mardi 21 juillet 2015

La DANSE dans le IN : Avignon fait son échappée belle !

Avignon, 69 ème édition...........
..Et la danse est bien présente dans la programmation "officielle" signée Olivier Py et ce jusqu'au cœur de la Cour d'Honneur du Palais des Papes avec la création de Angelin Preljocaj "Retour à Berratham".

"BARBARIANS" de Hofesh Shechter : Ode au désastre.


A la Fabrica, c'est la trilogie tectonique de Shechter qui bat son plein à propos du beau, du bon, du mal et c'est au "mal" que revient la part belle.
En prologue, six danseurs très ténus, de blanc vêtus, évoluent fort gracieusement sur une musique baroque: le beau y est souverain, fluide, presque gai. Intime, impénétrable, secret, recueilli.
La "barbarie" fait petit à petit son nid dans le deuxième volet de la pièce,dans un univers tranquille et, gainés de justaucorps très seyants, les interprètes se meuvent , physiquement engagés dans une écriture simple, basique "groove".
On en vient après un entracte au vif du sujet: les préliminaire nous préparent au pire de l'évocation en filigrane de la violence, de la bêtise humaine.Deux personnages, un "tyrolien" et une femme vont incarner toutes sortes de faux héros démoniaques du monde politique. Duo extrêmement sensible, digne de l'écriture d'une Pina Bausch, tant l'émotion sourd des corps enlacés avec une finesse ciselée de gestes fluides, lents, scintillants d'une intelligence rare.
Des donneurs d'ordre, des victimes, des sacrifiés: tout peut y être évoqué, suggéré sans tambour battant.
Un spectacle vif, jamais violent et pourtant qui fait mouche si la barbarie se dissimule insidieusement dans les attitudes, les flexions et les corps des danseurs, galvanisés par ce singulier manifeste sur l'horreur cachée des comportements animaliers de certains des dirigeants de ce monde
La musique se tient au garde à vous, signe politique, éclats de bruits et de sons, mélodies baroques: le pouvoir se niche aussi pour l'homme dont les oreilles n'ont pas de paupières pour échapper à la torture suggérée de nos dictatures. Shechter joue et gagne au jeu de l'évocation et du pouvoir des gestes, de leur sens, de leur étique.

" A mon seul désir" de Gaelle Bourges : Des lapins qui posent !


Au Collège du Lycée St Joseph, l'atmosphère est à la réflexion, à la digression sur les héros de la tapisserie de "La Dame à la Licorne"; un texte et une voix off nous introduisent dans le monde de l'amour courtois, à la manière d'une leçon de choses un peu didactique, simple et pleine d'humour sournois. Évocation d'un monde où les codes et les us et coutumes dissimulaient des pratiques érotiques et sensuelles en catimini. Des nymphes, nues nous révèlent les clefs de ces postures, attitudes, promesses de délices, de dégustation par tous les sens, des plaisirs de l'existence!
Elles sont nues, masquée à peine des effigies de ces lapins prolixes qui se reproduisent sans pause à tire larigot sur les trames et chaines de la célèbre oeuvre déposée au musée de Cluny.
Bestiaire fantastique, danse bachique, célébration de la chair pour ce spectacle hors du commun où se disent tant de choses sur le "con", cette origine du monde qui se glisse sous toutes ses formes, dans tous les inconscients.
Lapins déferlant au final comme une meute en rut pour assiéger le monde: une image très forte, violente, emblématique d'un univers à la Gaelle Bourges qui nous rappelle que nos sens posent toujours question comme le titre de la dernière tapisserie "A. Mon seul désir!"
Désir charnel pas si ambigu, que toutes ces icônes nous révèlent!

"NOTALLWHOWANDERARELOST" de Benjamin Verdonck: théâtre de carton !


A la Chapelle des Pénitents Blancs, c'est à une mise en scène très chorégraphique de petits phénomènes de carton, que Benjamin Verdonck convie au "petit matin" un parterre curieux de spectacle hors norme.
Un castelet de bois, comme une sorte d'échafaudage de poutres enchevêtrées comme lieu d'action: un cadre précis, délimité où un homme manipulateur à vue fait se mouvoir un petit monde magique de triangles de carton
A l'aide de ficelles, il pousse, il tire et fait naviguer autant de petits navires, de formes géométriques sobres, simples
Des rencontres, des heurts, des histoires d'attirance ou d'indifférence, voilà une humanité qui circule au gré de son démiurge manipulateur
Beaucoup de charme et de ravissement dans ce défilé plein d'humour, théâtre d'objets où Kleist et son traité sur la marionnette y retrouverait ses petits
Art plastique aussi, tant la pensée de Calder et ses mobiles, ou Mondrian et ses figures libres géométriques planent dans les esprits
L'épilogue est "renversant" et l'on y goûte l'identité de Verdonck, le Bazelitz du petit cube noir, la tête renversée, les pieds au plafond.
Les ficelles du spectacle, mises à nue, renvoient au chorégraphe qui se préoccupe de ses interprètes: les petits personnages triangulaires seront-ils au rendez-vous de ce suspens de carton?
A la renverse!


