagé. Personnage burlesque ou pathétique pantin d'intrigues invraisemblables: mariage, amours, coups de bâtons, maris où pères abusés. Quelle belle galerie sur une estrade "moulée à la louche" comme autrefois, pente inclinée descendante à l'italienne sur tréteaux de fortune. Le risque est grand de déséquilibre, de bascule mais tous nos anti héros chevronnés ne se laissent pas abuser par cette pente savonneuse qui les met en valeur incertaine et audacieuse. Un régal que l'on déguste sans modération: tous sont "vivants" se taillent la part belle à interpréter dans une mise en scène ponctuée de "didascalies" sonores très imagées, Emma Massaux animale en diable, une diatribe satirique et mordante sur le valet de coeur, de pique que Scapin incarne aux yeux d'une société percluse de non sens, de bêtise ou de candeur. Des saynètes emblématiques comme des morceaux de choix où chacun excelle dans le vif du sujet et de la carne. Car ils sont de chair et de sang, ces personnages incroyables de justesse, de manigance, de douces trahisons et cette tribu bigarrée s'en donne à coeur joie pour enchanter et tenir en haleine un public friand de rebondissements, de coups de théâtres qui font du bien où ça opère! Des fourberies menées de main de maitre par le "maitre à jouer" Serge Lipszyc, qui va droit au but pour marquer des points dans cette ascension rondement menée jusqu'au final. Des clins d'oeil aux variétés musicales très appropriés aux situations sont irrésistibles: Bruno Journée offrant un Géronte désopilant, en "galère" pour magnifier cette ritournelle ravageuse, le "tube" de Scapin, Charles Leckler au diapason de son accordéon, poumon souffleur de bruitages adéquates... Geoffrey Goudeau édenté sous titré en direct...Et Magalie Elhinger prude et fragile Hyacinthe diaphane créature coquine en diable, ingénue sans reproche tout de blanc vêtue, cheveux débridés en répliques à point nommé! Patrice Verdeil en "Sylvestre", forestier de circonstance pour une belle prestation.
Un coup de "brigadier" bien placé !
On passe à un entracte joyeux, la "potée" au bec fin concoctée par des fins gourmets de renom, le couple Flaig de chez Anthon. Ambiance décontractée et partageuse comme il se doit. Quelques petits rendez-vous secrets par petits groupes pour évoquer la condition féminine en compagnie de Isabelle Ruiz tient une réunion tupperware à propos des femmes et de leur soumission à leur mari: c'est drôle et très bien amené si l'on songe à la suite: un Misanthrope bien décapant..C'est sur la placette que reprennent impromptus et diatribes, extraites de textes de Molière, du haut d'un balcon où l'on imagine des scènes truculentes de l'époque...On y tient le haut du pavé, où le bas du caniveau dans des costumes contemporains très adéquates.
En avant pour la suite: sur une estrade au coeur du domaine juste devant les sculptures en céramique des Siptrott qui vont s'avérer comme des personnages figés, répliques des vivants, tout de gris et de plis vêtus, sculptés à l'envi. Des figures prostrées, souffrantes, perturbées, penseuses,intranquilles comme des mannequins sculptés pour l'occasion. Beau mimétisme de circonstance.Et bienvenus dans cet univers théâtral atypique et singulier paysage champêtre, bucolique et forestier!
On croit connaitre ce "misanthrope, on croit s'y asseoir confortablement, et bien non: c'est par la grâce des comédiens que l'on re-sculpte chaque caractère: au début Alceste est rigoureux, entier et n'a de cesse que de dire sa vérité à la face d'un poète raté, Fred Cacheux en majesté!..Puis le jeu se ternit de souffrances, de quiproquos invraisemblables montés de toute pièces...Face à son amante, brillante Muriel Ines Amat, c'est un homme défait et furieux, Serge Lipszyc en personne qui se dessine. Son entourage est veule, vil et manipulateur et chacun des comédiens s'ingénie à rendre juste ces caractères si bien dessinés par Molière. Un tour de force décapant que ce Misanthrope contemporain sans chichi de perruques et autres gadgets encombrants. Le texte à vif, servi par une "troupe", une tribu solide semblable au temps de Molière et de ses tréteaux..Unis par le destin qui désagrège les personnages, où les femmes sont amies-ennemie mais ne se trahissent pas elle-même. Solides prises de positions amoureuses de Célimène, arrogance et jalousie de Arsinoe campée par une Blanche Giraud Beauregard très fourbe et flatteuse, tromperies et malversations des hommes qui flattent et encensent ce trio infernal...Les visages maquillés, maculés de terre grise comme les pantins qui les entourent, à la Kantor ou héros de May B du Beckett de Maguy Marin....Tout est dit et l'on suit en alerte cette diatribe si sérieuse, si authentique qu'elle en frôle le drame ou la réconciliation. Les hommes et femmes aux plis taillés dans le bois vifs, aux couleurs grises comme les costumes des comédiens, restent seuls derrière le plateau, témoins de ce passage à témoin, à vif d'une horde humaine frétillante et sauvage, domptée malgré tout par un "savoir vivre" et "être ensemble" qui ne tiendrait qu'à un fil...Du très beau travail de bucheron chevronné pour les deux piliers, castor et pollux de cette entreprise généreuse et pertinente: Serge Lipszyc et Yan Siptrott aux commandes d'une scierie artisanale aux fragrances d'antan...
Une "troupe" qui ne cache pas la forêt mais révèle ici des textes furieusement beaux et contemporains.
De l'audace toujours, du culot et de la dynamique énergétique à revendre!
Code 401bien authentifié pour anniversaire bien fêté! Moliére fait ses 401 coups de brigadier....
Jusqu'au 2 JUILLET Vallée de la Faveur
Avec : Muriel-Inès Amat, Fred Cacheux, Magali Ehlinger, Blanche Giraud-Beauregardt, Geoffrey Goudeau, Bruno Journée, Aude Koegler, Charles Leckler, Serge Lipszyc, David Martins, Emma Massaux, Yann Siptrott, Sophie Thomann, Isabelle Ruiz, Patrice Verdeil
1 commentaires:
Excellents des mots et du geste, de Molière au commentaire !!!
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