Seuls les fous et les solitaires peuvent se permettre d’être eux-mêmes
« Ça me dérange pas d’être folle, tu sais Michel. Au moins faire une bonne vieille crise de tictacboum, ça occupe le cortex. Au moins ça fait qu’il se passe quelque chose, le réseau de neurones s’active, il y a des étincelles. Tu sais, j’ai l’impression que tout le monde est heureux, sauf moi, et toi. »« Notez qu’un rien pourrait me délivrer, une goutte d’alcool brut, une main pour le bal… et je serais fada fondue frappée.et pousserais les limites et le bouchon…Et allez !! On débouche ! On pétille dans le sens du plafond !Hissez le barjo qu’on rigole,Pour un rien ! Pour cette vie risible et dingue ! »
Il y a Elsie, seule dans la maison de sa mère, qui cause avec un bouquin. Et au fond du bus, il y a ce voyageur mental, égaré dans ses divagations intérieures. Parce qu’un épisode psychotique vibrant et poétique transcende parfois la folie ordinaire de ces personnages atypiques et attachants…Deux textes en miroir écrits tout spécialement pour les acteurs Pauline Leurent et Logan Person par les autrices Catherine Monin et Mélie Néel. Mise en scène la saison dernière avec l’équipe artistique du TAPS, cette création inédite jette un pont entre l’écriture et la scène, entre les artistes et les techniciens, entre un théâtre et son public.
Le public est disposé en miroir, se fait face et l'on observe son semblable comme faisant partie du jeu: je "regarde" l'autre alors que déjà sur la scène de plain-pied une femme se concentre sur ce qui repose à ses pieds.e Le sol est jonché d'objets comme momifiés ou calcinés comme une installation de Kounellis: restes, fragments ou reliefs d'une vie: celle de la mère de Elsie, une femme esseulée perdue dans cet espace désertifié où les souvenirs sont omniprésents. Elle, c'est Pauline Leurent, forte personnalité portant un texte magnifique où les dialogues se confondent avec le jeu d'un autre personnage blessé par la vie. Logan Person sera son compagnon de route, le révélateur de son existence qu'elle crie et qui se déchire au fur et à mesure que le temps du jeu s'écoule. Il est aussi Jeff, l'homme rencontré dans le fond d'un bistrot qui lui tiendra la tête hors de l'eau. Car elle est bien "hors sol" déboussolée, égarée et perdue malgré des apparences séductrices et attrayantes. Les destins se croisent, se calquent, se chevauchent dans une mise en scène très rythmée où les "danettes" se dévorent pour déstocker les souvenirs. Un grand moment de théâtre où les deux comédiens portent et s'emparent du texte, riche, dense et déroutant. Seconde partie de ce "Cortex" annoncé, l'incarnation de deux personnages dont cet homme qui dort debout dans un bus jusqu'à son terminus. Entre temps un cerveau bien vivant, chatoyant, coloré affrontant l'hiver glacé lui lance des boules de neige pour le réveiller à sa conscience. Il est désemparé, fragile face à cette force de la science qui dicte sous sa moumoute protectrice, les pensées et actes scientifiques d'une potentielle guérison, prise en charge de sa léthargie. Une fois de plus Pauline Laurent surprend, épate et séduit dans un jeu, une élocution et des excès de voix fulgurants. La rage ou la férocité de ses convictions la poussant à fond dans une interprétation physique, charnelle et puissante. Face à elle Logan Person se réfugie dans un jeu habile et subtil de la perte d'identité et de l'absence d'altérité face à ce lion rugissant. Dans un frigidaire dont le contenu sera son corps recroquevillé comme relique oubliée.
"Fermer le livre" de Mélie Néel et "Sous la route" de Catherine Monin donnent lieu à une création théâtrale de toute beauté et grandeur, plongeant au coeur d'un monde de folie, de déséquilibre et de déplacement des corps, exemplaire. Olivier Chapelet, chirurgien et soignant de ces âmes en déroute sur des sentiers jonchés de feuilles volantes ou d'objets mystifiés à la dimension plastique et esthétique fort singulière.
Textes Fermer le livre de Mélie Néel / Sous la route de Catherine Monin
Mise en scène Olivier Chapelet Avec Pauline Leurent et Logan Person






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