lundi 20 juillet 2015

A Avignon s' invente le texte- danse, le corps-texte avec "Retour à Berratham" d'Angelin Preljocaj


"Osez rencontrer ceux qu'on admire", leur écrire, prendre le téléphone et créer les plus fortes rencontres, celles que l'on désire!
Angelin Preljocaj sait écouter ses intuitions, suivre son fil d'Ariane qui se déroule au gré du temps et de l'espace comme le chemin non balisé des sentiers les plus surprenants
Seconde rencontre avec l'écrivain Laurent Mauvignier, première "fréquentation" avec le plasticien, sculpteur Adel Abdessemed et voilà qu'opère l'alchimie des disciplines.
"Étonnez-moi" disait Diaghilev à Cocteau au temps des "Ballets Russes" si contemporains aux yeux d'Angelin Preljocaj !Et naissait "Parade" en 1917....................



Une commande: un texte qui transpire le corps, le rythme, un texte musical pour la danse dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes d'Avignon! C'est le pari du chorégraphe, celui de faire raconter aux corps la musique des mots, le rythme de la syntaxe, de distiller sons et résonances à travers les corps des danseurs. Pas de littérature au service du sens, unique, mais un opéra, "tragédie épique" avec tous les paradoxes contenus dans les genres ainsi évoqués.
Et pourquoi pas?
Pincez-moi, je rêve: le spectacle est là, existe, vibre dans une scénographie évoquant le désastre d'une guerre achevée, carrosseries de voitures renversées, carbonisées, sacs poubelles noirs, remplis des horreurs des conflits, boites de pandore de la barbarie humaine
Grillages amovibles, à claire voie cependant pour laisser pénétrer ou passer une lueur, un espoir d'espace à investir à travers les mailles des filets.
Juchés sur ces grilles, deux comédiens, une comédienne qui se trahit vite danseuse, entament la narration: une histoire, celle de Katia, femme, amante, danseuse de la vie qui ne s'est pas arrêtée ici pour autant.


Un récit épique, pas un monologue pour autant, un conte d'aujourd'hui va se matérialiser sans paraphrase deux heures durant dans la nuit, au creux des murailles du Palais.
La magie opère, sereine, corps et textes fusionnent sans se heurter: ils s'accompagnent, cheminent, racontent d'autres choses que le contenu , le sens des mots
D'autres images sont ainsi suggérées : jamais illustratives, toujours sensibles, décalées parfois.
Ils dansent, les autres, ceux qui font partie du voyage, engagés, jubilant dans une scène hypnotique et tournoyante du "mariage": costumes quasi issus du folklore balkanique ou d'ailleurs.
Berratham existe, ce coin de monde est là dans notre imaginaire, nommé, de chair et de géographie.
De strates, de matière, de terre, de sensualité
Et l'on se régale des plus beaux portés, emportée, ravissement des corps portés aux nues, duos amoureux dignes de la griffe d'Angelin Preljocaj.......Aériens, érotiques, pudiques, insensés, hors gravité et pesanteur.On songe à "Noces" dans l'oeuvre de Preljocaj quand les corps exultent, s'envolent aux nues.


Les voix s'élèvent, les corps se tendent, le chorus opère au plus profond des muscles, les interprètes jouissent de matière noble et pétrissent texte, gestes et espace avec foi et engagement
Saluons ici la noble modestie du chorégraphe, engagé, responsable et auteur d'une danse qu'il ne tient qu'à lui de toujours développer dans les plis et replis de la conscience.
La danse est un art de combat, la scène est le lieu de cette confrontation entre rêve et réalité tangible de l'indicible. Larmes blanches, peurs bleues...........
La part des anges lui appartient, elle s'élève au dessus des limbes du Palais dans des lumières crépusculaires, dans des échos dignes de la déesse de la disparition, Echo, celle qui danse l'absence, emplit l'espace d'empreintes suaves des fantaisies de Terpsichore.

"Retour à Berratham" à Avignon Cour d'Honneur du Palais des Papes 22H jusqu'au 25 Juillet

MONTPELLIER DANSE 2015 : un parcours comme une odyssée de la danse !

