lundi 19 septembre 2016

"Fla. Co. Men" : El Is Ra Van Gal : danse savante?


Israel Galvan se joue des mots, des gestes, des légendes et des traditions: toujours avec un immense respect, un dévouement, et une moralité exemplaire. Le voici à la Maison de la Danse de Lyon, dans une forme de "solo" toujours accompagné par "les autres", musiciens, chanteurs: sa sagrada familia indispensable, irremplaçable. En toute modestie bien calculée, savamment orchestrée bien sur. Stratège, que ce grand monsieur, phénomène inclassable d'un flamenco contemporain, chargé d'histoire, de références et d'amour total et fatal pour sa fratrie? Certes car à le découvrir rentrant sur l'immense scène, occupée par percussions et instruments, on sait d'entrée de jeu qu'il y aura fraude, leurre, falsification et beaux mensonges: il est revêtu d'un tablier blanc de cuisinier et semble déchiffrer devant lui une partition sur un pupitre! Se laissera-t-on prendre au piège? Galvan lisant une partition chorégraphique? Au diable l’honnêteté! Supercherie!Il frappe du pied, des mains et à son habitude montre son meilleur profil dans des attitudes iconoclastes, ravageuses, déflagrations intempestives de son tempérament de feu, de terre. Le sol est son port d'attache et rien n'y changera, sauf son immense imagination qui l'emporte vers des rivages toujours nouveaux, en conquérant inlassable pour de nouveaux territoires d'écriture pour sa danse, la danse: celle d'ici et d'ailleurs, savante et populaire, patrimoine et inconscient collectif au poing.


Une guêpière comme accessoire, le voilà transformé, contraint et entravé. Le sol percusif reprend ses droits et accentue son travail rythmique: compas et autres figures virtuoses Sur des sols variables en pièces de monnaie, biscottes ou autre denrées extravagantes, il frappe, ébouriffe, surprend, interroge gestes et matières résonantes. Révolte, voltes, volte-faces, tout est réuni ici pour plus d'une heure durant nous conduire sur les pentes de la virtuosité, sur les traces du risque et du danger dans d'infinies figures et attitudes, postures emblématiques de son inlassable travail sur le flamenco. Danse humoristique aussi où il prend du recul, insatiable recherche pour laisser aussi aux autres interprètes, chanteurs et musiciens, des espaces de liberté et d'expression. Quel maître en la matière, noble et fier de son escorte, de ses amis et partenaires fidèles qui l'accompagnent, le porte et le soutiennent. Jamais seul mais solitaire ce danseur des solitudes dont DidI Huberman vante le talent, la richesse et la férocité désormais légendaire.
Au final, c'est en robe de flamenco, blanche et rouge qu'il vient saluer après les battles de ses compères. Échancrée, épaule à demi dénudée à la Pina Bausch, ouverte dans le dos. Belle image finale, touchante, simple, dépouillée. A vif, à cran.

17 ème Biennale de la Danse de Lyon: rébellion , Rebelle Lyon: et rugir de plaisir!


A bien observer le visuel sur l'affiche générique de la manifestation la plus "
populaire" de la grande métropole, la danse va s'envoyer en l'air sous forme d'une jeune femme nue, portée par les nues, ciel bleu, virginal: spirituelle, la danse, femme légère? Ou fragile ?
L'autre pan de l'icone médiatique affiché en ville: un homme nu saute et rebondit de dos sur des fagots de paille: un sauvage, un trublion, un rebelle échappé d'une sphère de raison? Ou un électron libre, lâché dans la sphère de l'art comme un animal épris et ivre de gaieté, de joie?


C'est un peu tout cela la danse pour Dominique Hervieu, directrice artistique du festival qui trois semaine durant va inonder la cité et rayonner de toutes parts. Un manifeste en faveur de la danse, déclinée savante et populaire: leitmotiv ou fil d'Ariane que l'on va suivre avec avidité, suspens et félicité dans ce foisonnement de propositions, vivantes et enthousiasmante: où donner de la tête ou des pieds, où se diriger dans ce beau labyrinthe tracé sous nos pieds de danseur, de spectateurs impliqués, actifs, participatifs!

"Histoire spîrituelle de la danse" de David Wahl: Terpsichore disséquée!

