vendredi 30 septembre 2016

"My Rock" de Jean Claude Gallotta: rock in chaire,pour tous!


Jean Claude Gallotta, l'arpenteur des territoires nouveaux de la danse depuis belle lurette, revient avec son "My rock" chorégraphie de 2004, revue et corrigée en 2015: pour d'autres corps, d'autres danseurs et lui_même
Hitchcock de la scène, faisant de courtes apparitions à la Jacques Tati pour voir si tout va bien dans l'ordre et le désordre de ses petits bougés tétaniques ou ses grandes envolées, dévoreuses d'espace!
Mathilde Altaraz à ses côtés, compagne de vie et de scène, membre du Groupe Emile Dubois, cet étrange personnage inconnu au bataillon qui parle kreul, ou susurre des onomatopées, éructe ou sautille de joie: comme il vous plaira!
Souvenirs, souvenirs, radio nostalgie et c'est parti!


Le rock, c'est quoi, ça veut dire quoi? "Faire l'amour" nous confie la voix enregistrée du chorégraphe, suspendue aux cimaises
Plateau nu, noir réverbérant la lumière des danseurs, sculptures vivantes et animées pour cet architecte du plateau, cet alchimiste des espaces jamais vides, habités par des énergies, ici galvanisées par le phénomène Rock'n'roll!
"Son rock" pas celui de n"importe quel fan, auditeur adict ou survolté
Celui de son compagnon Yves P. auquel il rend hommage: ce rocker local de Grenoble, disparu trop tôt et qui lui a transmis l'envie de découvrir et de vivre l'aventure du rock, tout court.
Celle des prêtres qui dansaient dans les églises sur l'autel au son des gospels noirs; Elvis, le mythe va en surgir, blanc de peau pour ne pas avouer que l'art aux USA est noir, "niger"!
Gallotta trie, sélectionne et choisit certains morceaux, ceux que l'expérience du plateau n'a pas rejetés Car l'offre esr pléthorique pour cet enfant du rock qui travaille paradoxalement sans musique avec ses danseurs à la manière de Cunningham Regarder le son, écouter la danse:vivre en visionnaire les propositions du démiurge Gallotta sera la tache de ses douze danseurs
Stylés, bondissants, dévoreurs d'espace, se donnant à fond sur chaque morceau choisi de Elvis à Nirvana, des Beatles muets à Patti Smith
Les duos sont sa marque de fabrique, à fleurs de prise comme des bergers qui s'attrapent, jouent, s'étreignent, s'enlacent sans se lasser.
Animaux sauvages, "Lézards" pour  Iggy Pop, jeans pour Dylan, duo toublant pour Lou Reed...
De l'énergie à l'état pue, une abstraction dans la construction ou chacun est électron libre et contraint, interprète virtuose de mouvements simples mais enchaînés à perdre haleine
Erotisme des chemises ouvertes , baillant au vent, dévoilant peau, souffles et respiration
Noir et blanc pour évoquer des univers où la mort rode, plane dans les excès de tout genre d'une génération de musiciens survoltés, émus par le trop plein de vie à expérimenter
Ils ont presque tous perdu la vie en se la retirant, alors que Gallotta et sa tribu prouverait le contraire: ne pas "perdre sa danse", son corps, véhicule, passeur et vecteur d'énergie vitale
Un manifeste à suivre de près pour de prochaines aventures: le rock au féminin?
Pour celles qui vivent encore, plus en douceur et profondeur les accidents et expériences extrêmes de la vie: Patti Smith et autre Nina Hagen, Guesch Patti....

A bon entendeur, salut, Festival Musica: le message est passé et le public du  Point d'Eau, ce soir là à Illkirch ne le démentira pas envahissant le plateau pour un dernier rock collectif, Gallotta au micro, ce Godard de la danse, pas près de nous quitter pour partager cet "être ensemble" qu'est la danse, sa danse! Et mouillez, déchirez votre chemise! La chair est joyeuse, abstraite aussi malgré l'extrême présence charnelle de ceux qui la fabriquent devant nous, au travail: comme le rock, passionné, entier, abrupt, féroce et sans indulgence!
Une autobiographie chorégraphique politique et poétique de belle envergure.

Accroche Note: musique de Chambre: En corps, encore, la note sera salée-sucrée!


On les attendait, les voilà avec un programme dense et fourni, varié, éclectique et ambitieux.pour évoquer les univers de Posadas, Essyad, Bertrand et Matalon!Sous la direction du fidèle Emmanuel Séjourné.
"Sinolon" de Posadas 2000 est une oeuvre mathématique, inspirée de l'univers d'Aristote.
Solo pour clarinette, voici Armand Angster traversé de tremblements, d'oscillations, de vibrations Montée vertigineuse dans les aigus, redescente chromatique, les pieds bien ancrés au sol, jambes fléchies en pliés, demi-pliés pour supporter le son, maintenir la note: performance physique bien visible devant nous, en empathie avec l'artiste Des aspirations, de savants dérapages pour accéder au summum des aigus, sommet au zénith d'une montée en gamme suraiguë. Possédé par Posadas, habité, troublant de porosité, de perméabilité par rapport à cette musique savante, virtuose.

