samedi 7 octobre 2017

Réveillez-vous !



Orchestre Philharmonique de Strasbourg à Musica 2017: gigantesque fresque musicale...




En collaboration avec le Festival MUSICA, voici un concert dédié à la mémoire de Marcel Rudloff, ancien maire de Strasbourg et président de la Région Alsace. Marko Letonja direction. Corinna Kropius mezzo-soprano, Adrian Eröd baryton.
Adès-Totentanz Création française. Beethoven Symphonie n°3, Eroica . Le cycle Beethoven présentant l’intégralité de ses symphonies débute avec le monument qu’est la Sinfonia Eroica... qui aurait dû être surnommée « Bonaparte », car le compositeur considérait Napoléon comme le continuateur de la Révolution française. Le voyant couronné empereur le 2 décembre 1804, il aurait déclaré, furieux : Ce n’est donc rien de plus qu’un homme ordinaire ! Maintenant il va fouler aux pieds tous les droits humains, il n’obéira plus qu’à son ambition. La dédicace ne fait ainsi plus référence qu’au souvenir d’un grand homme. Le deuxième mouvement de cette page profondément novatrice est une marche funèbre qui entre en résonance avec la Totentanz de Thomas Ades, pièce bouleversante écrite en 2013 et inspirée par des dessins médiévaux.
Deux géants, l'un mythique Beethoven pour nous submerger, nous immerger dans la musique symphonique
Pour entrée en matière de cette soirée magnétique, les ondes et turbulences d'une symphonie si connue qu'on la murmure lors de son exécution! Pas de surprises ici, sinon celle de redécouvrir un chef d'oeuvre, colporteur de bonnes nouvelles, de félicité, exécutée par un orchestre prestigieux et galvanisé par son chef, maître en ces lieux et dompteur de cathédrales gigantesques édifices musicaux

Après l'entracte, au PMC de Strasbourg, berceau de l'Orchestre, le "Totentanz" de Thomas Ades de 1971.
Un monument à redécouvrir.Un univers impardonnable pour évoquer cette fresque, tapisserie de la Marienkirche de Lübeck.Sons détonants au démarrage, percussions en renfort pour épouser la voix du ténor, celle de la mort y dialogue avec celle de la mezzo soprano, celle de l'humaine condition.Terreurs du passé ici évoquées pour cette frise qui frôle le tableau gigantesque de l'humanité en proie avec la camarde menaçante!Des sonorités cinglantes, abrupte, brutales, une batterie de foire pour effrayer, des tambours menaçants pour apeurer...Des cavalcades de sons, en dégradé et descentes vertigineuses martèlent de leur rythme, l'espace, en débandades éloquentes. On va vers les abîmes, les abysses de l'existence dans un environnement dramatique, pathétique.La mezzo soprano navigue dans les graves, et surpasse ce grand ensemble vrombissant, puissant: les percussions de bois, une sorte de fanfare  se profilent.Très dansant, tout ceci!Un beau dialogue entre les solistes chanteurs, langage de vie et d'espoir parmi cette satanique et endiablée chevauchée de la mort Farandole et redoute, défilé d'images et d’icônes singulières pour évoquer en musique la menace de notre disparition collective de ce monde tourmenté de péchés. Les percussions grandiloquentes forment d'incroyables tumultes, un chaos démesuré, foudroyant, quelques ravages ou tsunamis s'y dessinent: cris de douleur des violons, vrombissement des cordes alors que les deux voix devisent, ordonnent ou pardonnent.La harpe douce et apaisante en contrepoint, épouse les cordes dans un dernier soupir...Une ode majestueuse, grandiose, Danse de Mort qui s'éteint dans les murmures macabres, susurrés "Tanzen" jusqu'à l’affaissement, l'effacement et la disparition des sons.Irréversible destin, entraînant dans les tréfonds de l'âme des basses et graves des contrebasses, complices de cette achèvement de l'oeuvre. Sidérante, médusante, paralysante!
Ce soir là, on ressort du concert où l'on est "rentré sans frapper", frappé et heurté par tant de majesté.



Jeunes Talents, Académie de Composition à Musica : électrisant!


Encore un concert inédit et plein de surprise au programme: Daniel d'Adamo en préambule expose les tenants et aboutissants de cette formidable et inégalée "Académie de composition", un berceau, une pépinière, couveuse de jeunes pousses de la création musicale,, "sincères" et "justes" avec eux-même et leur regroupement: une agora fertile en rencontres aussi, cohabitation et amitiés!
L’Académie de composition Philippe Manoury – Festival Musica connaît cette année sa troisième édition. Deux semaines durant, dix jeunes compositeurs auront ainsi étudié auprès de Daniel D’Adamo, coordinateur artistique et pédagogique de l’académie et Philippe Hurel. Pygmalions pratiquant une maïeutique exigeante: après quelques retouches et corrections de fin de résidence, les interprètes se prêtent aussi au jeu de la déstabilisante réadaptation de dernière touche de ces œuvres en gestation!Deux concerts permettront d’apprécier, à leur issue, le fruit de leur travail. Voici le premier d’entre eux : l’ensemble Court-circuit de Jean Deroyer s’y fait l’interprète, en création mondiale, de quatre concertos pour instrument soliste et ensemble. 

