mercredi 28 septembre 2016

Lutherie, instrument préparé pour grand dentelé

photo olivier lelong

Perle séchée, baroque, pliée, plissée: la vie dans les micro-plis
Asséché, le canal, effilés les fuseaux, fibres musculaires tendues
Sirène à queue de poisson à la Léonard de Vinci
Arrêtes de poisson, écorchures d'épine dorsale en saillie, en spirale
Épinglé, le canal inguinal, creusée, la carcasse en caverne, le creux poplité ou l'astragale dévoilée
Tensions bien alignées, ceinture scapulaire bien attachée!
Cordes pincées, veines en confluences comme des lits de fleuves, mineur ou majeur
Le clavecin résonne, sec et métallique
Le "grand droit" se raidit, les clavicules font de petits berceaux comme des coupes qui attendraient le vin ecclésiastique
Dédale ou labyrinthe de tissus tendus, éclairés comme une peau en éventail
Les paupière annelées, le poil ébouriffé,la machoire réceptacle d'oracles
Animal sternocléidomastodien, ange de l'anatomie
Scarabée à la chitine reluisante, corps d'insecte piqué aux cimaises d'un jardin d'entomologue, petites géologies en strates, archéologie du corps vulnérable, petites faiblesses en recoin,
Démesure  subliminale, régence et noblesse de la surface, superficie du monde, lisse et fragile
La peau est un paysage, ourlé de joie et les fils animent la chair offerte de tous leur rebond

Ensemble Linéa à Musica: hommage à Alberto Posadas: noir c'est noir.


Trois œuvres pour ce concert du compositeur, inspirées par d'autres disciplines: peinture en hommage à Soulages pour "La lumière du noir" ou par des événements graves et perturbants.
Une soirée consacrée à l'Ensemble Linéa sous la direction de Jean Philippe Wurtz, renforcé par les étudiants de l'Académie supérieure de musique de Strasbourg/HEAR.
A l'Auditorium de France 3, l'ambiance est recueillie: Posadas est présent, son oeuvre devant lui va prendre corps.
"la lumière du noir" de 2010, conçue comme une évocation de l'oeuvre du peintre Soulges, de son "outrenoir", réverbération de la couleur dans les ténèbres de l'obscurité de la matière noire.
Quelles seront les connivences, complicités entre la musique et la toile tendue accrochée aux cimaises, qui réfléchit cette lumière d'outre monde, ce noir si riche et multiple, délivré par le plus "jeune" des peintres d'aujourd'hui! Cette "oeuvre au noir" démarre par des sons secs, bruissants, des vents languissants: dense, riche, la matière sonore vibre dans ses compositions, partitions de couleurs noircies par les tumultes étourdissants joués par toute la formation musicale, en bloc, soudée, compacte. Puissance éruptive, plissés d'une tectonique volcanique, la lave éclate en salves et projette sons et résonances: à la manière d'un scintillement de matière éclatée. Un attirail de percussions étonnant, impressionnant à l'appui pour rendre les profondeurs du noir, plus denses, plus sombres. Jaillissements, éclats, tem^pete, flambée et chaos s'installent , volumineux flux de musique.
Par touche, par couche de matière en relief, avec ombres portée et rayons lumineux, tracés sur des jachères , paysages éprouvés, abstraits Des envolées telles celles décrites dans ce" petit livre des couleurs" de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet:le noir "mat", inquiétant,peu brillante du "niger", le noir d'origine. Couleur "sérieuse" grave et savante comme la musique de Posadas. Et Goethe de souligner dans son "Traité des couleurs" la polarité entre clair et foncé, les contrastes et les intensifications liées au noir qui génère des dominantes dans une démarche très intérieure.
Musique, peinture, une couche de son, des coups de pinceaux, une gestuelle très organique, des corps qui vibrent devant nous pour interpréter cette "composition" haute en couleurs!

"Anamorfosis" dans la foulée, une pièce de 2006, fait résonner le piano, les vents, graves et intenses.
Pièce solennelle et pesée où se révèle la finesse des cordes et le très beau dispositif des percussions niché au chœur du cyclo blanc.Peuplée de chants d'oiseaux, d'affolements et divagations musicales, de trombes de sons diversifiés qui envahissent, submergent, recouvrent l'espace.
Un coup fatal, des spirales virulentes, des tornades ascensionnelles: l'univers est perturbé , chaotique, tumultueux, ébouriffant!
Impénétrable univers, affolant que cette oeuvre, disloquée, renversante.Musique à l'écriture savante mais pas impénétrable, manifeste architectonique des sons comme les réalisations de Frank O Gehry:
tout bascule, se rattrape, tient à un fil cependant solidement ancré qui construire un édifice insolite et géométrique!
Dernière oeuvre de la soirée"Oscuro abismo de llanto y de ternura" de 2005 démarre par un coup de canon, des sons languissants de gisants, de mourants. La guerre est déclarée: roulements de tambour, cymbales, hautbois en fureur: le son s'étire, se répand, fond. Ca fuse, en fusion continuelle,, chatoyante: vols d'oiseaux, criquets, éphémères prennent possession de l'espace en envolées: stridences des cordes, crescendo étouffant, asphyxiant pour celui qui assiste à ce déferlement de bruits et de fureurs condensés. Comme un monument qui s'ébranle sous la pression d'un tremblement de terre, d'un séisme inattendu: tectonique, équilibre instable s'installent cependant Alors que des avalanches chutent et déversement leurs scories: musique sismique, archéologie d'un futur musical qui remue et évoque le mur du son. Aérodynamique qui étreint , rapte et capture l'auditeur, dépossédé de toute référence: subjugué!La guerre en Irak, ainsi évoquée est bien sombre et abyssale....Le Noir en figure de proue...


