mercredi 19 juillet 2017

Mouvements sur la ville N° 9 à Montpellier: Didier Théron crée "Le jeune homme et la mort"

Alors que le festival Montpellier Danse bat son plein, en ville, la périphérie à la Paillade se "manifeste" aussi en organisant "Mouvements sur la ville".A l'Espace Bernard Glandier
Une pièce de Didier Théron a retenu toute notre attention.

"Le jeune homme et la mort"


Derviches coureurs
Pas celui de Babilée, celui de Didier Théron, chorégraphe référent dans la Région
Le mélodrame de Jean Cocteau, la musique de Ravel fondent cette réflexion du chorégraphe sur la jeunesse qui meurt tuée au combat
Trois danseurs, une heure durant vont s'adonner à une course folle dépassant tout "entendement" physique. Course pour éviter les obstacles, enjamber les morts.Courses, sauts et envolées pour symboliser l'énergie folle de la jeunesse, l'insouciance ou l'inconscience.
Derviches coureurs d'un marathon incessant où l'on se passe le témoin, relais ou flambeau de vie, d'espoir . L'endurance ne fléchit pas, d'aucun ne perdent pieds , ni ne relâches les rênes. On 'achève bien les chevaux, mais pas les danseurs, hommes et interprètes brillants de cet opus proche de l'univers d'un Beckett La danse comme dépassement de soi-même, de ce qui nous accable.
C'est beau, impressionnant et le Daphnis et Chloé de Ravel de transporter la montée en puissance narrative: pastorale dramatique pour performeurs, athlètes et artistes pétris d'intensité dramatique.
Michèle Murray comme complice de toujours, regard attentif sur cette "pièce chorégraphique" très aboutie.

37 ème festival Montpellier danse:quelques perles, un hiatus!

"Tenworks (for Jean Paul) de Emanuel Gat


Rencontres fertiles
Déjà une performance, un duo sur la place de l'Hotel de Ville aiguisait les regards: un homme, une femme aux aguets, aux abois qui s'enlacent, se cherchent, s'appellent...Sorte de mise en bouche pour appréhender la pièce au sein du Théâtre de l'Agora
L'expérience est unique: réunir des danseurs de la compagnie d'Emanuel Gat avec certains du Ballet de l'Opéra de Lyon! Gageure et pari tenu pour des rencontres inédites, un partage d'énergies, de mode de travail différent. Toute une histoire de "cum panis" partager le pain en bonnes compagnie!
Chose faite et s'il "fallait faire art comme on fait société" cette pièce en serait illustration, témoin et acte de naissance d'un genre de formation nouvelle.
Dix pièces donc dansées en duo, trio, groupe compact, multiplicité des propositions chorégraphiques en temps réel, simultanées, brouillant les pistes du regard.Danse en ricochet, emboîtée, en écho, en puzzle. Un contage pour sceller l'une à l'autre, du classique sur pointe, des pauses et silences récurrents: toute la gamme et le vocabulaire de Gat fait merveille chez les danseurs du Ballet qui épousent cette écriture et s'en emparent sans faillir. Étirer les corps, se jouer des directions, considérer chacun des interprète comme une identité, un prénom, celui de Jean Paul (Montanari) comme compagnon de toujours, soutien indéfectible et passionné.

"Dança Doente" par la Demolition incorporada" de Marcelo Evelin


Symptômes et troubles
Une "danse malade" pour dix personnages singuliers, hommes, femmes de tous âges et corpulences.
Ils déploient quantité de mouvements absurdes, souffrants, mourants devant nous.Comme autant de portraits d'humanité blessée, atteinte de symptômes de folie, de démence ou de maladies. Un pan de peau plissée jaunie pour dissimuler ou mieux révéler les "parties basses" du corps,: les jambes masquées par des voiles ou des costumes de dépouille: ils gravitent et évoquent espoir, errance, fragilité dans une ambiance trouble et noire.Comme un hommage à Hijikata, longeant les bords d'un canal à Nancy, robe rouge et rose au poing.Une scène bouleversante, un duel à mort , amour entre deux hommes qui se baisent sauvagement. C'est cru et la force et la sincérité, l'engagement physique des interprète, méduse, évoquant Eros ou Tanatos, alors que sons, bruits et musique martèlent le tout en rythme Ces spectaculaires et provocants tableaux d'une humanité aux prises avec un certain théâtre de la cruauté sont impressionnants, forts . Artaud et La Argentina ne sauraient que s'en féliciter.

"Flood" de Daniel Linehan

Souffler n'est pas jouer !
Et voici la pièce qui fâche, "hiatus" dans un dispositif de voilages permettant entrées et sorties, apparitions et disparitions. Trois hommes, une femme pour jouer sur cette architecture là, des néons, des costumes designés, folklorisant, magnifiques mais dénués de sens. D'une riche note d'intentions, il ne demeure que quelques bonnes intentions laborieuses et répétitives. Et des références à la gestuelle taichi chuan ou kung ku inutiles, illustratives essoufflantes ! Pourquoi tant de bavardages?

Montpellier Danse, un voyage au cœur de la densité de la danse, cité de tant de moments de grâce ou de rage. Agora du savoir vivre ensemble, public, artistes , professionnels. Cité en mouvements ascendants!

37 ème Festival Montpellier Danse: bigarré !

Un festival qui ne dénote pas: risque, originalité, valeurs sûres de la danse d'aujourd'hui, paris et gageures, compagnonnage et fidélité, tout ceci mêlé pour une ode à la Danse dans une cité propice aux audaces artistiques. Cette manifestation phare,  phénomène incontournable au succès public garanti s'amplifie et tient en haleine les plus curieux.
  