"LAST WORK" de Ohad Naharin : course contre la montre.


A mi-chemin du festival, on "embarque" vers les univers si prolixes et dissemblables de "grands" chorégraphes, et l'on aborde la rive avec Ohad Naharin de la Batsheva Dance Compagny et sa création "Last Work".
Une pièce rare où l'énergie des 18 danseurs ici réunis pour cette nouvelle cérémonie de la Beauté active des sensations , des touches sensibles inouïes.
C'est à une course folle éperdue contre le temps qui fuit, qui passe que l'on assiste, incarnée par une jeune femme, seule en fond de scène qui foule tout le spectacle durant, un sol qui se dérobe sous ses pieds
Fascinant spectacle sonore aussi, rythmé par quelques sons lancinants égrenés de façon récurrente.
Pendant qu'elle "arpente" sur place, cet espace dévolu à la stagnation mobile, la danse envahit le plateau, déborde de toute par, hors cadre, hors champs pour mieux distiller une envie d'évasion, d'espace à dévorer. Esthétique de la fluidité mais aussi de la cassure, de la brisure pour une tectonique acrobatique pleine de grâce et de sens.
Contraste ou paradoxe, peu importe tant la dichotomie est retentissante, tant cette course éperdue symbolise le travail, la perte, l'effort, la dépense
On assiste ainsi à ce "labeur" fantasmé, mais bien "réel" du direct, sans filet: une performance magnifiée par les gestes, l'architecture savante d'une chorégraphie dont on devient vite "Gaga".
Belle réussite haletante et poignante pour une compagnie qui n'a de cesse de ravir sans concession un public conquis d'avance mais qui ne cède en rien à la routine du regard!
Le Corum ce soir là palpitait au rythme cardiaque d'une icone du temps, déesse chronique d'un sempiternel recommencement d'une tache: courir mais pourquoi?

"TENIR LE TEMPS" de Rachid Ouramdane :effets de dominos dominants.


Le théâtre de l'Agora, à ciel ouvert, offrait au chorégraphe un espace-temps où la question de la mécanique des gestes avoisine les mouvements d'horlogerie, les successions d'engrenages, les accumulations de gestes en déferlement constant.
Cascades de corps dansants évoluant sous la pression des contacts qui déroulent un parchemin de matière corporelle incessante glissade et déplacements savamment orchestrés
Du travail d'orfèvre en terme de dynamique de groupe qui offre des perspectives infinies à la mouvance
Seize danseurs s'adonnent au plaisir, à la joie ou jubilation de la contagion d'une esquisse qui se propage, se fond dans une foule calibrée par une orchestration drastique.
Timing, tempo sans concession à l'erreur d'intervention, à la moindre inattention de la part des uns, des autres
Chaîne de mouvements à la Fischli-Weiss,les plasticiens de l'impossible emboîtement domino, château de cartes en équilibre périlleux
La danse y prend des risques "chorals" à l'épreuve du temps rapide et fulgurant qui passe sous nos yeux
Quelques "accidents" prémédités dans cette tribu éperdue , assoiffée de fugacité comme chez Odile Duboc et son "Codicille-Insurrection" de référence.
De vert kaki vêtus, tous semblent configurer un monde fragile en constant mouvement: que du geste et de la fulgurance dans cette performance qui interroge notre conscience du collectif du "être ensemble".
Loin de la mémoire qui le tarabuste dans son oeuvre, Rachid Ouramdane livre avec "Tenir le temps" sa vision, son interprétation de la suspension , celle de celui qui suspend son vol au delà de la temporalité et qui n'existe que dans l'éphémère du spectacle qui se fabrique, s'articule devant vos yeux dans l'instant unique de son existence.

"CHOR(E)OGRAPHIE: JOURNALISMUS" Kurze Stücke de Va Wölfl : galerie d'art !


