mardi 28 janvier 2025

Silvia Gribaudi " R. OSA" : big is beautiful

 


par ZEBRA Italie solo création 2017    "
R. OSA"Avec Claudia Marsicano


Cassant les codes du beau et des silhouettes filiformes, Silvia Gribaudi poursuit son dynamitage en règle des normes. Souvent en scène avec son corps tout en rondeurs (Graces), voilà qu’elle laisse le plateau à Claudia Marsicano. Sa complice interprète une prof d’aérobic pas comme les autres. En 10 exercices, nos préjugés sont battus en brèche, sa technicité sans failles prouvant qu’elle n’a rien à envier à ses pairs aux physiques de podiums. L’humour bravache en étendard, c’est bien le rôle social dévolu aux femmes – conscientisé ou pas ! – qui est remis en question, la grossophobie galopante n’étant que la partie émergée d’un iceberg de clichés tenaces. Le tour de force de ce one woman show italien à nul autre pareil est de réussir à rallier le public à sa fièvre dansante.

Le sol est tout rose, les pendrillons en contraste noir: voici l'arène où apparait une femme, maillot de bain bleu turquoise enveloppant son corps, Vénus callipyge que l'on se prend à ausculter du regard, non par curiosité mais pour y découvrir des formes corporelles inédites. Et la voici qui se présente de profil et se met à chanter d'une voix forte et chaleureuse, un air de country. Elle s'exprime en anglais et s'adresse au public, désormais complice pour lui faire exécuter à l'unisson des gestes simples qu'elle pratique avec aisance. Son corps mouvant comme vecteur et directeur de consignes collectives qui nous rassemblent alors en empathie autour d'elle. Plus tard elle s'adonne à de petites percussions corporelles dont chacun des spectateurs s'empare pour se faire du bien alors qu'elle reprend une chanson traditionnelle. Sa présence est forte et impacte le public. En sous-vêtements noirs, elle se fait sexy et aimable mannequin anticonformiste et inclassable effigie féminine dansante.Silvia Gribaudi confie à Claudia A.Marsicano la tache d'exprimer en toute sincérité sa joie et son bonheur de bouger, de faire des roulades toniques et au final de glisser sur une nappe d'eau comme une sirène enjôleuse. Un splendide numéro de grimaces, de faciès déformé par la tonicité de son visage est un moment de délices et de surprises très convainquant.Question de mouvance d'un corps magnifié par des éclairages moulants et une gestuelle très fine, surtout des bras et poignets, doigts et autres petites articulations. Son sourire et sa bonhomie font mouche , son humour et son détachement autant que son engagement font de Claudia l'idole d'un soir. L'ovation du public comme une reconnaissance et une considération très humaine et joyeuse hors des canons battus de l'esthétique de la danse. Il existe des danseurs "grassouillets" comme Olivier Dubois ou Thomas Lebrun, alors pourquoi ne pas revendiquer ce bel aspect du corps dansant au féminin...

nana de niki de saint phalle

Il fallait R.Oser! Les Nanas de Niki de Saint Phalle ou de Botero n'ont qu'à se tenir à carreaux!

danseuse de botero


A Pole Sud les 28/29 Janvier dans le cadre du festival "L'année commence avec elles"

Marine Colard "Le Tir Sacré": petites et grandes foulées athlétiques

 


par Cie La Petite Foule Production France duo création 2021

Le Tir Sacré


Fascinée par la frénésie qui s’empare des journalistes au moindre match ou ligne droite dans un stade, Marine Colard fait des commentaires sportifs le fond sonore d’une chorégraphie athlétique. La jeune comédienne formée au théâtre physique a recruté pour coéquipière Esse Vanderbruggen. En s’époumonant avec exubérance, elles se lancent dans des postures olympiques, convoquant natation, haltérophilie, escrime ou encore ski alpin. Dans cette recherche autour des liens unissant enjeux chorégraphiques et textuels, les exploits gestuels vont de pair avec la surenchère passionnée des commentateurs, souvent risibles dans leur propension à s’enflammer. Le Tir Sacré tend un miroir à la compétitivité inhérente au capitalisme, celle qui nous enjoint à nous dépasser, à aller toujours plus haut, plus vite et plus fort.
 
 
On croirait Léon Zitrone, le roi des commentateurs de match de foot et autres sports collectifs où le public s'engage comme fan ou houligan. Frédéric Voegel chauffe la foule avec ferveur et enthousiasme en direct.C'est dire le rôle de ce dernier dans le tout début du show annoncé. Commentaires toniques à suspens, rythmés qui s'emballent et débordent de leur cadre. On nous tient en haleine 10 bonnes minutes durant, le temps d'installer une ambiance survoltée de début de match. Le plateau reste vide alors que les deux vedettes annoncées se font désirer. Et oh surprise, les voici apparaitre discrètement, les gestes au ralenti dans une grande modestie, un effacement certain. Leurre ou pas, elles se considèrent modestement, short et baskets, physiquement très différentes: l'une gracile et longs cheveux noués, l'autre forte et robuste, taillée comme une sportive entrainée. Contraste mais gémellité de leurs évolutions, front contre front , leur seul contact qui les guide. Belle démonstration de solidarité dans un monde plutôt voué à la compétition. Tout va de plus belle avec moultes évocations de gestes sportifs, transgressés par la chorégraphie et la mouvance soignée des deux interprètes.On reconnait la décomposition des positions et postures à la Marey ou Muybridge dans une séquence vouée à la vélocité, la vitesse et la rémanence des images . La "locomotion" revisitée en art chorégraphique!Tout va de plus belle dans un rythme effréné, voisin d'un esprit sportif de précipitation et d'efficacité. Les deux compères-complices occupant le plateau à de savantes positions, arrêt sur image comme de très éloquentes photographies de sports. On passe en revue toutes sortes de gestuelles, évoquant tennis, foot et autres disciplines. C'est drôle et rondement mené et questionne de plein fouet les sources gestuelles, l'inspiration mimétique du mouvement.
Marine Colard et Esse Vanderbruggen au top modèle pour la conception  de la représentation anti sexiste du sport et de la danse du coup mêlés sur la surface de réparation bien méritée. Et Sophie Billon pour animer le show en toute complicité. Le tir en ligne de mire sur une cible convoitée, entre intellect et corporéité interrogés.Un tableau de famille au féminin, photo de groupe taillée dans du carton surdimensionné où les heroines prennent place, pour clore dans l'immobilité médusante ce show déglingué.
 
