D'emblée le décor est planté: apocalypse d'une caravelle échouée, tous mats déployés, voiles immenses, mi-tendues, échouées au sol. Le dispositif inonde à vue toute la scène du TNS. L'atmosphère de ce cataclysme en icône promet bien des tumultes, du mouvement. Ou est-ce au contraire signe d'accalmie après le naufrage, la tempête ou l'ouragan?
L'énigme va être très brutalement résolue: un personnage surgit dans une déflagration virevoltante et fait s'abattre l'édifice fragile de fin de règne! Brutale, efficace en diable, cette apparition est comme révélatrice d'une révolution. Mystère: le personnage est doublé par un autre qui lui ressemble étrangement: ils se cherchent
La tornade a dévoilé aux regards une étrange cabane de barreaux métalliques érigés en tipi. Là se cache "Raoul" dont on ne connaîtra pas grand chose. Lui et son double, son "jeu" est un autre?
Vraisemblablement! Mais tout au long de la pièce - deux heures de performance- notre anti-héros fera la part belle au mystère.Car il est bien le petit-fils de Charlie Chaplin, ce félin qui grimpe aux rideaux comme un primate surdoué. Quelques rictus et mimiques, quelques haussements d'épaules nous ravivent des souvenirs cinématographiques en plan large et fixe, des plus touchants. Mais, feu le cinéma! Un zeste de Jean-Claude Gallotta en sus: normal, ce dernier s'inspira beaucoup de la gestuelle précise, ciselée,tétanique et en miette de Charlot
Ici la kinétique est celle du théâtre, de la scène et pas d'effet de ralenti ou d'accéléré. Tout est bien "vrai" et l'élasticité du personnage, sa vélocité, ses arrêts sur image sont bien ceux de l'espace de la boite noire. Gags, effets de répétitions, corps morcelé, mécanique mais toujours très lié, James, Raoul, évolue en compagnie de ses objets qui apparaissent et disparaissent à l'envi. Le décor est un personnage en soi qui intervient à tout instant sur la destinée de ce petit être qui se débat avec son environnement Quelques bestioles vont venir interroger sa raison d'être: un tendre monstre qui bat des ouïes, charmant, et surtout attachant. Un éléphant à la Dali, un scarabée qui le rendra St Michel terrassant le dragon.
Un très beau duo de Raoul et d'une méduse évoque le texte de Paul Valéry, "L'âme et la danse" où ce dernier définit la vraie danseuse, non pas comme la "femme qui danse" mais comme une méduse gracile, sensuelle ondoyante: sirène à la quelle personne n'échappe dans une danse ensorcelante. Raoul aux prises avec la féminité, sa féminité! Il n'y résistera pas.
Bestiaire fantastique issu de l'imaginaire grandiloquent de Thiérrée. Mégalomanie, narcissisme?
Pourquoi pas, quand ces critères sont au service du fantastique, du poétique, de la déflagration, du rêve, de l'onirique. On peut lui reprocher quelques numéros de mime téléphonés - le cheval- où l'identification est trop vraisemblable et mimétique. On préférera les métamorphoses plus abstraites qui se traduiront par une gestuelle dansante, fluide qui l'emporte vers une chorégraphie soliste époustouflante. On le rêve en Nijinsky ou Nouréiev!
C'est d'ailleurs ce qui emporte ses saluts, merveilleux clins d'œils à toute sa technique transcendée par le talent de clown, de magicien, de funambule.
Car il danse sur la corde raide dans cet univers de désastre où il ne se laisse pas submerger. Son double l'y aide et ses acolytes qui interviennent dans le dispositif d'échafaudage sont les complices de ce solo.
"C'est fou ce qu'on est nombreux à faire un solo" confiait Raymond Devos!
C'est bien le cas pour ce démiurge, tombé du ciel comme un météorite, poussière d'étoile, diamant et perle rare de la scène.
Surtout "pas un mot" de tout ceci, c'est dans le silence intime qu'il faut déguster un tel festin corporel
On en deviendrait anthropophage.
Sans oublier la musique, les musiques qui interviennent comme des espaces d'immobilité, de silence ou de vacarme.
Que dire en conclusion d'une telle prestation, sinon qu'elle incite à une ovation du public qui ne peut qu'honorer le talent de ce "monstre", debout et quasi médusé!
mardi 11 octobre 2011
lundi 10 octobre 2011
"Pour en finir avec le cinéma": Blutch danse encore!
Qu’est-ce que le cinéma ? Quel effet nous fait-il ? Pourquoi aimons-nous le cinéma ? Autant de questions auxquelles Blutch répond à sa manière profonde, humble et réfléchie, puisant dans sa prodigieuse culture et surtout dans sa très grande science de raconteur de bande dessinée, à travers des films, des personnages ou des acteurs tels Burt Lancaster, Jean Gabin, Michel Piccoli, Luchino Visconti, Claudia Cardinale, Tarzan, Psychose… Autant essai graphique que bande dessinée ultime, rêverie et fantasme sur l’autre art de la narration par l’image, Pour en finir avec le cinéma signe l’arrivée chez Dargaud d’un maître incontesté de la bande dessinée d’aujourd’hui.
Merveilleux corps à corps en jaune et noir, au graphisme acéré dans les premières pages , étreintes, batailles, lutte, scènes de bal. L'histoire de la danse au cinéma y passe aussi. Puis, ce dialogue entre l'auteur-illustrateur et Mathilde son amour strasbourgeoise quand il était étudiant aux arts déco, une danseuse, acrobatique, qui s'entraine tout en causant!
Pour dessiner, il se nourrit toujours de danse, de musique…(voir "Vitesse moderne" avec Cunningham)
"Tout ce qui constitue le cours de la vie me sert de fumier (rires). Enfant, quand je dessinais, je trouvais ma seule source d’inspiration dans la BD. J’essayais de reproduire ce qui m’avait plu, ce que j’avais lu une heure avant. Aujourd’hui, j’ai besoin d’autres artistes, d’autres vies, d’autres œuvres. Je n’ai pas d’imagination. J’essaie de m’approprier les choses que je ressens. Comme je ne suis pas danseur, j’ai essayé dans mes bandes dessinées de faire de la danse ; comme je ne suis pas acteur, j’ai essayé de jouer ; comme je ne suis pas écrivain, j’ai essayé de faire de la littérature. Tout ce qui m’a enchanté, je tente de le retranscrire dans mon langage à moi. Une fois sur deux je rate mon coup mais j’ai vraiment soif de voir, d’apprendre. Il faut rester curieux."
A lire pour ne jamais en finir avec le cinéma, un art du mouvement, de la vitesse, de la lumière!
Merveilleux corps à corps en jaune et noir, au graphisme acéré dans les premières pages , étreintes, batailles, lutte, scènes de bal. L'histoire de la danse au cinéma y passe aussi. Puis, ce dialogue entre l'auteur-illustrateur et Mathilde son amour strasbourgeoise quand il était étudiant aux arts déco, une danseuse, acrobatique, qui s'entraine tout en causant!
Pour dessiner, il se nourrit toujours de danse, de musique…(voir "Vitesse moderne" avec Cunningham)
"Tout ce qui constitue le cours de la vie me sert de fumier (rires). Enfant, quand je dessinais, je trouvais ma seule source d’inspiration dans la BD. J’essayais de reproduire ce qui m’avait plu, ce que j’avais lu une heure avant. Aujourd’hui, j’ai besoin d’autres artistes, d’autres vies, d’autres œuvres. Je n’ai pas d’imagination. J’essaie de m’approprier les choses que je ressens. Comme je ne suis pas danseur, j’ai essayé dans mes bandes dessinées de faire de la danse ; comme je ne suis pas acteur, j’ai essayé de jouer ; comme je ne suis pas écrivain, j’ai essayé de faire de la littérature. Tout ce qui m’a enchanté, je tente de le retranscrire dans mon langage à moi. Une fois sur deux je rate mon coup mais j’ai vraiment soif de voir, d’apprendre. Il faut rester curieux."
A lire pour ne jamais en finir avec le cinéma, un art du mouvement, de la vitesse, de la lumière!
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Journalisme
samedi 8 octobre 2011
Georges Aperghis et son "Luna Park": attractif!!!
Georges Aperghis est plus qu'un habitué du festival Musica. Pour les aficionados, on se souviendra de la merveilleuse interprétation par Martine Viard des "Récitations" en 1983.
Depuis, il fit une résidence très remarquée à Strasbourg au conservatoire de Musique, qui familiarisa au plus juste les jeunes musiciens au théâtre musical, à l'humour des notes, à la composition, à l'interprétation.
Du beau travail de fond, oeuvre de fourmi qui porta ses fruits.
Aujourd'hui, il nous revient avec "Luna Park" un spectacle indéfinissable, ovni en son genre!
D'emblée, en ouverture, le ton est donné: tambour battant tout démarre de façon fulgurante. Sur un dispositif scénique très audacieux, les quatre interprètes musiciens, acteurs sont intégrés à une sorte d'échafaudage où le corps est mis en situation périlleuse, en danger.Sons, notes, paroles, musique en jaillissent comme autant de sources de tension-et détente- qui se maintiendront tout au long du spectacle.
Des images vidéo, soit pré-enregistrées, soit tournées en direct et remixées en régie simultanée font écho à ce travail musical, comme contre point, comme miroir du son. Des bouches en surgissent en série, ordonnant ainsi comme des "amuse-bouche" un apéritif tonitruant. Les lèvres en gros plan articulent, ânonnent, décomposent le mot. C'est drôle et désopilant, humoristique et nous tient ainsi à distance du trop sérieux!Pas de convention ni de savoir se conduire ici: c'est plutôt l'indisciplinaire, l'élève qui fait l'école buissonnière et se joue des formalités. Les quatre interprètes, une heure durant vont se frotter à ce jeu, physiquement éprouvant, cette performance d'athlètes, d'aérobie constante. Sur un fil tendu, la tension monte, puis le calme revient, pause salutaire dans le tempo de cette œuvre échevelée, décoiffant e.On y est désorienté, déphasé, décontenancé devant la virtuosité, l'audace de la pièce. L'échafaudage tient bon, comme une pyramide solide, bien plantée, une architecture qui double la texture de la musique, du son, du rythme.
Un spectacle total, multimédia qui interroge aussi sur la notion de communication, de solitude face à la technologie. L'ivresse qui en ressort incombe à cette juxtaposition de médium: vidéo, corps dansant, musique, images virtuelles et magie de la régie directe pilotée de main de maitre dans une vitesse fulgurante.Ecrans, caméras, micros, autant d'outils qui éloignent les artistes les uns des autres et qui portant font chorus, font front et face sagittale aux spectateur médusés, entrainés dans cette folle course contre la montre!
Le référent d'Aperghis, en l'occurrence Thomas Bernard et son chef-d'œuvre "Marcher" nous font ouvrir l'œil sur la notion de surveillance, d'auto-analyse. L'équilibre de cette vaste construction demeure fragile et le monde peut chavirer, tournoyer dans ce "Luna Park" bien artificiel où le corps est balloté, secoué, ébranlé, malmené: comme pris dans une machinerie infernale. Que reste-t-il de l'humain dans tout cela?
Beaucoup de poésie et de recul malgré tout pour laisser derrière soi un parfum d'inédit, de tremblement, de secousse salutaires!
Depuis, il fit une résidence très remarquée à Strasbourg au conservatoire de Musique, qui familiarisa au plus juste les jeunes musiciens au théâtre musical, à l'humour des notes, à la composition, à l'interprétation.
Du beau travail de fond, oeuvre de fourmi qui porta ses fruits.
Aujourd'hui, il nous revient avec "Luna Park" un spectacle indéfinissable, ovni en son genre!
D'emblée, en ouverture, le ton est donné: tambour battant tout démarre de façon fulgurante. Sur un dispositif scénique très audacieux, les quatre interprètes musiciens, acteurs sont intégrés à une sorte d'échafaudage où le corps est mis en situation périlleuse, en danger.Sons, notes, paroles, musique en jaillissent comme autant de sources de tension-et détente- qui se maintiendront tout au long du spectacle.
Des images vidéo, soit pré-enregistrées, soit tournées en direct et remixées en régie simultanée font écho à ce travail musical, comme contre point, comme miroir du son. Des bouches en surgissent en série, ordonnant ainsi comme des "amuse-bouche" un apéritif tonitruant. Les lèvres en gros plan articulent, ânonnent, décomposent le mot. C'est drôle et désopilant, humoristique et nous tient ainsi à distance du trop sérieux!Pas de convention ni de savoir se conduire ici: c'est plutôt l'indisciplinaire, l'élève qui fait l'école buissonnière et se joue des formalités. Les quatre interprètes, une heure durant vont se frotter à ce jeu, physiquement éprouvant, cette performance d'athlètes, d'aérobie constante. Sur un fil tendu, la tension monte, puis le calme revient, pause salutaire dans le tempo de cette œuvre échevelée, décoiffant e.On y est désorienté, déphasé, décontenancé devant la virtuosité, l'audace de la pièce. L'échafaudage tient bon, comme une pyramide solide, bien plantée, une architecture qui double la texture de la musique, du son, du rythme.
Un spectacle total, multimédia qui interroge aussi sur la notion de communication, de solitude face à la technologie. L'ivresse qui en ressort incombe à cette juxtaposition de médium: vidéo, corps dansant, musique, images virtuelles et magie de la régie directe pilotée de main de maitre dans une vitesse fulgurante.Ecrans, caméras, micros, autant d'outils qui éloignent les artistes les uns des autres et qui portant font chorus, font front et face sagittale aux spectateur médusés, entrainés dans cette folle course contre la montre!
Le référent d'Aperghis, en l'occurrence Thomas Bernard et son chef-d'œuvre "Marcher" nous font ouvrir l'œil sur la notion de surveillance, d'auto-analyse. L'équilibre de cette vaste construction demeure fragile et le monde peut chavirer, tournoyer dans ce "Luna Park" bien artificiel où le corps est balloté, secoué, ébranlé, malmené: comme pris dans une machinerie infernale. Que reste-t-il de l'humain dans tout cela?
Beaucoup de poésie et de recul malgré tout pour laisser derrière soi un parfum d'inédit, de tremblement, de secousse salutaires!
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