dimanche 25 septembre 2016

"G R M 2:/oeuvres d'aujourd'hui" à Musica: Les enceintes ont la parole.


Maïeutique, les enceintes en font,la pratique, accoucheuses de sons, expulsant bruits et fureurs: musique au travail avec ses respirations, soupirs sa présence désincarnée, ses musiciens disparus ou absents et ses "ingénieux ingénieurs du son".
Pour ce deuxième volet des concerts GRM , la MGM de la recherche musicale qui rugit de plaisir et de productivité, place à 4 oeuvres dirigées par François Bonnet, Philippe Dao, eRikm et Daniel Terrugi; ingénieur du son, Emmanuel Richier, en somme tous ceux qui fabriquent et reproduisent créations et répertoire électro-acousmatique et sans qui rien ne serait possible.
Et le concert conçu comme un échantillon de la création actuelle.

"Cielo Vivo" de Vincent Raphael Carinola 2006
Très mouvementé, cet opus , projecteur de sons comme dispositif, toujours pour évoquer des percussions, en écho, en ratures,en ricochets et cascades giratoires, circulation des sons sphérique, donnant le tournis .Enivrantes résonances insistantes, perdurant, persistantes à l'oreille, en bonds et rebonds. Chocs, heurts, chaos, tout se catapulte, se bouscule, fait du sur place.Bruits de pas qui s'accélèrent, traqués. On évoque des personnages en proie à la fuite, la fugue ou l'inquiétude.On s'immerge dans cette atmosphère de traque, suspendus, en haleine: la narration apparait à l'oreille, les yeux fermés s'emplissent d'une imagerie fantaisiste. Cette musique là est bien sensuelle et visionnaire, spatiale et envahissante. Suggestive en diable.

"Draugalimur, membre fantôme" de eRikm, daté de 2015
Dirigé aux consoles par eRikm lui même en personne, cette oeuvre est une plongée aquatique au son caverneux à la Bill Viola.Les sons ruissellent , fouets sur la jetée venteuse; flux et reflux créent un paysage musical et mouvementé empreint de sensations. Très dansée, cette oeuvre "aux membres fantômes" qui rappellent ses collaborations avec la danseuse et chorégraphe Mathilde Monnier pour "Pavlova", "Déroutes", "Six Périodes" ou Allitérations. Complicité avec le corps de la musique;
Une histoire se profile, racontée, parlée, respirée: "dansez, dansez" entend-on très précisément.
Respirations, halètements, jouissance et désir charnel s'en dégagent. Le son est expulsé des entrailles, organique, au scalpel comme le ferait un sabre dégainé.Un peu d'exotisme dans les références sonores islandaises, comme des strates en couche;Au final on assiste à un cataclysme, un déferlement de sons, une tornade spiralée, torsade de musique très plastique. La mer recouvrant le tout, protectrice, des mouettes au loin.Belle évocation d'un univers très personnel, habité, vivant.

"Untitled January" de 2014 signé Guiseppe Ielasi serait un bric à brac, une usine à sons, un chantier rempli de moteurs, de grues, d'engins mécaniques. Élévateurs dans un entrepôt fantôme . Va et vients, reprises, répétitions pour cet univers singulier, spatial; des martèlements scandent la pièce, évoquent le travail, le labeur à l'usine, à la manufacture.
On en profite pour observer celui qui manipule la console en direct, comme un chat, attentif, étiré, à l’affût, à l'arrêt ou glissant ses pattes sur la machine.Fabrique de son usinés sans ouvriers ni force humaine. Magie, miracle, virtualité de cette musique acousmatique magnétique? Un ingénieur face à l'écran, partition numérique, musique à "membre fantôme" sans corps sauf sa mémoire des sensations!