A Pole Sud les 22/ 23 Janvier dans le cadre du festival "L"année commence avec elles"

lundi 27 janvier 2025

Fanny Brouyaux "To be schieve or a romantic attempt": colibri d'argent fébrile et futile.

 


de Too moved to talk Belgique solo création 2024

To be schieve or a romantic attempt

Ancienne violoncelliste passée par P.A.R.T.S, l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker, la Bruxelloise Fanny Brouyaux s’intéresse à l’un des aspects viscéraux du mouvement romantique : la corde sensible. À partir d’un patient travail rythmique plein de maîtrise, allant de la tension physique aux mécaniques des états émotionnels, naît la performance To be Schieve or A Romantic Attempt. Sur une bande son de Caprices pour violon solo de Niccolò Paganini, ce jeu de mot sur « Schieve », signifiant tordu ou fou en bruxellois, explore les frictions entre gestes techniques et mouvements incontrôlés qui la traversent lors de crises de spasmophilie : des gestes-mémoire permettant au corps d’expurger un stress post-traumatique. Spasmes et tremblements pulsionnels anarchiques s’enchevêtrent à une virtuosité lyrique pour détricoter les tensions qui habitent son corps.

Dans le silence absolu, elle divague sur des notes de musique tout le long de son corps, les doigts fébriles agités de petits bougés spasmodiques. 


Doigts et pieds vif argent ou d'acier qui tintent dans l'espace comme autant de petites aiguilles agitées, percutantes,luisantes. Elle façonne et caresse l'espace. Le corps de Fanny Brouyaux devient instrument mimétique, mémoire d'une matière que l'on lui aurait dérobée et dont les formes et les sensations lui seraient encore très présentes. Solo à vif qui tranche l'espace de soubresauts tétaniques, de gestes voisins d'un mime étrange et sans référence, habité comme les solos de Chaplin, d'une malice énigmatique. Les lèvres marquées par un dessin en coeur glacé de bleu. Changement de veste, tout en noir elle danse sur des bribes de sons mélodiques de violon. La musique lui inspire des déplacements, circonvolutions ludiques et fraiches. Comme un colibri ou sphinx qui hésite à choisir sa corolle de fleurs pour butiner et palpite devant sa proie.Oiseau mouche à battement d'aile véloce et rapide.

Puis fend l'air et absorbe son élixir de jouvence. Beaucoup de grâce et de fébrilité dans cette mouvance, éclairée juste au corps, qui navigue à l'envi. La danse hypnotise, captive et marque son territoire en circulant lentement en poses dans les gradins. Moments de suspension du temps, replis vers le silence et la beauté plastique de son corps sculpté par la lumière changeante. Fanny nous livre sa perception et sa sensibilité musicale à fleur de peau, troublante vibration d'un corps en émoi qui se joue des rythmes intérieurs et de leurs répercutions sur le geste organique autant que réfléchi.

 

A la Pokop dans le cadre du festival "L'année commence avec elles" initié par Pole Sud le 27 Janvier

dimanche 26 janvier 2025

Les Contes d’Hoffmann Jacques Offenbach : reflets d'un homme qui s'A-muse.

 


Alors que commence l’entracte du Don Giovanni de Mozart dans lequel triomphe sa maîtresse Stella, Hoffmann échoue une nouvelle fois dans la taverne attenante au théâtre, flanqué de son compagnon Nicklausse qui le suit comme son ombre. Échauffé par le punch, les chansons grivoises et la présence électrique de son rival Lindorf, Hoffmann régale l’assemblée présente avec le récit épique de ses amours passées. Olympia, Antonia, Giulietta : trois femmes qu’il dit avoir aimées mais que le sort – ou un mauvais diable – s’est acharné à lui enlever, comme si la même histoire douloureuse se répétait sans cesse. Mais n’est-ce pas le lot de tout artiste de réchauffer son génie avec les cendres de son cœur ? Foi de muse : si l’homme est grand par l’amour, le poète l’est bien davantage par les pleurs.

Maître absolu de l’opérette sous le Second Empire, Offenbach consacre les derniers mois de sa vie à la composition de l’œuvre la plus ambitieuse de sa carrière : un opéra aussi émouvant que divertissant, dans lequel le rire n’enlève rien au tragique ni à la beauté. Il compose ce tour de force musical sur un livret tout aussi magistral, réunissant pas moins de trois histoires dans la même histoire, avec pour protagoniste l’écrivain (et musicien) E. T. A. Hoffmann, devenu le héros de ses propres contes fantastiques qui ont tant marqué l’imaginaire romantique. Avec la complicité du chef Pierre Dumoussaud, Lotte de Beer revisite ce grand classique et signe une plongée vertigineuse dans la psyché et les fantasmes d’un artiste en lutte avec ses démons intérieurs.


