Inspiré par l’histoire d’un barbier de Leeds, ancienne cité industrielle du Nord de l’Angleterre, Barber Shop Chronicles invite le public au coeur d’un salon de barbier, lieu de sociabilité et des mémoires vives de la diaspora africaine. La pièce du poète anglo-nigérian Inua Ellams ouvre les portes d’un espace intergénérationnel, où l’on entend résonner le wolof, le lingala, le soninké, le bambara et le bamiléké. Les plaisanteries peuvent être acerbes mais elles visent juste. Business, relations avec les parents, amour et politique s’enchevêtrent dans des récits portés par le verbe haut et l’humour de ces hommes qui trouvent chez le barbier un espace de soin, mais aussi d’écoute et de conseil. À défaut de pouvoir couper vos cheveux, raser votre barbe ou tailler votre moustache, installez-vous confortablement pour un voyage entre Abidjan, Bruxelles, Dakar et Kinshasa !
Ambiance débonnaire dans toute la salle du TNS et surtout sur le plateau où les comédiens, acteurs de tous les jours semblent nous attendre et nous convier à une grande fête. Mais laquelle? Celle des retrouvailles entre un très jeune public invité à grimper sur scène pour se tailler un selfie avec cette joyeuse bande et plus tard en inondant les réseaux sociaux: j'y étais..Regarde tous mes copains noirs...Ou celle d'une communauté rassemblée ici pour savourer des cultures différentes, celles d'une Afrique francophone et de ces capitales, encore imprégnées de colonialisme linguistique et culturel? On en débattra ultérieurement tant le vif du sujet est abordé de front et de plein fouet. Au coeur d'une agora naturelle, celle de l'échoppe et du salon de barbier-coiffeur, lieu, endroit de rencontres, d'échanges entre hommes, autant que de soins et rituels de coiffure.On songe à ces salons de coiffure du boulevard de Strasbourg à Paris qui ne désemplissent pas de population immigrée désireuse de reconstituer, de reconfigurer les us et coutumes conviviaux et riches de relations humaines fraternelles.
Cette communauté ici portée aux nues sur un plateau est belle et émouvante. Et l'empathie nait ou surgit d'emblée avec les clients autant que les barbiers professionnels, chacun trouvant ici le lieu pour se raconter, se confronter à l'autre dans l'amitié ou le conflit de générations. Musique, rires, chamailleries ou règlements de compte, tout y passe dans un rythme vagabond, tonique. La chorégraphie, les déplacements, les corps des comédiens tous si différents au taquet. La signature de Serge Aimé Coulibaly (compagnie Faso Danse Théâtre redécouvert pour son "Wakatt" récemment ) rehausse la mise en scène signée Junior Mthombeni et Michael de Cock pour ces récits épiques. Choeurs et show choral,alignement en tête de gondole pour ces artistes qui brulent les planches et affrontent des situations entre comique et tragique comme une ode à la fraternité dans l'altérité et la diversité. On jubile devant ces personnages incarnés brut de coffrage dans des costumes chatoyants, rutilants digne d'un défilé voguing et tout prend du relief, même dans cette belle déformation mécanique des héros sur des panneaux suspendus comme des miroirs déformants. Ou est la vérité de ces histoires qui cavalent du Congo au Burkina, de Belgique au Sénégal pointant à chaque fois des détails sur chaque condition géographique et politique. Poésie aussi de ces saynètes qui s'enchainent introduites par la seule et unique présence féminine d'une conteuse-chanteuse discrète. Tambour battant tout se tricote aisément avec coup de théâtre, intrigues et exercice du jeu de comédiens: Salif Cissé, le chouchou de la maison, découvert dans le solo de "Je suis venu te chercher" et plus tard à l'écran dans les films "Méteors".."Spectateur" ou "Le répondeur",est fort et présent dans ses deux rôles où sa puissance se révèle fragile autant que véhémente et colérique. Tous les autres partenaires éclaboussant de joie, de tendresse, de malice ou de cruauté selon les épisodes parcourus. Du bel ouvrage pour un sujet délicat autant que crucial à évoquer: faire entrer au théâtre le quotidien d'un salon de barbier où tout ce dit comme des brèves de comptoir acerbes, tendres ou tout simplement sidérantes.
Et jamais "rasoir" ni "on rase gratis" pour ce pamphlet où la scène tournante au final joue au manège infernal de la vie.
[Texte] Inua Ellams
[Mise en scène] Junior Mthombeni et Michael De Cock
[Avec] Priscilla Adade, Junior Akwety, BATGAME, Hippolyte Bohouo, Martin Chishimba, Salif Cissé, Yoli Fuller, Aristote Luyindula, José Mavà, Jovial Mbenga, Souleymane Sylla, Clyde Yeguete
Au TNS jusqu'au 14 Novembre