Avec sa compagnie "Neuer Tanz" basée à Düsseldorf, Va Wolfl n'a de cesse de tracer sur les pas des arts plastiques, de Beuys à Mondrian, de Filiou à Duchamp, sans jamais parodier ses maîtres, en égalant toujours sa très haute fantaisie jubilatoire.
Surprise sur le parvis du Théâtre de la Comédie de Montpellier, une limousine laisse sortir des artistes de music-hall, paillettes et strass à l'appui, tenue et attitude voguing de mise!
C'est déjà le show qui commence.Parade, bluff, provocation ou simple plaisir d’esbroufe à vue!
On se posait la question le premier soir où une panne de secteur plongeait la représentation dans le noir: vrai ou faux, simulacre ou réalité? Le suspens dura plus d'une demie heure où le public s'inventait des histoires en "attendant" le bon vouloir du chorégraphe ou bien l'interruption de la "panne" !
Hélas, réalité, toutes les suppositions s'écroulent et l'on retourne voir "la suite" le lendemain, exactement là où le spectacle s'était interrompu par malchance et non, préméditation diabolique de l'auteur-frondeur !
Succession de saynètes de show business à la Wolfl: c'est dire la plasticité des images jetées dans le white cube, savamment éclairées dans l'estompe des noirs et gris, sans strass malgré les apparences vestimentaires
Des guitares qui deviennent sculptures vivantes, portées par des effigies à la David Bowie, des faits et gestes à l'emporte pièce dans un rythme scandé par des fondus au noir ou des interruptions intempestives!
Que de la surprise, de l'audace dans ce déferlement de pieds de nez au conventionnel espace de la boite noire, dans cet opéra flamboyant de rouge et de velours, les paillettes font bon ménage mais personne n'est dupe.
Wolfl ne se ménage pas et son chambardement est juste, pesé, mesuré à la démesure de ce qu'il calcule: la beauté des corps, la plasticité des images, les couleurs où les accessoires de sculptures éphémères portées par les danseurs épris de complicité
Une pièce d'auteur qui fera date dans l'histoire des amours de la danse et des arts plastiques!

"HYPERTERRESTRES" de Benoit Lachambre et Fabrice Ramalingom : con -fusions !


Quand deux "personnalités" se trouvent, se rencontrent et décident d'associer leur tempérament, le temps d'une création, cela peut faire "mouche" ou retomber comme un soufflé hors de son four de fabrique!
Il en serait ainsi de cette improbable duo, voir trio partagé avec le musicien de taille Hahn Rowe, se taillant la part belle dans cette aventure improbable.
Deux escogriffes, de surcroît fort "sympathiques" et pas si "extra" terrestres que cela tiennent le haut du pavé à coup de recettes préparatoires à un banquet plutôt chiche et frugal, de gestes, attitudes et postures évoquant l'animalité, la barbarie ou la singularité.
Mais où réside le sens quand ces deux facettes facétieuses racontent ou expurgent sons et postures, agacements ou répulsions, révulsions ou renoncement?
C'est parfois loufoque, plutôt pathétique quand on sait combien l'un et l'autre savent bâtir des univers, des espaces singuliers, pluriels bien au-delà de cette mascarade . Plutôt nounours  charmants que créatures hybrides fantasmagoriques, voici nos deux compères aux prises avec une absence de dramaturgie cruelle pour simuler un conte de fées barbare dont l’intérêt semble tomber rapidement aux oubliettes."Hyper" marché désuet pas bien achalandé. Science friction garantie.

"PINACENDA" de Farruquito : Andalousie(s), je vous aime !


Il est gracile, doux, semblable à un personnage des mille et unes nuits, visage calme, indoux, pacifiste.
Il est de feu, de rage et de flammes sur le plateau avec sa "famille" de chanteuses et musiciens hors pairs, au summum de la perfection stylistique du flamenco "traditionnel" vivant, contemporain en diable. Au zénith de sa maturité artistique, avec une sensualité tantôt féroce ou retenue, le petit fils de Farruco dans la lignée des siens respecte et adule la mémoire des gestes, des rythmes et le tempo est roi dans cet éblouissante démonstration de savoir faire, de savoir être ensemble: un meilleur ouvrier de la danse espagnole flamenca, bordée d'un démiurge de la scène: fragile, aussi, sur la brèche toujours mais jamais "seul"
Il dialogue avec les autres artistes dans une réelle communion qui le transporte, le fait léviter dans un autre monde farouche , animal, organique bien né.
C'est à une prestation magistrale de rage autant que de pudeur, d'humour autant que de cruauté que Farruquito nous invite, nous convie
La cérémonie est largement ouverte et le banquet partagé entre eux et le public, ovationnant ce soir là au Corum, une troupe galvanisée, soudée comme une communauté humaine sait et peut le faire.
De la danse, des voix de feu, des sons de terre et de terroir imprégnés d'une saveur andalouse aux parfums, fragrances et résonances plein de mystères.

Une fois de plus Montpellier danse 2015 séduit, étonne, dérange et navigue dans des contrées lointaines ou proches avec délice, sagesse ou insolence: avec justesse, toujours.
On salue une direction artistique ouverte autant que "pointue" qui sait affirmer "ici on danse", ici on vit le souffle puissant de la création chorégraphique de notre temps, de tous les temps!