L'opéra s'ouvre dans un décor de cabaret-taverne où tout va se jouer: mobilier traditionnel du lieu, parquet en trompe l'oeil, mur recouvert de tapisserie classique. La sobriété de la scénographie magnifie le jeu des chanteurs-acteurs remarquables de cet opus complexe centré sur les amours de Hoffmann. Chose remarquable, il y a des scènes entièrement jouées et parlées, dialogue ou monologue, loin des traditionnels récitatifs parlé-chanté. Ce qui confère à cette version de l'oeuvre un caractère théâtral bien trempé, une narration et un récit plutôt limpide. Les interrogations et questionnements du principal personnage, dialoguant avec les remarques et propos avisés de sa muse.Alors que la soprano colorature endosse les trois rôles féminins avec brio et virtuosité, le ténor lui aussi tient et prend la scène avec aplomb et perspicacité.


C'est Lenneke Ruiten et Attilio Glaser les piliers de ce spectacle fleuve, parsemé d'entremets parlés qui se taillent la part belle.Olympia devient poupée géante qui chante et exprime ses sentiments haut et fort et cette surdimension féminine est singulière et osée. La voix est superbe et virtuose et en plaquerait plus d'un au sol tant la verve et le charme sourdent du jeu vocal et physique de la cantatrice. Endossant trois rôles majeurs face à Hoffmann qui semble s'égarer dans la complexité psychologique de sa personne. Sans cesse sa muse en aparté devant le rideau baissé, lui conseille d'acter et non de rêver et de vivre de ses fantasmes. Lui, écharpe au cou pour se protéger va et vient dans cet espace, embrassant ses trois natures féminines qui le troublent et le bouleversent. Tandis que la musique d'Offenbach s'écoule jusqu'au bouquet final de la célèbre barcarolle tant attendue. Les choeurs s'y frottent tout de gris vêtus comme à un exercice d'unisson remarquable. Les costumes et le décor se fondent pour sublimer la présence des artistes et la mise en scène prend le parti de servir l'action plutôt qu'un parti pris esthétisant trop présent.

Le Philharmonique est remarquable sous la direction de Pierre Dumoussaud et le plaisir à suivre cet opéra bouffe très stylé en devient jubilatoire.Des moments de musique où l'on découvre Offenbach plus sage que survolté, au service d'un genre unique où l'opéra comique trouve une identité nouvelle. Lotte de Beer épousant les volontés du compositeur avec respect et considération. Théâtre musical de haute volée inégalée.


A l'Opéra du Rhin jusqu'au 30 Janvier 

photos klara beck

Direction musicale Pierre Dumoussaud Mise en scène Lotte de Beer Décors Christof Hetzer Costumes Jorine van Beek Lumières Alex Brok Réécriture des dialogues et dramaturgie Peter Te Nuyl Dramaturgie Christian Longchamp Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas

Les Artistes

Hoffmann Attilio Glaser Olympia, Antonia, Giulietta, Stella Lenneke Ruiten Nicklausse, La Muse Floriane Hasler Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto Jean-Sébastien Bou Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio Raphaël Brémard Crespel, Luther Marc Barrard Nathanaël, Spalanzani Pierre Romainville Hermann, Schlémil Pierre Gennaï La Mère Bernadette Johns Orchestre philharmonique de Strasbourg, Chœur de l’Opéra national du Rhin

Opéra fantastique en cinq actes.
Livret de Jules Barbier et Michel Carré.
Créé le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique à Paris.


Nouvelle production.

Coproduction avec le Théâtre National de l’Opéra-Comique, le Volksoper de Vienne et l’Opéra de Reims.

 

"Penelope" de , Leonora Carrington / Giulia Giammona : Moi, je me balance...La femme aux manches vertes s'anime au grand damier absurde


 « Pensez-vous que l’on puisse échapper à son enfance ? Je ne le crois pas ». Ces mots sont ceux de Leonora Carrington, autrice et artiste plasticienne qui partagea la vie de Max Ernst avant la guerre et fréquenta ensuite Octavio Paz et Frida Kahlo au Mexique. Dans cette pièce aux accents surréalistes dont se saisit la metteuse en scène Giulia Giammona, Penelope est brutalement précipitée dans le monde des adultes au jour de ses 18 ans, laissant derrière elle un univers de conte de fées à l’abri des hommes, où c’est à son cheval à bascule qu’elle confiait ses pensées. 


En ponctuant sa mise en scène d’extraits d’enregistrements de Leonora Carrington et d’images d’archives, Giulia Giammona fait entrer en résonance la vie et l’œuvre, sans pour autant chercher à expliquer l’une par l’autre. Convoquant le jeu, la danse, des costumes aux tons oniriques et les notes d’une harpe, la mise en scène conserve tout le mystère d’un texte dont l’autrice disait ne pas avoir le temps d’être la muse d’un autre, trop occupée à se rebeller contre sa famille et à apprendre à être une artiste.

 
 
  • Ballade renaissance à l'ouverture de la pièce magnifiquement chantée en douceur, "Greensleeves" donne le ton: l'amour et la tendresse, le souvenir, la nostalgie et sans doute une certaine mélancolie. La balançoire suspendue aux cintres accueille dès le début le corps d'une femme à la longue chevelure. Icône de toute beauté avec une ombre portée quelque peu ensorceleuse. Sorcellerie ou possession que la pièce va déployer tout du long grâce à une scénographie envoutante tant les poses, postures et attitudes des personnages se font joyaux de plasticité. On songe à Kubin ou Max Ernst , Max Klinger ou James Ensor pour inspiration.
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  • max ernst femme chancelante