"Lettre d'amour" de Essyad de 2016 avec harpe, voix et violoncelles, pour "Françoise et Armand": c'est dire la complicité qui unit cette formation au compositeur qui "accroche" ses notes en chacun des protagonistes comme une preuve, emblème de fidélité!La création du monde, l'avènement de l'amour comme thématique pour la chanteuse qui s'empare de ce beau texte de Jalal Eddine Rumi, traduit en français. Un récitatif très audible dont on suit aisément le contenu des paroles dans une excellente élocution malgré les difficultés et audaces de ce "sprechgesang"; la musique lui offre un écrin pour assurer avec beaucoup de poids, la densité des mots, les couleurs et surfaces du texte.Le son scintille, sa voix module et sculpte les tonalités, leur donne corps et existence. Des ondes se propagent entre musiciens; la conteuse-chanteuse, à la tessiture claire et profonde, au timbre lumineux et grave s'emploie à largement déployer cette musique, riche et foisonnante. Vindictes, affirmations en litanies, voix au poing, Françoise Kubler offre toute sa maturité, son ancrage dans le sol pour mieux faire vibrer son instrument, : belles attaques guerrières, jolis graves séducteurs au service du texte.Magnifier la voix en lui offrant un creuset instrumental à habiter, corps à cordes, alternance voix instrument, voici du bel ouvrage, ponctué de pincement ou glissés de harpe, de touchers de violoncelles, de galipettes de clarinette.

Suit "La chute du rouge " de Christophe Bertrand,d'après une toile de Philippe Cognée de 2000
Un opus à découvrir, une atmosphère riche, colorée, formellement organisée comme les toiles du peintre.Piano et percussions à l'appui, naît une longue portée commune, révélation de chacun des instruments, à leur place: chacun respire, s'agite, s'imbrique naturellement pour exister ensemble.
Sans prendre le dessus ni s'effacer au profit des autres. Mouvements vifs et très spatiaux, spacieux aussi; délicatesse des motifs qui se répètent, s'amplifient, jusqu'au grondement évoquant un univers très minéral. Fractures, géologie des plaques tectoniques: on songe aux moraines, langue glacière, et bassin de réception d'un paysage glaciaire: fonte des neiges et des sons, recul du glacier en sérac et autres crevasses périlleuses à franchir mais attestant de la vie du glacier. Dans la vallée en auge, les sons se rassemblent, scintillent, très lumineux. Musique largement offerte aux instruments, aux tympans de ceux qui écoutent et regardent se construire et se dérouler devant eux, la magie de la composition musicale: incarner matières et visions pour offrir des espaces de liberté.
Au final, un decrescendo en lucioles vibrantes, en reflets qui frémissent. Sur l'adret, sur l'ubac des peintures de Cognée, petites géographies architectoniques en diable. En rouge!

"La carta" de Matalon pour clore cette soirée en beauté: s'ajoute au groupe, un accordéon, alors que percussions et piano, voix et violoncelle habitent le territoire en majesté.
Étincelles de sonorités légères, amplifiées en cascade, tétanies vibrantes, ricochets, échos réverbérés en cascades par l'électronique et le ton est donné.Petites percussions discrètes sur cailloux qui crissent, grondements caverneux, petites incursions brèves, avortées par touche de l'accordéon. Chacun se glisse dans cet édifice sonore pour faire tenir ensemble poutres et piliers, charpente et ossature fragile.
Anatomie du son à décrypter sur place, on est en alerte, attentif à chaque source d'émission qui se recouvre pour un son sourd, feutré.La voix de la chanteuse, saccadée, vrillée, en osmose avec les autres instruments, eux aussi aux sons hachés, segmentés, secoués, interrompus. Petites touches, perles ou gouttes de sons frappés, c'est un régal pour l'écoute Un enchantement à la Matalon maître de ses percussions précises, nettes ou effleurées. Des émissions de sons très organiques qui se mêlent à la clarinette, épine dorsale parfois de la construction en marche, alors que craque l'univers, se fend la matière en ébullition.La voix devient quasi animale, percute, comme un matériau trituré à part entière, développant les infinies possibilités techniques de Françoise Kubler.
Et toute son ingéniosité à s'approprier la virtuosité comme poésie sonore et vocale!
Proche des sons d'objets qui grincent et soupirent, dans un univers d'ovni, de science fiction fantastique Ascension, chutes et retombées pour que le son s'élargisse, se répande, se fonde, comme un corps instrumental. Inventaire à la Prévert des métamorphoses vocales, glossaire Matalon, dictionnaire vertueux des variations et autres élucubrations subtiles et performantes des cordes vocales. Hybride en diable.
Car si la chanteuse dissimule en elle son instrument, les autres cordes, à vue s’enorgueillissent aussi de pouvoir générer autant de trouvailles, organisées! Encore quelques avalanches de sons qui s'émiettent, une petite minuterie malicieuse qui se glisse subrepticement comme tempo , quelques réverbérations acoustiques pour nous rappeler à l'ordre, pour sonner l'heure de quitter le groupe "Accroche Note": de petites touches de musique accrochées, dessinées dans notre mémoire
Ce soir là la Salle de la Bourse, le public ovationne ses "enfants" de Musica, ces  compères et compagnons de l'existence de la musique d'aujourd'hui