Au final, c'est à Daniel Teruggi d'être au "piano" avec sa brigade de sons et ses instruments culinaires: cuisine nouvelle pour "Springtime" de 2013: le chef du GRM aux fourneaux, maitre queux démarre avec des babils, balbutiements, onomatopées perceptibles: du réalisme, du figuratif éloquent?
Des voix, triturées, ralenties, des pas et froissements de feuilles mortes, comme une poursuite, le son en circulaire.Action, suspens et ambiance de gare ferroviaire, inquiétante, fantastique; quelques chants religieux épars, chœurs évangéliques évoquant la flagellation.
Il y a un peu de tout dans cet inventaire à la Prévert, mais surtout de incohérence. Machines, corps ou esprits? Illustration, plus qu'évocation, un peu trop de pathos aussi. Bande son peut-être d'un nanar, un mauvais film, un navet: pourquoi pas aussi avouer que tout n'est pas réussite dans la musique acousmatique
Les hauts parleurs froncent les sourcils? Chez "Denise (René) et Daniel (Terrugi)": le nom d'un célèbre bouchon lyonnais bistronomique , la cuisine oscille entre tradition et modernité. Les rencontres sont toujours fructueuses: alors, chef à la batterie de cuisine, merci pour ce festin !

GRM:L'acousmatique va vous "consoler"!

La caverne d'Ali Baba de l'électroacoustique!


Le Groupe de Recherche Musical es majesté au festival Musica: place plus que légitime pour ce laboratoire musical qui fête ses 50 ans: une occasion pour découvrir cette musique produite par des "machines à écouter" mettant la vision spatiale en jeu: tous les Marcel Duchamp de la création musicale s'y retrouvent, les Filioux ou Ben, iconoclastes, chercheurs avérés, pionniers etdécouvreurs du son. Ces accidents graves de matériaux, cette matière musicale sans plan préexistant ni interprète
LesShadocks, vous connaissez? Eh bien référence oblige, leurs machines de bidouilleurs de sons et la voix de Pieplu, c'est ça§
Une musique d'enceintes qui accouche de cris, d'électrons libres, futiles parcelles de sonorités hétéroclites.
Pour nous le raconter en amuse bouche pour ce premier récital "GRM 1 Œuvres historiques", un document de l'INA, présenté par le directeur de l'institut, Daniel Teruggi, réalisation Franck Podguzer
Tout sur l'acousmatique, en image: on y apprend, voit et comprend la machinerie diabolique d'une création nouvelle: pas de "bande à part" pour cette aventure qui s'inscrit dans le courant de l'art cinétique: tout bouge, tout est lumière et mouvement, accidents et invention
Le son délivré, offert à l'imagination: poly son en diable.
Au menu, les dinosaures de l'acousmatique, les maîtres et disciples
"L'expérience acoustique" de François Bayle de 1969/ 1972
Un hommage à la vitesse, au train aux pleurs, cris, oiseaux. La vie organique sans début ni fin, la mécanique dynamique quasi futuriste.Musique insolente, dérangeante où ça grince, ça crisse, ou tout semble gripé, rayé, raturé. Des sirènes de paquebot comme signal de départ ou d'arrivée ou de errance. Le voyage électroacousmatique peut commencer: yeux et oreilles grands ouverts: "regarder la musique, écouter la danse" disait Balanchine
On en est pas loin.
"Etudes aux allures", "Etudes aux sons animés" de Pierre Schaeffer de 1958
Le maestro de la musique concrète, père de tant de créateurs en son GRM nous laisse des études où l'observation du manipulateur créateur à la table de mixage est un spectacle en soi
Torsion des mains, glissements vers les touches et autres interrupteurs, caresses de cet instrument à faire et produire des sons, comme une immense plage où l'ingénieur s'étire, se recroqueville, se tend.
Volumes amplifiés, espaces et ambiances de raclures, de ruptures, ces études sont le geste de l'acousmatique, la source d'émission, énigmatique de cette musique sans corps, s'incarner et pourtant "à table" pour le mixage,plus de tristesse, on va vous consoler!
Appuis, toucher des clapets, le corps du manipulateur des marionnettes du son ressemble au traité de Kleist: mais est-on bien tranquilles sans danseur ni musicien?
Cuisine moléculaire, déstructurée, l'électroacoustique est une émulsion de sons, une création virtuelle où la dégustation est quasi irrationnelle
"L’œil écoute" de Bernard Parmigiani 1970.
Défilement des sons en images, encore des trains pour élaborer ce "chemin de fer" éditorial de sa musique, fil conducteur du sommaire.Compartimenté ou en continu, wagons, couloirs, cabines et coulisses dans des roulements de machines sur des rails; la dynamique, dynamite est lancée pour ces grenades explosives de sons en salves.
Vols d'insectes en essaim, envahissement et submersion des sons, hachés, sectionnés comme des corps déchiquetés, morcelés, nouveaux hybrides du charnel.Terre de bruits qui submerge et fait surgir les sonorités enfouies, inouïes: tout est possible pour cette musique qui se crée en solitaire sans instrumentistes. Onaniste, en déséquilibre dans une folie douce où l'on perd ses repères
La réverbération des sons métalliques ou solennels sèment le chaos et la désorientation, l'éparpillement engendre la panique et la folie du propos s'installe: on perd pied, sans se noyer ni s'enliser; c'est agréable et inconfortable à la fois.Cet inventaire, dictionnaire des codes ou glossaire de sons envoûte, répétitif et se clot sur des airs quasi folkloriques, en ornement final: on y danse aussi dans cette abstraction étonnante, cette perte et absence de corporéité singulière.Accélérations, tournoiements hypnotiques, décélérations médusantes, la danse des machines est aérodynamique à la Marinetti, créateur du futurisme italien, "manifestement" présent ici aussi: vitesse, mouvement, on songe à l'oeuvre vidéo de Robert Cahen où le son est musique et rythme de l'image animée, ou ralentie.
Schaeffer veille au grain....
"J'ai été coupé" de Luc Ferrari de 1960
Un savant exercice très construit où les percussions jouent un rôle prépondérant: tout y est mesuré, l'intuitif, oublié.Les sons très modelés, mesurés, des instruments à vent font irruption dans cet univers calme et apaisé. Les horizons y sont larges, le champ de manœuvre ouvert: échos de voix, bruits de poulies, nuées volcaniques, brouillard opaque, flou des vapeurs de sons; l'ambiance est étrange dans cette évocation de la nuit et du cosmos; hululements, résonances, notre véritable "Odysée de l'espace" sera celui là, inventif, suggestif et non emprunts à de la musique pré existante comme chez Kubrick.
Yeux grands ouvert à la Bunuel, dans "Le chien andalou", regard éparpillés pour mieux sonder la richesse des textures sonores, cet opus est un petit bijoux, une leçon, un manifeste sérieux, rangé de la création acousmatique.
"Anamorphées" de Gilles Ragot de 1985
Pour clore ce panorama historique, un opus comme un réveil de cratère volcanique en éruption, en expulsion: vent, métal plaques tectoniques manipulées; aspect cinglant, tranchant de salves lancées dans l'espace, comme une danse de sabres, d'épées, un feu d'artifice à la Balla pour Stavinski. Des vagues y déferlent, survoltées dans un graphisme visuel et sonore inégalé: sons tracés, calligraphiés comme une chorégraphies sans corps Une danse à mille volts