    Surréalisme naissant, situations absurdes: voilà la trame narrative de cet opus indescriptible tableau vivant d'une micro société affairée à faire des choses invraisemblables. Les silhouettes en noir et blanc, crinolines et visages masqués sont d'un effet saisissant, enrôleur, enjôleur.
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  • L'intrigue peut échapper mais peu importe , ce théâtre physique et visuel est digne Alors cette femme au voile vert qui déambule se fait incarnation d'un spectre errant, d'un ectoplasme égaré d'un tableau aux cimaises d'un musée imaginaire. Comme l"élue d'un futur Sacre, sacrifice sur fond de plateau de jeu d'échecs ou jeu de dame. Un damier damné de toute part et dédié à un sacrifice rituel imaginé.Les personnages se démultiplient, le visage et la voix d'une ancêtre d'abord invisible puis en gros plan à l'écran incarnent souvenirs, mémoires et digressions savantes et réalistes sur la vie: son souffle, l'amour comme moteur de la passion qui anime plus d'une heroine. Une atmosphère très onirique plane en suspension. Entre théâtre, danse et musique, l'oeuvre ainsi donnée à voir est empreinte de lyrisme et de félicité. Rêve ou réalité, on ne se questionne plus tant la fusion des genres et disciplines est réussie. Et les corps et chevelures, les tissus largement déployés entament un récit physique où l'empathie gagne celui qui regarde par le verrou, intimes scènes de famille reconstituée. 
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  • Leonora Carringgton et Giulia Giammona, soeurs et complices de ce petit bijou multiforme où la balançoire oscille entre divan et échafaud, siège léger de passions et d'assises d'une révolution amoureuse possible. "Greensleeves" comme pendentif d'une femme à la perle qui nous regarde intensément. Et la harpe de distiller ses notes nostalgiques et pénétrantes dans nos rêveries à la dérive.La table est mise pour le diner ultime du souvenir...

Au Maillon les 24/25 Janvier

samedi 25 janvier 2025

"GPO Box No.211" : Chun Shing Au architecte du désastre

 


Comment communiquer par-delà les murs et les systèmes ? En dépit de la censure et de l’enfermement, Chun Shing Au et son ami Siu Ming ont échangé des lettres. L’un vit libre en Europe, l’autre a été emprisonné pour avoir pris part à la contestation en faveur de la démocratie à Hong Kong. Partageant leur quotidien, leurs rêves, les contraintes qu’ils rencontrent, utilisant l’adresse qui donne son titre au spectacle, ils apprennent à lire entre les lignes dans une langue qu’ils ont inventée pour échapper à la censure et qui s’est faite peu à peu poétique. À partir de ce matériau précieux où la proximité amicale et le souci de l’autre s’opposent à l’éloignement géographique et politique, Chun Shing Au a composé une performance intime qui invite à l’attention, un théâtre d’objets fascinant dans lequel le papier devient son partenaire de jeu. Il propose une réflexion visuelle sur la privation, la contrainte et l’isolement autant que sur la force et les limites de notre propre esprit pour les dépasser.

L'iceberg et les oubliettes

Le sol du plateau est jonché de papiers blancs froissés, pliés comme voguant sur les flots. Certains s'animent de façon irrégulière sous un souffle qui n'est pas du vent mais un moteur invisible. Magie de la manipulation à distance. Alors qu'un jeune homme tout de blanc vêtu construit une architecture résolument moderne, sorte de maisonnée rigide, droite tectonique à la Mallet Stevens. Il se fond dans cet univers blanc et balaie savamment les scories blanches de papiers: des restes de lettres froissées, jetées après lecture comme celle qui nous a été confiée tout au début à l'entrée de la salle. Un immense pan de papier servira au reste du spectacle; déroulé comme une plaine géologique blanche immaculée, ce panorama se transforme en vallées et montagnes sous la tension et la pression des directives du manipulateur. Jusqu'à se tordre, se mouvoir comme un géant de corps carré bien campé, surdimensionné. C'est plastique très fort et l'impact des images crées est souligné et sous-tendu par les sons, bruissements des froissements. Une véritable partition de bruitages faits de papier qui résonne et prend le relais. L"artiste performeur se love dans son réceptacle et en fait un monstre se cognant au mur dans une sorte de comique de répétition burlesque. Le paysage de papier est évocateur de la transmission épistémologique des deux partenaires du récit. Et cette architecture qui devient tête est symbole d'enfermement, de claustration, de bourrage de crâne. C'est la suggestion et la poésie qui l'emporte sur le tragique de l'évocation des brimades psychologiques de la rétention pénitentiaire.Chun Shing Au se déplace sur la scène avec agilité et sa seconde peau de papier lui impose des formes paréidoliques fantastiques. Monts et merveilles des plissements géologiques, courbes de niveau et autre tectonique des plis.Mais ici le choc est psychique et l'évocation de la perte et de l'épuisement physique sous la charge de la matière est souveraine.Au final un petit camion miniature déverse des douceurs désapprouvées par l'administration pénitentiaire: un moment de jeu poétique cependant tant les formats du plus petit au plus grand font contraste. Être manipulé revient à de l'obéissance.

Un exercice fort édifiant pour mettre en forme une icône d'un régime politique drastique et qui ne fait pas de faux plis.Laissez parler les "p'tits papiers"...Ceux là on un gout amer de MMS interdits

Au Maillon jusqu'au 25 Janvier.

"A Star is burnes": Scoute chèr et ils ont du clito....et du culot. Donald et autres Mykey maous!

 


En 2025, cela fera cinquante et un ans que le Café-théâtre de
l’Ange d’Or ouvrit ses portes dans le pittoresque quartier de la Krutenau à Strasbourg. L’Ange d’Or fut le berceau, autant dire la couveuse, de ce bébé prématuré qui deviendra plus tard la Revue Scoute.