A vos marques, prêts, partez pour une lecture démonstration, de David Wahl dans la petite salle confidentielle de la Grande Maison de la Danse de Lyon:"Histoire spirituelle de la danse", une leçon de chose, un acte posé et réfléchi sur l'histoire que la danse entretient avec la philosophie, l'écriture, la religion, la raison: un voyage spirituel et didactique fort réjouissant dans les limbes de la chorophobie, celle qui de tout temps hante les esprits. La danse est-elle bonne ou démoniaque, amie ou ennemie du pouvoir, de l'église, fille de joie ou muse de la sagesse? Autant de questions qui seront soulevées durant ce bivouac salvateur, conte et récit scientifique et historique qui nous plonge dans la réflexion avisée et éclairée sur le corps, la mort, l'anatomie, la folie. Bref toutes les manifestations annexes d'un art où la vie, la morphologie, les croyances sont intimement liées et déversent moultes interrogations.On suit cette conversation intime, cette conférence passionnante, dans de bons fauteuils, à proximité du conteur, enveloppé par ses gestes et paroles édifiantes.Descartes, Xénophon et bien d'autres philosophes se sont interrogés sur cette pratique du corps et reste sans réponse mais cheminent comme la danse, avancent et poussent la réflexion sur des chemins de traverses éclairants: les universités de la danse ont bien des facultés à rebondir et disséquer dans des théâtres d'anatomie réflexive, la danse, pensé en mouvement, danse de mort ou de vie, macabre ou charnelle, interdite ou permissive.Ces causeries dans ce cabinet de curiosité, enfer de la littérature, théâtre caché des anatomies angevines, sont une agora indispensable au gai savoir!
Que notre philosophe maître ou titulaire de bonne  "chaire" universitaire prodigue encore souvent ces bonnes paroles: l'intelligence au corps!


"Corps rebelles": l'exposition au Musée des Confluences: l'intelligence du Milieu.

Sur notre lancée intellectuelle, déplaçons nous jusqu'aux Confluences, ce nouveau musée tectonique dédié aux sciences de l'humain. Une exposition digne du milieu chorégraphique: pensée, réfléchie comme un grand plié salvateur, un détiré qui respire en amène discrètement dans la sphère d'un art éphémère qui échapperait à toute mise en boite classique ou académique: écrire ainsi l'histoire de la danse moderne et contemporaine en plusieurs sections, espaces d'images , de paroles et de réflexion de ceux qui font et vivent la danse au plus profond de leurs muscles, de leurs pensées, de leurs pratiques personnelles. Ainsi on découvre en cheminant dans un vaste espace ouvert, de petits bivouacs, chacun dédié à une thématique: danse savante, danse populaire, danse virtuose, danses d'ailleurs....Une pérégrination édifiante dans les univers bigarrés, ludiques ou graves des créateurs d'aujourd'hui et d'hier.Louise Lecavalier pour un récit très physique de son expérience, agrémenté d'images en triptyque retable iconique, où son visage rayonne de sagesse ou de déraison,


Marie Chouinard pour évoquer le corps, prothèses ou désarticulations à l'appui: tous ces corps savants, domptés pour une virtuosité autre que celle du classique mais qui obéissent au même credo: technique, entrainement, rigueur et discipline acceptée, réfléchie, soutenue, vécue. Jamais contrainte ou apprise! Un parcours passionnant même pour les plus érudits ou à l'inverse, les néophytes: du hip_hop, de la danse d'ailleurs, des paroles de Raphaelle Delaunay qui vous invitent à mûrir votre pensée sur l'humour, la distanciation et bien sur Raimund Hoghe pour évoquer le corps différent, atypique, celui qu'autrefois on nommait Quasimodo et que l'on montrait sur les foires: corps intime, fragile, vulnérable mais puissant et fort d'une maxime pasolinienne"jeter soin corps dans la bataille"
Un espace où respire la danse d'aujourd'hui, aux couleurs, au tempo de ses créateurs, interprètes et spectateurs, de plus en plus considérés comme interactifs, réactifs et participant d'une avancée philosophique et humaine!
Jusqu'au 5 Mars 2017 au Musée des Confluences à Lyon