La bande,son on s'y colle, magnétique pour cette leçon d'histoire de la musique
Merci au festival de nous rappeler d'où l'on vient et où l'on se dirige!
On nous à bien "consolés", édifiés et rendus plus sensibles à l’inouï!
Pas l'inaudible.....

"Jeunes talents, Quatuor Adastra": musique bien "chambrée".


L' Eglise du Bouclier comme écrin pour la musique de chambre, bonne pioche dans cette atmosphère recueillie, lumineuse, l'espace d'un samedi matin à potron minet: il est 11 h!
Jeunes pousses et valeurs sures, ce mixte s'avère juste et pertinent: le quatuor à cordes de la HEAR, se frotte aux œuvres de maîtres et se joue des embûches et difficultés, avec maestro.
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Cinq pièces pour affirmer maîtrise et savoir faire, talent et virtuosité.
Démarrage du concert avec l'oeuvre de Diana Soh, "Rojob(ta)ject(tion)"de 2009

Des cordes pincées, en écho et ricochet, des contrastes glissés, frottés sur les cordes en pizzicato et étirements.En cascades, pleines d'éclats, de silences et de ruptures.En glissades allant crescendo, en piqués et pointés, la musique se dessine, s'inscrit dans l'espace.En spirales, emplies de frottements, avec une intensité grandissante. Grincements secs et cassants, les ruptures se succèdent, les archets caressent les cordes.Des sirènes languissantes surgissent et tout se termine en gestes suspendus, en haleine, en souffle interrompu.
Cordes, pas "raides" pour un "premier de cordée", remarqué.