Pas de Jeux Olympiques, pas d’élections, a priori pas de crise sanitaire ni énergétique… Pas facile pour des gens dont le métier principal est de se moquer de tout quand il ne se passe rien.Il faudra une fois de plus faire appel à l’imagination débridée des auteurs de la Revue pour inventer l’improbable, créer l’inimaginable, jouer l’impensable. Par exemple, on dirait que l’Angleterre réintégrerait l’Europe, que le Racing serait champion, que l’Alsace serait autonome, que Leroy serait mon cousin, que le théâtre deviendrait obligatoire, que les EPHAD se lanceraient dans la culture du cannabis, qu’il y aurait un ministre alsacien… Bref, que des trucs impossibles !Et sur ce terreau d’une actualité inventée de toutes pièces, les comédiens de la Revue Scoute, comme en 24 avec Extras, tes restes ! , comme en 23 avec L’eau, régime du monde, comme chaque année depuis quarante ans, quoi, permettront à leur cher et vénéré public d’atteindre l’acmé de la sagesse.8 comédiens sur scène, plus ou moins genrés, 4 musiciens plus ou moins ensemble, un chorégraphe plus ou moins souple, inscrivent au menu de la Revue Scoute 2025 ce qu’il faut d’émotions, de rires, de larmes pour que le public puisse se dire en sortant de la salle : “Du haut de ses 40 années, la Revue Scoute nous contemple !”


Ça Trump énormément.

Ca c'est pour les bonnes notes d'intention: résultat: deux heures de revue tonitruante sans bon, brute ni truand mais en compagnie de comédiens galvanisés par un environnement politique très fertile. Démarrage en trombe. Les sketches s'enchainent tambour battant et c'est à un florilège de jeux de mots, calembours et virelangues que s'adonnent les premiers sur la loi inventaire prolixe et de bon ton qui augure de la suite verbale. C'est "des primes renov" en majesté!De la verve donc, du trivial, du "foutre" et autres grossièretés bien campées pour cette équipe qui n'a pas froid aux yeux. De l'abbé Pierre à Jeanne Barseghian, tout y passe et repasse dans une fièvre tendue, qui monte, qui monte. Pas de quartier pour la Maire de Strasbourg en Sainte ou vierge Marie de pacotille qui fait des miracles Lourdes de conséquences...


Et ça n'arrête pas, ça fuse en grains de folie, en personnages virulents. Coup de chapeau à Patricia Weller, notre nationale et compétitive gouailleuse pleine de tonus avec son accent à couper au couteau. Nathalie Mercier en Lady Gaga de première classe et Murielle Rivemale en quiche lorraine bien enfournée. Emma Massaux toujours exquise Schatzi Fausetaire et la superbe et pulpeuse Sophie Nehama. Quant aux messieurs, puisque le show est bien genré on déguste Fayssal Benbahmed en Robert de Rhinau, Raphael Scheer désopilant et droit dans ses bottes, Jerôme Lang bien pendu, Yann Hartmann en Elvis Presskopf jubilatoire.Tous ces surnoms dans le programme pour évoquer le règne animal de Trump qui se profile dangereusement à l'horizon. On en revient au phénomène tram nord au Pôle Nord avec ses ours blancs mal léchés. 


Et Jean Philippe Meyer, James Dine, de tenir le plateau avec brio et humour très classe. Alexandre Sigrist rayonne de chaleur et de rondeurs en Kevin Kassler. 
 
Sans oublier le pilier de la farce Robert Raifort alias Denis Germain l'auteur des diatribes, Michel Ott en Kaes Charette inoubliable musicien-compositeur. Et le chorégraphe qui fait bouger tout ce petit monde mouvant et indiscipliné, Bruno Uytter, malin Fred Munstaire aux petits pas et millepieds bien trempés. A la scénographie, le plasticien Bruno Boulala fait lui aussi des miracles. Et en avant la musique de Michel Ott et sa tribu, la mise en scène grand format et l'écriture en verve de Daniel Chambet-Ithier.
 La belle équipe qui gagne et joue sur la corde raide du politiquement incorrect, de la satire en grande forme et du cabaret foldingue sans modération. Ça hurle, ça gueule à l'envi les affres de l'actualité pas toujours réjouissante.Alors faut-il rire ou se moquer de tout? Là n'est pas la question Brassée avec du culot alsacien, la revue mousse et se trémousse joyeusement sur des airs revisités qui tanguent la nostalgie.
On en reprendrait bien une lampée en bon dialecte et accent appuyé: la Ville de Schiltigheim et sa maire démontée ferait bien de se tenir à carreau: ils visent et touchent et font mouche là où ça fait mal!19 saynètes, du "Porno Bio" bien légumineuse, à Trautmann ressuscitée, à "Dolly Plane" pour écraser la fièvre du Samedi soir. On se régale comme l'"Idole des jeûnes" encanaillé qui fait régime sec!

A Schiltigheim jusqu'au 2 Mars puis en tournée!

jeudi 23 janvier 2025

"Cécile": chapitreries et autres facéties en têtes de gondole.

 


Il y a des rencontres qui changent des vies. Rencontrer Cécile Laporte, écologiste, porno-activiste, porte-parole de mouvements squat en France ou défenseuse des droits des migrants a changé la vie de Marion Duval. Celle-ci témoigne : «Je me suis immédiatement sentie chez moi auprès de Cécile. Sa générosité sans bornes et sa joie contagieuse m’ont permis de briser des barrières et des peurs qui étaient profondément ancrées en moi. Un peu par gratitude, un peu pour partager tout ça avec le public, j’ai voulu lui dédier un spectacle.» Elle a fini par le lui confier entièrement. 


À la fois spectacle, performance et personne, Cécile porte en elle mille vies, une conteuse hors pair et toutes les raisons de lui dédier un spectacle.  