mercredi 14 septembre 2016

"Iphigénie en Tauride": lumineuse héroïne , traitée de couleurs selon Goethe


Jean-Pierre Vincent porte à la scène une Iphigénie rare et porteuse d’espoir dans l’humanité, cette héroïne antique, porteuse de « la malédiction des Atrides » à laquelle Goethe offrit une parole empreinte de l’esprit des Lumières. C’est une légende, un conte dans un pays mystérieux entre Euripide, Goethe et notre temps, une intrigue, un complot, une chasse à l’homme… C’est aussi le portrait d’Iphigénie, une acharnée de la vérité dont le rayonnement renverse les situations les plus 
désespérées.

Dans les entrelacs des corps, le théâtre, le verbe et la parole surgissent sur le plateau.
D'abord monologue d’Iphigénie pour planter la situation: mais tout n'est pas dit et l'intrigue, les coups de théâtre, légers incidents de parcours dans un récit conté subtilement, s’enchaînent.
Le décor, véritable toile de peintre qui oscille entre sculpture lumineuse, scénographie et toile tendue campe une atmosphère singulière: tantôt lumineuse, tantôt ombrageuse, menaçante, sombre, chargée de suspens et de tension.Seule en scène, portée par la malédiction, Iphigénie, grave et parfois maline et naïve nous entraîne dans la tragédie/ Goethe veille à un rythme ascendant dévoilant pièce par pièce un puzzle à reconstituer: celui d'une famille maudite, une odyssée machiavélique où les étapes révèlent horreurs sur monstruosités.Les faits sont là, le destin aussi et les acteurs portent leur personnage à bout de bras, à corps perdu. Les gestes accompagnent de façon puissante, charnelle et physique, les élans de la narration qui les traverse, les nourrit, les impacte."Du sang, des larmes, de la bave" revendique Jean Pierre Vincent pour cette "version" très personnelle de l'oeuvre de Goethe.Cécile Garcia Fogel déploie des trésors de nuances, de gradations dans son jeu et ses acolytes la guident, l'accompagnent ou la contrarient dans une fulgurance ou une douceur inégalée."Le traité des  couleurs" de Goethe en référence! Le son aussi participe de ce voyage dans le déploiement des nuances de la scénographie: intime, partiel, présent comme des touches de couleurs, des empreintes de rythmes passées à travers les corps, les lèvres des comédiens!
Fureur, tendresse, humanité pour ceux dont le sort est inscrit, ou la révolte, la féminité déterminent encore une possibilité de résistance!
Les décors de Jean Paul Chambas se transforment, évoluent dans la lumière changeante, se confondent à l'intrigue: sol coloré , tracé, sinueux, comme une toile d'Olivier Debré: une mer bleutée, mouvante, quasi impressionniste comme des nymphéas. Un arbre en découpe sombre, noire protège un bord de mer bizutée, des portiques indentés qui font saillie. Du David Hockney aussi dans cette ambiance grave et joyeuse à la fois où la clarté combat avec les abîmes du sombre destin de chacun.

"Iphigénie en Tauride" au TNS jusqu'au 25 Septembre

Sauvée du sacrifice par Diane, Iphigénie est exilée en Tauride depuis des années et rêve de revoir les siens. Elle a convaincu le roi Thoas de cesser l’exécution des étrangers qui débarquent sur ses terres. Mais quand elle refuse à nouveau de l’épouser, il décide de rétablir cette peine de mort. Or, deux jeunes hommes viennent d’accoster, dont l’un est Oreste, le frère d’Iphigénie... Goethe (1749-1832) offre à cette héroïne antique, porteuse de « la malédiction des Atrides », une parole empreinte de l’esprit des Lumières, ouvrant ainsi une brèche dans la fatalité de la violence.

Après En attendant Godot de Samuel Beckett, présenté la saison dernière au TNS, Jean-Pierre Vincent − directeur du TNS de 1975 à 1983, administrateur de la Comédie-Française jusqu’en 1986, directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers de 1990 à 2001 et codirecteur avec Bernard Chartreux de la compagnie Studio Libre depuis 2001 − revient avec cette Iphigénie qui affirme la positivité des êtres et milite pour une humanité délivrée de sa violence