samedi 11 novembre 2023

Benedicte Bach: la coupe est pleine! "Jetlag" à la Pierre Large : le décalage horaire opère en règle.

 


Le travail de Bénédicte Bach se joue régulièrement d’arythmie et d’atemporalité. Une rhétorique poétique habituellement construite avec du détail, de l'abstraction, des escapades symboliques pour s’éloigner du réel. Après avoir exploré des matières et des métaphores, cherchant à suspendre le temps et en révéler la substance poétique, elle nous offre ici un regard plus intime, plus personnel peut-être, plus engagé. La poésie distillée ici est plus radicale et prend des accents d’un discours féministe. Les choses se transforment, sous nos yeux, le trop plein, le goutte à goutte, les matières s’imbibent, s’évaporent, s’émancipent. Le chaos n’est pas loin. L'artiste utilise des objets du quotidien, des objets symboliques de la vie d’une femme, et les tourne en dérision, comme pour s’affranchir de leur soumission. L’équilibre naît du déséquilibre, les livres s’amoncellent dans une baignoire, des peaux en cuir également, du papier de soie, du vin déborde du verre, les choses ne se présentent pas comme elles devraient l’être, des feuilles en papier s’envolent dans un souffle. Il y a dans ce travail quelque chose de crépusculaire, d’une profondeur sensible à la vie. Un propos un brin désabusé d’un monde qui aurait perdu ses repères ? Les autoportraits à travers des vitres explosent le prisme, en décomposent le visage. D’autres ne révèlent que des morceaux d’une identité qui ne se donne à voir que de façon fragmentaire, les draps plissés sont vides. Ce qui compte est laissé hors de notre vue, comme pour questionner le sens de nos disparitions. Rien n’est figé, tout se transforme. Pour compléter ce tableau, une installation épurée vient apporter son écot à l’ensemble de l’œuvre. La fête est finie montre des traces, des morceaux d’une réalité, et dans une épure de geste, vient témoigner de ce qui a été, comme une ponctuation mémorielle de nos imaginaires envolés. Jubilatoire, poétique assurément, imparable.

Dans l'exposition les images du corps de Bénédicte nous interpellent: visage morcellé, nudité plongée dans un bain sec de jouvence au creux d'une baignoire asséchée, plis et replis des matériaux qui recouvrent, dissimulent son corps. A peine entrevu comme une censure de l'artiste par elle-même et son iconique représentation. Autoportrait ou auto récit, narration visuelle d'une femme qui se conte et ne compte pas sa dévoration livresque de littérature. Les vidéos montrées, courts métrages d'art sont remarquables: une sorte de sablier aux contours de vasque féminine, courbes et amplitude d'une hanche, d'un buste de verre dans des teintes bleutées. Des bulles d'air comme du champagne grimpent au ciel en orgasme ascendant. C'est beau et sensible, romanesque et romantique dans un médium hyper contemporain: l'électron libre de la vidéo qui se dissémine comme des spermatozoïdes légers, heureux élus en fin de course vers cette matrice offerte. Puis, le clou de l'expo réside en cette vidéo au coeur d'une installation très intime, au sol, objets et amulettes, petits rien déposés comme des offrandes au pied de l'autel. Païen à coup sûr. Un verre au pied long, une vasque comme réceptacle, calice des images. L'hostie c'est le tampax, bouchon du vagin en cas de pertes menstruelles, mensuelles. Le sang, c'est le vin et la coupe se remplit par magie, puis dans un goutte à goutte sensuel vertigineux. Images d'un verre de champagne pétillant où l'on aurait trempé un biscuit rose de Reims. Tabou ou objet de culte sauvage et beau. La communion est prête, le jeu de massacre démarre comme dans un bowling de quilles-tampons neufs et résonnants sur un sol musical percutant. Et le tampon de coton de s'épanouir en blaireau à plumes, les tampons baignés de vin de sécher peu à peu comme des fleurs fanées. Le temps passe, le corps se flétrit, s'étiole, fait grise mine. Le temps pacse les êtres entre eux et confine la chair. Histoire de femme, certes mais son et images se distillent comme une liqueur de chair au sein d'une clepsydre invisible. Du bel ouvrage incendiaire et doucement révolté sur l'image fantasmée de la femme-fleur immaculée conception. Et l'Annonciation de nous révéler la part des anges qui s'évade au fil du temps pour abreuver les sillons de nos imaginations. Un travail fertile, une terre labourée "incognita" aux secrets de cabinet de curiosité très contemporain.

A La Galerie "la pierre large" jusqu'au 16 Décembre


clin d'oeil à Preljocaj ?

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire