vendredi 10 octobre 2014

"Le garçon et le monde": l'animation dépouillée, mouvementée!

Un film d'animation brésilien de Alé Abreu, muet de 2013, discret, tenu,tendu comme un fil.
Papiers découpés, peinture, effets kaleidoscopiques comme une explosition graphique extraordinaire
Ca bouge fort bien!
Cela commence avec deux coups de crayon, et trois notes de musique. Un petit garçon : deux traits noirs (les yeux), deux pastilles roses (les pommettes) dans un visage tout blanc, tout rond. Un air de flûte tout simple, signature d’un papa monté dans un grand train et parti loin, sans que le petit garçon comprenne bien. Trois fois rien. Mais à l’arrivée, quel voyage ! Entre les premiers traits de crayon et les dernières notes de musique, le petit garçon est parti découvrir le monde, et peut-être retrouver son père.
Et le monde s’est déployé, pour lui et pour nous, avec une poésie, un relief et une vigueur que l’on a rarement l’occasion de voir, même dans le cinéma d’animation.
La grammaire visuelle d’Alê Abreu est simple. Les mondes que l’on découvre vont toujours par deux : chaque Eden a son envers. La campagne familiale est un cadre magique et très graphique!...
 
 

Ce soir Musica: rideau, en grandes pompes!

Au PMC ce soir, l'Ochestre Philarmonique du Luxembourg avec Jean-Frédéric Neuburger (piano), direction Peter Hirsch se produit pour clore une édition remarquable.
Concert de clôture du festival Musica de Strasbourg. Œuvres de Gérard Grisey (Transitoires - 1980-81), Philipp Maintz (konzert, création mondiale - 2013-14), Ondřej Adámek (Dusty Rusty Hush, création française - 2006-07) et György Kurtág (Stele - 1994).
Orchestre Philharmonique du Luxembourg © Blitz Orchestre Philharmonique du Luxembourg

Concert de clôture du festival. Le Philharmonique de Luxembourg en grand effectif déploie les partitions magistrales de Gérard Grisey et György Kurtág, et découvre en création celles d’Ondrˇej Adámek (dernière pièce de son portrait) et du concerto pour piano de Philipp Maintz.
 
Il faut l’entendre au concert pour mesurer le développement sonore de cette vaste symphonie funèbre. Accents beethovéniens (au début), bartókiens (à la fin), calme, puissance et brièveté : l’emprise de Stele sur l’auditeur est totale. Kurtág assista à de nombreux concerts et répétitions du prestigieux orchestre avant de livrer sa partition, commandée par Claudio Abbado pour le Philharmonique de Berlin et qui fut créée il y a précisément vingt ans.
Cinquième pièce du cycle Les Espaces acoustiques, Transitoires requiert un effectif comparable en nombre à Stele. Faisant référence au cycle, le compositeur indique : « (ici) le filtre est retiré, le temps est dilaté, les spectres éclatent jusqu’à la 55e harmonique, de véritables polyphonies spectrales se répartissent tout l’espace sonore. »
La question de l’espace sonore fut aussi au centre des préoccupations de Ondrˇej Adámek puisque Dusty Rusty Hush (littéralement : Silence Poussiéreux Rouillé) fut créé en 2007 dans une ancienne aciérie devenue musée industriel à Brandenburg (Allemagne). Le compositeur s’en inspire (la pièce prend parfois un aspect motoriste) autant qu’elle lui impose une manière de composer – en témoignent ces parties instrumentales très denses, qu’il devra même alléger plus tard pour rendre la pièce jouable !
Découvert à Musica en 2005 (les samedis de la jeune création) puis en 2011 lors d’un récital d’orgue de Francesco Filidei, de deux ans l’aîné d’Adámek, le compositeur allemand Philipp Maintz (né en 1977) livrera pour le festival son premier concerto pour piano, dédié à Jean-Frédéric Neuburger.
 

"La haine de la musique": Quignard musicien, philosophe inspire!

"Les oreilles n'ont pas de paupière": tout pourrait démarrer ainsi dans la découverte des textes de Pascal Quignard sur les origines d'un art étrange et énigmatique qui n'échapperait à personne tant l’ouïe "obéit" à tout ce qu'elle capte et constitue un "totalitarisme" de la musique dressée par les humains pour mettre de l'ordre!
Les deux œuvres inspirées de ce manifeste, présentées à Musica, sont aux antipodes l'une de l'autre: un spectacle musical et vidéographique, mis en scène par Christian Gagneron, joué par Lionel Monier et interprété par l'ensemble TM, dirigé par Laurent Cugniot prolonge les essais de Guignard en une lecture éclairée et musicale de ses propos.
Univers blanc, comédien vêtu de blanc, assis sur un fauteuil pour y déverser un texte qui ne semble pas être révélé par la musique, plaquée et redondante de Daniel D'Adamo...On s'y ennuie presque tant rien ne se passe de plus que l'addition des phrases dont le sens portant est passionnant, à la musique très lointaine des propos fusants de l'écrivain philosophe et poète Quignard!

La musique a toujours occupé une place essentielle dans l’œuvre de Pascal Quignard et c’est à n’en pas douter la raison pour laquelle La haine de la musique, qui démêle méthodiquement les relations entre la musique et le pouvoir, a bénéficié d’un accueil aussi attentif et passionné.
Qu’y écrit-il en substance ? « Tous les liens que la musique entretient avec la souffrance et la mort » sont interrogés, des origines des instruments (carapace de tortue, boyaux de moutons et peau de vache pour la « khitara » qui n’est autre que l’arc tueur d’Ulysse), jusqu’à son utilisation dans les camps de la mort du IIIe Reich. Comment la musique est obéissance, comment trop de musique finit par détourner d’elle jusqu’au mélomane le plus averti ? Comment on ne peut échapper au son, contrairement aux autres sens, comment le haut-parleur omniprésent a privé le monde de son silence nécessaire ?
Le texte est fort, aphoristique, pessimiste et érudit. L’acteur à qui il est confié crée un « parcours de l’écoute », un « cheminement du récit, des premiers hommes représentant le son dans les peintures rupestres, jusqu’à notre civilisation sonore amplifiée. »
Les dix instruments retenus par Daniel D’Adamo (né à Buenos Aires en 1966, il est installé en France depuis le début des années 90) interviennent en ensemble de chambre aussi bien qu’en solistes et sont prolongés d’un dispositif électro-acoustique immergeant l’auditeur dans l’espace spécifique du spectacle.

Bien plus édifiante la version "concert sous casques" du groupe étonnant "Décor sonore", coproduite par La muse en circuit,dirigé par le compositeur Michel Risse Et pas que du "décor" pour cette interprétation des mêmes textes de Quignard qui tout à coup se révèlent dans toute leur intelligence et pertinence!
On oublie tout, assis ou allongé confortablement, à terre dans une salle du Conservatoire: communion collective d'une petite cérémonie rituelle, messe à partager, tard le soir alors que les corps et les esprits sont lourds de leurs activités journalières.
Tout commence avant le démarrage officiel de la prestation: un homme vous murmure des propos très cagiens à propos des bruits de la rue, du son: un camion qui passe fait-il de la musique?
Puis le rituel démarre: noir et petites lumières tamisées pour écrin.
Un homme attablé conte "la haine de la musique" et tout s'éclaire tandis que l'électronique fait en live son travail d'écho, de rémanence des sons.Un bric à brac étonnant fait office d'instrument de musique: rappe à pomme de terre, fouet et batteur à blanc d'oeuf, archer pour faire grincer les pupitres et griffements des murs lacérés par l'officiant, déchainé devant tant de trouvailles!
Tout fait sens et le texte est ainsi rehaussé, magnifié sans être illustré pour autant: prolongé par la muse "écho" et l'écoute médiatisée au creux des casques que chacun porte pour s'isoler, se concentrer.
Belle performance où le verbe "inter liguérer" fait mouche et nous rend plus vifs et intelligents à l'issue du concert. Jamais inactif, on collabore à l'édifice et la musique devient "aimable" plus qu' "haïssable"!
Une "N" à la Preljocaj ou Kassovitz à chérir et développer pour sa propre réflexion sur ce monde sonore auquel on n'échappe pas!
A quant une version de "De l'origine de la danse" du même Quignard pour espaces musicaux et corporels?