Héroïne de ses propres histoires, elle les raconte sur scène, avec simplicité et humilité, pour le plus grand plaisir du public. « Cécile fait fleurir les gens autour d’elle », comme ces rencontres qui changent des vies. Écologiste, porno-activiste, spécialiste en psychotropes thérapeutiques, porte-parole de mouvements squat en France, clown en hôpital ou défenseuse des droits de personnes réfugiées, Cécile mène ses combats, en autodidacte, avec ses fragilités et sa fougue généreuse. Sans filtre et pleine d’autodérision, elle nous livre ses aventures, ses souvenirs et ses batailles contre l’insupportable complexité du monde dans une performance-vérité où elle accepte de jouer son propre rôle. Libre de déborder, elle navigue à travers les différents tableaux de sa vie, accroche le public par son authenticité, on la suit, comme on suit une odyssée, avec tout ce que ça a de jouissif !

 Un chapitre peut en cacher un autre: pour preuve ce show titanesque que nous livre une performeuse de charme et de tonicité: Cécile Laporte qui trans-porte son public dans un flux continu de mésaventures autobiographiques, très stylées. Concentrée sur son vécu, dans une parole franche, un langage châtié, cette femme, monstre de malice et de répartie, tient le plateau plus de trois heures, variables selon les commandes de sa metteuse en scène en direct. Jeu de malin, jeu de vilaines car les saynètes qui s'enchainent comme un collier de perles à inventer vont bon train. 


Ainsi après une brève introduction bon-enfant des règles du jeu, le spectacle démarre en trombe. Personnage au plus près du corps et des pensées de Cécile, cette créature, être solide et campé de toute la carrure sculpturale de Cécile nous tient en haleine.Elle navigue de tableau en tableau à l’instinct, l"improvisation et son extrême réactivité aux consignes éditées par des cartons soulignant le thème de chaque "chapitre". Comme autant de nouvelles ou courtes écritures qui se lisent en tout sens. On retiendra le passage sur le clown, où la comédienne incarne son propre rôle de "clown à l'hopital" avec un humour noir à la Desproges. Jeu interdit quant au contenu cinglant autant que tendre d'une thérapeute de choc aux prises avec un malade. Lèves toi et marche sans condition ni empathie en font un sketch désopilant et sans gant de velours...Femme aux multiples facettes, mante religieuse autant que mère aimante, passe au crible psychanalyse, entretien, monologue, seule en scène sur sa chaise: en jean, pantalon et veste, là voici qui vante les bienfaits érotiques d'une couture de jean bien placée en entrejambe: on ne perd pas son temps précieux avec elle qui nous tient sans devenir otage de sa destinée hasardeuse: yi-king du choix des scènes pour amuser ou méduser son public: invité à réagir, argumenter ou lancer quelques proverbes de bon ton. 


La sympathie qu'elle engendre conduit à une fidélité d'écoute et d'attention. La scénographie prend soudain le dessus lors de deux séquences sur le sexe et le groupe; un amas de corps, poupées de chiffons se débat dans des poses hallucinées, alors que des lumières bleutées en font une toile vivante, sculptée, dansée. Au final , c'est le faciès récurent en 3D qui s'incarne en visage surdimensionné, deux mains énormes animées par deux manipulateurs pour clore cette parole au flux incessant. Très belle icône terminale pour tenter d’arrêter cette tornade voluptueuse de dires, d'aveux, d'histoires tonitruantes.Telle une image de Jaume Plenza, la tête est homme à la tête qui se prend le chou...

Sauf que les yeux exorbités se déverrouillent, que des mains de papier mâché s'en mêlent et que le spectacle est soi-disant terminé. Carnavalesque figure de proue qui crache ses confettis!Cécile porte sa croix au final entre deux marionnettes géantes: étape ultime de ce chemin de croix, station qui pèse sur ses solides épaules architecturées pour un corps massif et percutant.

On continue au pot de première à s'entretenir sur la composition de la pièce: quelques secrets de fabrication à ne pas dévoiler pour apprécier pleinement le talent de Cécile que l'on quitte à regret. Hydre à deux têtes, Cécile Laporte et Marion Duval, se font ode au corps pensant devant nous, tête froide et coeur chaud, est un délice gourmand à consommer sans modération.

Au TNS jusqu'au 1 Février

mercredi 22 janvier 2025

Lara Barsacq "La Grande Nymphe": préludes et orgasmes chorégraphiques subaquatiques

 


La Grande Nymphe France  6 interprètes création 2023

Depuis longtemps, Lara Barsacq s’intéresse à l’histoire des Ballets russes. Dans IDA don’t cry me love, c’était à la fabuleuse danseuse Ida Rubinstein qu’elle rendait hommage dans une performance croisant les arts. Sa ré-interrogation de l’histoire de l’art via un prisme féminin l’entraîne à tisser des liens entre L’Après-midi d’un faune de Mallarmé, Le Prélude de Debussy et le ballet sulfureux de Nijinsky composé à partir des deux. La Grande nymphe peint sa vision du personnage, enfermé dans l’allégorie du plaisir charnel. Le faune est, lui, relégué au second plan tandis que Cate Hortl distord Debussy avec une pop électronique mélangée aux voix auto-tunées de la chorégraphe liégeoise et de Marta Capaccioli. Ensemble, elles déconstruisent les violences d’une sexualisation féminine cadenassée par les hommes pour mieux donner chair au point de vue des danseuses sur l’érotisme.

