Cie Toujours Après Minuit France Duo 2024
Señora Tentación
« Il n’y a pas de plus grande joie que de se cacher et de plus grand malheur que de ne pas être découvert » écrivait William Somerset Maugham. Dans Señora Tentación, créée par Marie Dilasser, deux femmes sexagénaires nous racontent le grand secret qui les anime deux jours par semaine : leur amour passionné. Celui-ci est caché par une jungle foisonnante qu’arrose Brigitte Seth, la concierge. Si elles en sortent, c’est pour le clair-obscur de la cage d’escalier, territoire de Roser Montlló Guberna, la femme de ménage. Les deux nous disent cette relation, avec force images allant jusqu’à l’érotisme ; elles le dansent aussi, avec allégresse et timidité. Devant nous, la force de l’âge qui fait récit et la vibration adolescente de la rencontre amoureuse. En creux, il y a le regard des autres, que l’on craint malveillant, insultant, discriminant, mais que l’on espère attentif, soutenu, aimant.
Un parterre de plantes vertes, palmiers, youkas...On se croirait dans la cour d'un immeuble parisien soigneusement végétalisé, arboré par une main verte: celle d'une concierge attentive à la floraison, à fleurs de pot, côté cour, coté jardin...? C'est une carte du tendre que vont déployer Roser et Brigitte, compagnes, compères, complices sur la scène comme dans la vie. Un tracé dansé, corps-texte d'une mélodie du bonheur, de l'amour, de la tendresse. Le récit d'une rencontre entre deux femmes, l'une de "ménage", en état d'ivresse épidermique de bonne conduite,l'autre de gardiennage d'un même immeuble. La concierge est dans l'escalier, reine d'un territoire, la technicienne de surface, agent de nettoyage, pleine de grâce et de sensualité. Inévitable frôlement, esquive ou enlacement, tendres évolutions joyeuses de femmes en mouvement. L'une est "pompette", galvanisée par un sens aigu du toucher, de la caresse, de ce sens qui éveille au monde: la peau d'un univers merveilleux, attentif au faits et gestes de l'autre. L'une danse, l'autre aussi, l'une parle et essore les mots, l'autre murmure un texte élogieux, pudique et parfaitement ajusté à une condition pas toujours facile à assumer, à vivre. Aimer une autre femme que soi, partager dans l'ombre ou la lumière un amour "défendu" ou "interdit" aux yeux et au regard d'une société bienpensante. Un penchant tendre et discret pour le même genre que le sien: lune et l'autre comme un soleil cou-coupé,pensant, rayonnant d'une énergie et d'une humanité hors pair. Ces deux danseuses-conteuses-comédiennes évoluent dans ce champ de verdure comme deux fleurs cueillies pour un ikebana plein d'espagnolades car le geste et le verbe claquent haut et fort, la musicalité, la grâce d'une langue fertile, généreuse mais âpre aussi. Les corps délivrent l'audace d'assumer ses choix, ses "penchants" comme des roseaux flexibles et ondoyants.
Comme les geste déhanchés de Roser Montllo, comme son dos dévoilant la géographie calligraphiée de ses muscles en rhizomes dansants. Et ce concerto pour deux instruments élégiaques de distiller la joie, la douleur, l'égarement, le rêve. Rêve de dancefloor où "toujours après minuit" les corps se donnent, se livrent à l'extase et la douceur de se reconnaitre telles qu'on est. Une danse à soi, pour un endroit à soi sans hégémonie de sexe ou de particularité ni de différence. Pourtant ce que dicte le sociétal convenable ne peut faire intrusion dans ce bel espace de liberté sans affecter ces deux aimantes, dans ce dance-fleur à fleur de peau. Irrésistible parcours mouvant qui fait réfléchir et fléchir la pensée en y ajoutant une once d'irréparable "péché" avouable. L'hyper sensibilité des deux danseuses interprètes des mots du corps comme une irruption cutanée qui touche et fait effet de troubles hérissés et titillant de démangeaisons sensuelles, érotiques. Comme des jambes dissimulées derrière les palmiers , cachant les tendres ébats de ces personnages devenus familiers au cours de la pièce chorégraphiée et mise en scène par nos deux protagonistes de la poésie chantante des corps impliqués, engagés par l'émotion et la vérité de la vie devant soi.
Épidermique peau du monde, "Senora Tentacion" , comme un tango nostalgique, parfum de femme,sans être manifeste ni plaque de revendication féministe est une arène concentrique où la danse prend tous ces droits fondamentaux de médium multiple, alliant le corps, le texte et le jeu dans une magnétique circonvolution, virevolte maline et sensible , partition tonale et tonique de l'expérience du monde sensible. Eros et Lesbos au bal, fuyant Tanatos ou frôlant la mythologie inéluctable du destin. Et l'on fredonne "belle nuit o nuit d'amour, sourit à nos ivresses...", barcarole étoilée , ludique et prometteuse de constellations amoureuses.
A Pole Sud jusqu'au 14 Novembre
Le terme de lesbienne découle de la poésie antique de Sappho, qui est née à Lesbos. Ses poèmes, à l'intense contenu émotionnel suscité par les autres femmes, expriment l'amour homosexuel.
"merci pour
ce très bel article qui exprime toute l’extrême sensibilité et le
tragique de cette amour particulier
Quand danse et texte s’entremêlent… érotisme du touché à fleur de peau" Pierre Boileau







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