jeudi 29 septembre 2016

"Concert pour le temps présent": Pierre Henry, Thierry Balasse : acoustique, analogique, numérique et tutti quanti!


Quand Thierry Balasse propose un concert, c'est un événement, feu d'arfice ou musique en fanfare, scénographiée: un coup de poing, pavé dans la marre d'où émergent les plus audacieuses ondes et circonvolutions
"Fanfare et arc en ciel" de Pierre Henry pour l'entrée apéritive, "Fusion A.A.N" de sa propre veine et bien sur, "Messe pour le temps présent" oeuvre culte, béjartienne à l'envi, reprise récemment par le chorégraphe Hervé Robbe à la Biennale de la Danse de Lyon: une histoire avec le mouvement qui ne cesse de hanter cette oeuvre emblématique, de bruits et de fureur électrisante, galvanisante pour des générations de danseurs, hypnotisés par l'audace et l'évidence d'un psyché rock légendaire, un jerk enivrant et qui fait "avancer"toujours, reculer, jamais!
Et le festival Musica vaut bien une messe pour couronner son évocation de la musique électroacoustique qui préside à cette 34 ème édition. Et serait l'occasion de sacrer Jean Dominique Marco, roi de l'audace qui décoiffe public et amateurs de musique d'aujourd'hui, en tout genre!

Une scénographie originale pour un vrai spectacle, théâtre visuel de l'électroacoustique
Les hauts parleurs illuminés comme des guirlandes de lampions, un parterre de pelouse verte, de la moquette blanche et le tour est joué pour l'ouverture de la soirée par "Fanfare et arc en ciel" de Pierre Henry de 2015 pour orchestre et haut parleurs
Musique live, musique enjouée, référencée de musique de génériques de feu d'artifice ou jets d'eau, dans une boutique fantasque à la Ben Vautier.Fête ludique, généreuse, cosmique de fête foraine, éclaboussante, éclatante, heureuse!
Parade de "jour de fête" garantie!
Puis, c'est l'oeuvre de Thierry Balasse à l'honneur ce soir, digne héritier et complice de toujours de Pierre Henry
Les musiciens apparaissent au travers d'un filtre, rideau transparent, en ombres chinoises. Sont-ils bien présents, ceux qui d'habitude habitent la bande son enregistrée et n'ont plus de corps?
Cabinet de curiosité que ce panel d'instruments acousmatiques: consoles, enceintes et surtout ce très beau spatialisateur, trois cerceaux en arceaux pour émettre la musique, du bout des doigts, de la caresse des mains
Chorégraphie vivante des gestes de tous qui dirigent le son de leurs interventions physiques gestuelles.La musique manipulée en direct dans ce grand bazar spectaculaire, animés par les huit bricoleurs, bidouilleurs de sons à l'envi
Un tableau de piano, des consoles d'époque...
Puis, en avant pour "La Messe" annoncée par la voix de Béjart: 50 ans déjà que déferlaient hurlements, cloches, synthétiseurs en folies, larsen affolés.
Voir ceux qui ont façonner cette musique en direct est étrange: leur bande acoustique n'est pas celle que Pierre Henry collait, découpait et là est tout le charme: moulée à la louche comme autrefois avec l'attirail et dispositif quasi d'origine, la pièce résonne, déferle, inonde et fait danser nos souvenirs et pensées.Musique mythique que Thierry Balasse va décryptér après le concert lors d'une rencontre où tout le public de la salle de la Cité de la Musique de Strasbourg reste pour dialoguer et mieux comprendre d'où vient le son et quel son!
Soirée qui jaser sur le parvis, évoquer nos plus intenses souvenirs gravés dans cette "Messe" qui fit réagir et danser toute génération sur ses rythmes fulgurants, ébouriffants, électrisant, survoltés
Eh oui, la musique électro acoustique vaut bien une messe et pas encore un requiem!