Lara Barsacq convoque brillamment en velours, la mémoire et le patrimoine de la danse et de la musique dans cet opus singulier dédié à "L'après-midi d'un faune" chorégraphié à l'origine par Nijinsky. Ce dernier brille par sa présence-absence par ses formes glanées dans la plastique grecque et c'est non sans humour que l'on découvre à l'écran Lara en roller sur le parvis du Louvre! C'est bien là que la filiation avec l'esthétique hellénique c'est faite, en 1912 et en 2022...Des références, certes, un petit cours d'histoire en route en présence de ses deux comparses et le tour est joué. L'Histoire, certes, mais présent oblige, la danse est transformée, remaniée et manipulée avec génie en solo, duos et musique électro acoustique en direct. Sur le plateau. La Grande Nymphe rivalise avec le Faune avec humour et distanciation, toujours dans le respect et dans la transgression. Gestes angulaires, profilés, toniques et directionnels à foison.Des questions actuelles et originelles s'y posent sur le plaisir, la jouissance, la tension amoureuse. Les deux danseuses se prêtent au jeu des questions-réponses verbales mais surtout la gestuelle érotique et sensuelle rappelle ce faune originel qui rampe sur son entaille de roche comme suspendu hors de l'espace commun. Un tableau en fond pour évoquer la nudité et le désir, une immense toile où une sorte de piéta embrasse un faune lascif et tentant...Des évocations qui font leur chemin alors qu'elles endossent des costumes quasi futuristes très esthétiques. L'histoire titille et taraude Lara Barsacq, comme héritage, source d'inspiration et de digression. Les doigts vibrant s'agitent et ponctuent ce qui excite et rivalise de chatouilles érotiques évocatrices.Une séquence filmée dans les entrailles de l'Opéra Garnier invite à une visite guidée des costumes inspirés de l'époque: les châles et voiles des nymphes dont s'empare le faune, les perruques grecques: tout concourt ici à rendre vivant un mythe très actuel sur l'identité, la sexualité, le genre. Au final c'est un trio musical de l'oeuvre qui  joue le prélude avec finesse et doigté alors que Marta Capaccioli danse, sublime mouvance inspirée, comme ces méduses de Mallarmé dans "Degas, danse, dessin": mouvance suspendue, aérienne ou aquatique, solo divin accédant à la grâce. Faune androgyne, danse hypnotique, révélation d"une composition chorégraphique qui surgit au final en apothéose. Du bel ouvrage de "dames" qui tel une toile se tisse , trame et chaine, pour faire éclore une mouvance étrange: inspirée du roller, une discipline sportive inclassable quand elle atteint toutes ses possibilités de glisse, de mouvement rotatif et d'élégance.Naïade, néréide sublime, la Grande Nymphe atteint des sommets de beauté intime et partagée. Mais aussi de la liquidité, du fluide qui parcourt le spectacle de bout en bout. Cela suinte d'adresse et la résurgence des gestes de la genèse de l'oeuvre emblématique de Nijinsky-Debussy-Mallarmé se fait narration, récit et histoire à danser debout! Pour mieux se liquéfier dans la jouissance.
 
 
A Pole Sud les 21/ 22 Janvier dans le cadre du festival "L"année commence avec elles"


En 1917, Nijinski rend visite à Charlie Chaplin qui lui rend hommage avec une
danse entouré de nymphes dans la séquence du rêve de son film Une idylle aux
champs (1919) s’inspirant du Faune.
 


mardi 21 janvier 2025

Chloé Zamboni LA RONDE "Magdaléna": comme Bach....dépouillement et gemellité assumés.

 


Magdaléna  France duo création 2023 

Pour sa première création, LA RONDE s’inspire d’une expérience d’écoute des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Chloé Zamboni poursuit ce qui n’était qu’un laboratoire de recherche avec Marie Viennot pour former Magdaléna : un duo chorégraphique contemplatif, centré sur une exploration somatique du mouvement. Rigidité du dos et lignes de bras fuyantes se manifestent autour d’un travail d’oscillation du bassin concentrant l’attention. Au milieu d’exercices minimalistes et cliniques se déploient des états sensibles, cherchant des échos intimes chez les spectateurs, installés dans une proximité rare. Cette proposition gémellaire appelle une divagation de l’âme dans un florilège d’émotions.

Deus entités se regardent, s'observent, se joingnent dans une sirte d'unisson-mirir déformant: soeur siamoise ou jumelle très inspirées d'un tableau de Chassériau "Les deux soeurs". Ou pas du tout...


Demeure cette gestuelle en posture fragmentée dans un silence que seul l'absence de musique révèle. Les deux corps enlacés, assis, cheveux lissés et raie au milieu, s'assemblent, se ressemblent. Le jeu de mains, doigts écartelés se fait graphique et très plastique. Les gestes précis en "petits bougés" laconiques sont des perles d'un collier qui leur sied à merveille. Tout en noir comme deux reflets d'une même personne doublée de son ourlet fantasmé. "La danseuse et son double" assurément pour mieux se séparer l'une de l'autre esquissant au sol des mouvements et postures aux allures de gisantes animées. Les orteils en éventail, savant jeu délicat et tactile. Elles se relaient l'une l'autre et se retrouvent pour incarner un être hybride, une bestiole fantastique, une chimère évasive et interrogative. Un savoureux duo inspiré de la métrique, des fugues et autres facéties du compositeur le plus exigeant en matière de composition et architecture sonore. Un choeur a cappella où deux soeurs seraient immortalisées dans une matière mouvante, corporelle, sensuelle à souhait .Sobre, épurée, domestiquée par une signature chorégraphique unique et singulière. Un travail d'orfèvre qui séduit et touche par la frugalité et le dépouillement. Les regards s'y croisent ou s'ignorent dans un espace sonore réinventé qui puise aux sources de la vibration. Saveurs délicates d'un opus élégant, réversible à double face.

A Pole Sud les 21/22 Janvier dans le cadre du festival "L'année commencent avec elles"

samedi 18 janvier 2025

Chara Kotsali:" to be possessed": démons et merveille, self controle!