"Soft virtuosity, still humid, on the edge" de Marie Chouinard



Au plus près des corps
Marie Chouinard fait au corps, du bien, du mal et transforme l'agilité en handicap et claudiquements, fait boiter les os, ronge les angles et raie le tapis de danse dans une chorégraphie à la limite, aux frontière du possible comme à son habitude Ici, plus de prothèses , mais des corps meurtris qui basculent et ânonnent en chorus.Une colonne vertébrale s'inscrit en images, série de corps empilés qui crient grandeur plus que nature, rehaussés par un dispositif vidéo live qui capte en surdimension, les affres d'une petite communauté en proie à l'horreur et au désarroi.
Deux danseuses enlacées, baignées dans un halo de lumière, se suspendent en image au mur, en spirale, en vrille comme un seul corps torsadé, échine siamoise ou jumelée. Atmosphère de proximité avec ses bouches et visages filmés en direct au plus près, marches et démarches singulières, danseurs arpenteurs de plateau: c'est tout cela Marie Chouinard. Fresque du vivant, à la dérive, navire en perdition, images et icônes traversent ses visions cathartiques. Corps cagoulés de noir, habillés juste au corps.Métamorphose et hybridation par le costume contrarié.
Et de "petites" virtuosités comme les "petits bougés", celles des traits d'un visage qui se plisse, qui vibre, qui transpire.La marche comme emblème de travail sur cette "virtuosité douce"
Elle signe tout les lieux et endroits où se fabrique un spectacle, de la danse au costume, de la scénographie à la vidéo et si la musique lui échappe c'est au profit de sa fidélité à  Louis Dufort.
Les images révèlent en gros plans les corps sous toutes leurs facettes, les mouvements viscéraux, musculaires, et focalisent sur les visages: tournées en direct, comme de faux ralentis cinématographiques: le leurre est bien là: c'est de la véritable lenteur dont il est question et non d'un effet mécanique!
On vibre sur les pas ubuesques de Chouinard dans une cour des miracles, toujours renouvelée.

"Tapis rouge" de Nadia Beugré

Sang et sueur
Ce tapis rouge, ce n'est pas celui qu'on déroule pour les stars, mais celui qui dissimule des horreurs, masque la réalité, couvre les erreurs et les drames. La scénographie de cette création est terrienne, terrestre, dévoile la vie et agissements de personnages témoins de ce qu'il se passe en C^te d'Ivoire
Le sol renferme des poupées de chiffon, emblème de génocides, que manipule un danseur alors que tout s'agite fébrile autour de lui.
Sous un dai de plastique transparent, une femme façonne de petites boulettes de terre, cette terre semeuse de révolte d'où jaillira le soulèvement.Un musicien, un "blanc" colon ou envahisseur tente de trouver sa place, un danseur vous offre du chocolat "noir" Nestlé....Le politique gronde dans cet opus, grave et recueilli comme un hommage à la révolte noire.

"Autoctonos" de Ayelen Parolin


Savant désordre carnavalesque
Cinq furies de carnaval, une pianiste autiste frappant une note unique pour ce festival burlesque, enchanteur et enjoué. Un burlesque grotesque et grimaçant où les femmes, en "fraise" ou leggings racontent leur histoire de corps à l'aide d'une mouvance pour chacune, singulière.Beaux portraits, désordre, anarchie et troubles créés par le foisonnement de propositions simultanées.
La musique répétitive en contrepoint de Léa Pétra comme un leitmotiv récurant sur la stupidité du monde. Ça fuse mais ça s'use rapidement hélas comme un gout de répétition qui cherche son aboutissement.

"Nos, tupi or not tupi" de Fabrice Ramalingom


Déplacements
Trois danseurs un peu gênes se présentent en scène, débonnaires, décontractés; quelques silences, des apartés, une attente: les danseurs hip hopeurs vont bientôt se révéler, s'adonner à leur art en toute liberté , leur identité gestuelle rivée au corps, vivante, sereine. Du Brésil, ces rencontres fertiles donnent naissance à une pièce singulièrement libre, fluide qui relève des préoccupations de Fabrice Ramalingom: rester au cœur de l'humain dans la danse, sobre, limpide et juste.Déplacements de culture, de territoires pour générer des échanges fertiles en écriture chorégraphique

"Bacchantes-Prélude pour une purge" de Marlène Monteiro Freitas


Décoction tonique, breuvage d'ambroisie !
Voilà un spectacle digne du plus grand intérêt tant par la mise en scène loufoque, rebondissante et très bien rythmée que par les thématiques qui courent tout au long: bacchanale, cérémonie pour tout un attirail d'accessoires, des musiciens, trombones en bouche, des pupitres qui se transforment à l'envie.
C'est absurde, surréaliste, traversé de multiples référence à l'histoire de l'art: cabaret dadaiste, show en paillettes; c'est vif et rondement mené, accueillant toute une population bigarrée de secrétaires, d'infirmières, de chef de tribu ou d'état Ça fuse dans tous les sens et c'est ébouriffant, salvateur, décapant
Des mimiques aussi pour camper des personnages qui s'emparent de fusils, de perche à selfie, de vélo domestique.... Au final, une chorale burlesque où l'on pédale dans le vide. Une chanteuse à la Nina Hagen fait irruption. Quelques gymnopédies arabisantes pour l'ambiance.
Un étrange film, en "entracte" montre des images d'une femme japonaise, accouchant seule. C'est "relâche"mais pas encore car un "boléro de Ravel" commence pour mieux brouiller les pistes, semer le désordre. On en a pas fini de l'humour décapant de Marlène Monteiro Freitas!