"Hommage à Andras Mihaly opus 13 de 1977/78 de Gyorgy Kurtag
Ces douze microludes pour quatuor à cordes délivrent des bribes de mélodie, à répétition, avec bref arrêt; comme des fragments, des retenues en douceur, en étirement dans la durée.Petites ascensions interrompues, frustrantes à souhait dans le rythme. Un mouvement planant, aérien s'en dégage, en suspension; les instruments prennent le relais les uns des autres et sèment l'intrigue.Le mystère en lente montée ascendante. Le grave du violoncelle, comme base et soutien; comme des marches que l'on gravit une à une. Frissons, tremblements en crescendo, petites coupures de son et le tour est joué.

Avec son "Quatuor à cordes opus 1" de 1959, c'est encore Kurtag qui résonne en glissades, frappements et choc sur les instruments à cordes.Percussions sur celles du violoncelle, en répétition, enjambées audacieuses de rythmes. Le son se propage, s'amplifie, prend de la densité.Se transmet, contagieux, tout en raffinement et subtilité. Sur la corde raide, fragile, en finesse.Succèdent des tonalités stridentes, des envolées en reprise, des frôlements très délicats, infimes.Longues trajectoires du son.

Les "Six bagatelles opus 9" de Anton Webern de 1911 se ressentent toniques et contrastées, le son se perd dans la virtuosité de l'interprétation. Frémissements, calme et retenue à peine effleurée toute en discrétion mesurée.De la distance, du recul, de la légèreté pour cette oeuvre toute de tintements, en gouttes de pluie.A fleurs de cordes, sous les archets des quatre musiciens, de bleu et noir vêtus sur fond de chœur blanc, gris bleu. Belle ambiance dans cette église du Bouclier, intime, chaleureuse, lumineuse
La danse de Dusapin
Et pour clore cette matinée étincelante, le "Quatuor à cordes" de Pascal Dusapin de 1993
Cette pièce ajoute au panel de l'ensemble un soupçon de litanie, enjouée, radieuse, endiablée et dansante. Stimulante et galvanisante à coup sur. Des contrastes lumineux, colorés déclenchent une dramaturgie, les gestes musicaux dessinant une fresque, un dessin dans l'espace respiré. Mouvementé, alerte cet opus vivifie et ravigote comme un transport musical ourlé d' emportées ascensionnelles chorégraphiées.Retour au calme après une entrée toute en verve.Recueillement puis reprise du flux et reflux, comme des phrases prononcées, ponctuées dans une prosodie, une narration suggérée.Le son s'allonge, s'étire, devise, discute.
S'y mêlent des accents forts, calmes, des élans et projections sonores grandissants.Tonicité, allant, vivacité et fugacité de l'écriture de Dusapin: appuis, soutiens, effort et dépense nécessaires pour l'exécution de cet opus magnétique. C'est de la danse dans ses fondamentaux: tension, crescendo, tumulte maîtrisé, détente; y président les décisions, intentions et directions volontaires du son. Un intermède pour respirer en picotements, pulsations distillées goutte à goutte De la nonchalance feinte dans le rythme pour se décontracter, des tours détours et retours pour se perdre.
Dusapin écrit sa musique comme s'il dansait, en tour et détour, en retour, en allez et venues .Le son se répand, fond, fluide comme une lente progression vers le zénith Le lâcher prise fait volte face, en retenue maîtrisée. Langoureuse mélancolie finale, nostalgie, apaisement et vivacité permanente maintiennent les musiciens en alerte, en état de corps éperdument empathique avec le public
La dépense est cathartique et une fois de plus notre grand Dusapin trône rayonnant, tronc, socle fondateur d'une musique savante et accessible, exigeante et implacable avancée, mouvement ascendant et libérateur de la pensée chorégraphique et musicale.
On en pince pour le quatuor Adastra décidément et l'on s'éveille cette matinée là avec un "pince moi, je rêve" dédié aux cordes dans tous leurs états acoustiques!