En avant pour "Suspended feeling" de Sergio Rodrigo, concerto pour percussion avec Rémy Durupt pour "exécutant" !
Une riche osmose entre piano, cordes, vents et percussions qui se répondent en ondes qui se répercutent et se heurtent, le son circulant comme à l'horizontale. Densité oblige avec cette propagation étrange des sonorités en glissades, effleurements: pattes de velours des percussions, évoquant des sonorités lointaines d'Afrique, suspensions et échos, ricochets des sons: les percussions ici magnifiées par l'artiste interprète, agile, souple et aux aguets: elles dialoguent avec la piano: entre les deux acoustiques, ça frotte, ça ventile comme dans une ruche.Des frappés sur du bois, le xylophone joyeux et plein de verve...Et de plus le bonheur d'observer le chef, longue silhouette, gestes précis, vifs, mains et doigts impliqués comme dans une chorégraphie pour soliste!:sorte d'avocat à la plaidoirie dans l'oratoire des sons.
Des bousculades, chocs et catapultes de sons pour se frayer un chemin dans cette "débâcle" mouvement des eaux glacées à la dérive et tout avance irrémédiablement, irrévocablement. L'écriture affirmée de cet opus, les tensions et les crescendos des volumes , précipitent le final au zénith d'une atmosphère intense et prenante.

"Konohana" de Jean -Patrick Besingrand succède, "concerto pour clarinette" avec Pierre Dutrieu.
La clarinette prend ses aises, s'installe avec flute et violon pour compagnons. Cela s'emballe rapidement quand piano et percussions font irruption, bordés par saxophone et trombone.La contrebasse s'inmisse insidieusement et tout s'anime de concert.La clarinette tient le haut du pavé, dominante, persuasive, personnage triomphant à part entière, fière et altière.Un solo lumineux s'y déploie, enrobé par les autres instrument de l'ensemble: des impacts en piqués, détachés des cordes...Claire et limpide , la clarinette se joue des difficultés et franchit les "handicaps" de cette course folle.C'est elle, la princesse des arbres en fleurs", temps des cerisiers en effervescente floraison, mythe et légende d'un Japon ici évoqué dans toute sa précipitation poétique!

"Collision simultanée" de Jeremias Iturra, concerto pour saxophone-Vincent David-démarre en attaque virulente, dans le vif, fracassante.Le saxophone s'affole, déborde, alors que le piano ponctue ses péripéties en résonance préparées.Alerte, il frémit, résonne, dégringole, se heurte aux sonorités qu'il produit: tumulte, chaos général avant une accalmie salutaire en contraste, grâce au violon, sous les doigts de Alexandra Greffin-Klein, rieuse et souriante interprète complice.Turbulences et tectonique des plaques garantie pour ce séisme chaotique qui respire aussi pour mieux dynamiser la donne musicale.Saxophone comme une sirène, grondante de navire rentrant au port: l'artiste physiquement impliqué dans le jeu, avec des postures de danseur de cordes, en phase avec ce funambulisme sonore!Exploration fertile du piano dans des chatouillis, griffures singulières, ne touchant pas les notes convenues pour aller en glaner d'autres sur les cordes des marteaux, dans les entrailles de l'instrument.De très riches sonorités, explosions de sons, tonitruants, toniques, effervescents pour cette "collision" des électrons libres de la composition!

Enfin "Temps libre" de Antonio Tules avec la soliste espiègle au violon, Alexandra Greffin-Klein notre "Valéria Bruni Tedeshi", virtuose des cordes!Entrée cinglante, imposante, furieuse dans des déferlements sonores plein de contrastes et suspensions: elle se cambre et vit la musique avec passion, servant l'oeuvre avec maestro.Cordes pincées, effets de claques en éclats et impacts sonores... Des vagues déferlent qui submergent, envahissent le plateau, s'enroulent, se heurtent Quelques perles de musique au piano pour s'évader et le retour de la virulence du violon qui va gagner du terrain sur les autres, en un combat singulier! Descentes dans les abysses du son, abîmes ouvertes qui absorbent en spirale les tonalités graves, plongeons multiples, et voilà que l'on refait surface, la tête hors de l'eau, sonné et perturbé mais secoué, enchanté. Dans des sur-aigus ascendants inouïs, furieux, ce "temps libre" est bien rempli!

Au final c'est toute la sacrada familia de la composition qui vient saluer: enseignants, interprètes, compositeurs....Quelle belle et nombreuse famille réunie pour l'amour de la musique de notre temps: à partager absolument dans ce laboratoire ouvert et généreux de la création et du savoir faire, du savoir être ensemble! Pas "courant" pour ce "court circuit" électrisant!


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