 


to be possessed

 Marquée dès son plus jeune âge par les films d’horreur et les histoires de possessions de sa Grèce natale, Chara Kotsali traque les esprits qui hantent notre langue, nos textes, nos connaissances et le monde matériel dans lequel nous baignons. En solo, elle donne vie à une multitude de rituels successifs, issus de témoignages de femmes d’horizons variés. Histoires de démons, exorcisme religieux, convocation d’esprits… autant de matières qu’elle transcrit corporellement, agitée par des phénomènes extérieurs qui entraînent une sauvagerie subversive. Être possédé par un passé impalpable et un pouvoir inconnu, la performeuse compile des archives de sons auxquels elle ajoute des effets de loop au micro, colle des affiches comme autant d’idoles formant un cadre indémêlable d’attirance / répulsion, dans une mise en abyme du carcan de normes qui contrôlent le corps social, depuis des siècles.

La réflexion est prolixe, le mur d'affiches à l'inverse de la pratique d'arrachement à la Hains Rotella ou Villeglé, bordé de coupures de photographies qui vont se rejoindre et former une nouvelle image. Collages, décollage sur ce tarmac à la verticale que la performeuse va recouvrir de colle à tapisserie à l'envi. Trois plots pour accueillir les accessoires "utiles" ou "inutiles" pour cette performance percussive où l'artiste, soliste nous interroge sur le son, les mots de la folie. Ce qui passe par le vecteur corporel quand on est atteint de syndrome de "danse de saint guy" ou autre possession chamanique et rituelle. Les mots du corps, les maux de cette femme, longs cheveux éparpillés, jean et baskets communs. Elle déploie son talent unique et singulier en une danse diffractée, déséquilibrée, en miette comme cabossée ou inspirée par des esprits proches ou lointains. Ce solo énigmatique ne délivrera pas tous ses secrets: sa voix bordée en direct par une reproduction artificielle de ses paroles indistinctes. Jeu de malin, jeu de vilain, jeu de sorcellerie qui touche, inquiète et nous projette dans une étrange atmosphère de mystère. Douée d'une présence forte et ancrée, la performeuse use et abuse de cette physicalité qui lui est propre, de son regard inquisiteur. Chara Kotsali est intrigante et fascinante.Trompette de la renommée, percussions de secrétaire sur son clavier informatique, elle oscille entre danse et théâtralité, passe furtivement de l'une à l'autre, offrant des paysages harmonieux, des ambiances troublantes. Déséquilibrée, folle et lascive, elle s'empare de cette danse de Saint Guy -on se souvient des danses d'épidémie de 1518 de Strasbourg- avec passion et distanciation.

A Pole Sud les 17/ 18 Janvier dans le cadre du Festival "L'année commence avec elles"

Akiko Hasegawa : "Kanashimi " efleurage à pétales. Lamentations distantes et distendues. Bonjour, Adieu tristesse !

 


Kanashimi

Après avoir exploré le corps en joie dans un premier solo (Haré Dance), Akiko Hasegawa sonde la tristesse (Kanashimi). La danseuse strasbourgeoise, installée en France depuis le milieu des années 1990, poursuit un voyage intérieur autour de moments clés de son existence. Solitude et éloignement familial, danse au bord des larmes de Marta Graham, rencontre avec la tragédie Grecque sous un soleil de plomb, perte d’êtres chers… Autant de montagnes russes d’émotions qu’elle traverse au son du violon d’Aline Zeller. Sur une note tendue, redescendre là où le cœur se serre, avoir besoin de lumière et retrouver la brûlure de vivre poussant à remonter la pente. Mêler la danse, la présence et l’absence, l’ici et l’ailleurs.

 Sa silhouette se dessine à peine dans la pénombre... Seule dans l'opacité du noir, dessinée en contours imperceptibles. On la découvre en jogging, cagoule ou capuchon tendu, veste également outrancièrement distendue comme une seconde peau qui tente de muer, de se déchirer. Hommage à Martha Graham dans "Lamentation", clin d'oeil à l'histoire de la danse et de ses femmes "pionnières".  Sans doute..Elle insiste pour détendre et relâcher de toute sa peau cette pelure artificielle et sous cette plissure, des clochettes s’égrènent au sol, tintinnabulant. Son corps, massif, s'expose et vibre. Sa seconde doublure apparait: une violoniste qui l'accompagnera durant ses cinq tableaux successifs. Instrument qui prolonge le corps de son interprète qui prend le haut du plateau. Deux pour un solo dansé où les formes du corps de Akiko Hasegawa prennent de l'aisance, se déploient sous les lumières et couleurs de pastel à la Rothko qui la teintent de douceur, de flou évanescent. Noire, sera sa tunique, longue et seyante pour exprimer la douleur, l'intimité de la tristesse. 


Puis un long voile rouge en fera une Willis égarée, spectrale traversant elle aussi l'histoire du ballet: ces êtres diaphanes qui hantent les fantasmes du XIX siècle. Reine ou ectoplasme naviguant sur le plateau à la recherche d'une identité. La danseuse sème le trouble, isolée de toute influence, droite et directe, poétique et fluide, le corps asservi à ses désirs de calme, de tranquillité, de jubilation intérieure. Pour les transmettre et communiquer à un public attentif bercé par les sons, les vibrations de l'instrument à cordes, rivé à Aline Zeller.Fleur de tulipier ou magnolia en couronne qu'elle effeuille doucement, pétale après pétale: une façon bien à elle de faire de l'effeuillage discret et poétique, couronné par ce végétal symbolique à la japonaise.

Ce solo en pleine éclosion fertile est un bon signe de l'évolution du travail hypnotique de la danseuse au coeur généreux, à la plastique bien ancrée et solide.


A Pole Sud le 17/ 18 Janvier dans le cadre du festival "L'année commence avec elles"