"Tel père, tel fils: de J.F. Zygel à J.F. Heisser et J.F. Neuburger, le piano se taille la part belle! La voie lactée scintille!


Qui va piano, va sano, alors en route pour célébrer cet instrument mythique en compagnie des maître et élève de J.F.Zygel pour un récital inédit.
Pour ce long "Mantra" une oeuvre de Stockhausen, introduisant l'électronique dans la partition.
Transformation du son en temps réel, jeu sur les oscillateurs, modulateurs en anneaux, récepteurs à ondes courtes...
Cette oeuvre fit date et fascine encore les interprètes.
Deux pianistes, face à face: confrontation, duel, duo?
C'est tout ceci que donnent à voir et à entendre les deux virtuoses, à la tache, à l'ouvrage pour cette performance qui va tenir en haleine le public plus d'une heure durant.
Musique intuitive, constellée d'étoiles selon le compositeur qui ourle à partir d'une seule forme musicale, des variations en combinaisons multiples: le "roi de la combine"? Certes avec toutes les articulations qui se révèlent dans ce monde de galaxies sonores: le cosmos, le ciel comme une voie lactée, chant du "cygne", bouclier d'Orion, présente de Sirius....
De la poudre ou poussière d'étoiles, en notes répétées, reprises, ajourées de silences De très légères percussions intrusives nées sur le bord du piano, étincellent, ponctuent ou dérangent le piano, pour chacun des interprètes. Notes insistances sur touches, frappées, oscillement du son qui vient se perdre et mourir, qui s'éteint puis se "rallume", en déversements, déferlement subitement
Entre les pianistes, un dialogue en question réponse, en écho ou à l'unisson.Le son en cascades, en descentes et remontées évoquent vagues et marées, flux et reflux
Le son se transforme, devient métallique, profond, amplifié ou métamorphoser par les interventions en direct de l'informatique, manipulée par les interprètes, orchestrée par l'ingénieux Serge Lemouton.
Les pianos muent en synthétiseurs, grondent, ronflent et vibrent au plus profond de leurs entrailles. Sons de cloches, tintements, tintinnabulements des petites percussions additionnelles pour éclairer le tout.Les entrelacs de sons, s’emboîtent, se répondent, comme dans un ciel ouvert, livrer orages et tempêtes; des secousses tectoniques, en écho ou ricochet, se perdent, s'évaporent.
Combat rituel entre les deux pianistes qui se font face : qui l'emportera, qui aura le dernier mot, la note finale dans ce foisonnement de percussions très aiguës, de jeu pianistique virtuose et performatif? Ce jeu parfois tendre ou tendu génère suspens autant que fantaisie et émotion, ce qui émeut, ébranle et met en mouvement, l'âme et la sensibilité du spectateur auditeur.
Course poursuite de l'un à l'autre: on se suit, on se double, se dépasse, piétine, marche chacun à sa hauteur, face à face, main dans la main: à quatre mains, deux corps qui se dressent parfois, debout, émettant quelques son ou onomatopées: rituel, duel, d'un jeu très visuel des pianistes, habités par cet univers, cette ambiance mystérieuse; comme des clochettes au loin en multiples variations ludiques, un paysage se dessine, pastoral, bucolique, naturel Ou bien serait-on plongé dans un autre rituel spirituel, élévation eucharistique, sacrée de la communion?
En final, une éruption, vive, alerte, en ap,née, des cliquetis de percussions en ascension, crescendo délivrant cette catharsis que l'on vient de vivre graca au charisme des deux maîtres queux du piano, chef émérite d'une cuisine savante et virtuose, moléculaire et déstructurée pour le plus grand plaisir des yeux et des oreilles: "regardez la musique: un adage une fois de plus très juste et pertinent pour le vécu de cette oeuvre fleuve du grand Stockhausen!
Une cuisine basse température, concertée, construite et architecturée comme la toque d'un maître cuisinier: colonne dorsale d'un corps de métier: pianiste c'est aussi être aux fourneaux, faire tenir un édifice musical sans qu'un souffle ne vienne le faire s'éffondrer.