vendredi 30 novembre 2018

"(Elle) retient" Olga de Soto en quête de la danse effacée.....Des "trous" dans l'espace mental.


Préambule
"Avec justesse et émotion la danse d’Olga de Soto retisse les fils de son parcours mais aussi de l’histoire de la danse. Après plusieurs années d’immersion dans la recherche, autour d’œuvres célèbres – comme La Table verte de Kurt Jooss (1932) dénonçant la montée du fascisme – la chorégraphe réinvestit la scène en solo. A la façon d’un corps-archive, ses gestes nourris de traces, pensées, sensations issues de ses investigations, son mouvement se déploie : de l’intime aux questions de l’existence et de la mémoire collective.
Les gestes tour à tour graves ou ténus qui naissent de son corps-archive, laissent fugitivement apparaître ce qu’il retient, bribes de souvenirs intimes parfois mais aussi réminiscences d’une mémoire corporelle longuement affûtée au fil de sa démarche, auprès des artistes avec lesquels elle a travaillé, ainsi que par ses expérimentations et son propre travail de création. Sans compter son investissement dans la recherche.

Durant plusieurs années, Olga de Soto a pisté danseurs et spectateurs d’œuvres les plus politiquement engagées de l’histoire de la danse. Mais, bien loin de se confondre avec un musée de la danse, la posture de l’artiste espagnole, s’est focalisée sur les traces invisibles qui rendent si vivantes au plateau l’histoire des corps et leur propre évolution depuis le siècle dernier. Ce sont les questions soulevées par cette quête et le dépôt de ces traces en elle que la danseuse interroge dans Elle (retient) entrelaçant poétiquement l’écriture chorégraphique à l’investigation documentaire. "

"(Elle) retient"....la danse !
Elle est seule sur le plateau du studio de Pôle Sud, pieds nus, habillée sobrement, bleu et noir; au sol un long fil qui s'enchevêtre, filon de la mémoire, fil d'Ariane, trace une spirale: une poulie lentement le ré-enroule....On revient sur le passé, le temps, on fait marche arrière pour mieux retracer la trajectoire des investigations "historiques" d'Olga de Soto sur la mémoire de la danse, celle qu'elle à vu, celle d'autres ont partagé en leur temps. Elle danse au sol, trouve ses appuis, s'essaie à diverses formes et équilibres, tatone, s'élance peu à peu dans l'espace.Ce qui nous relie au sol, avec virulence ou dans la lenteur. Elle s'étire, se mesure au temps se balance, prend le pouls de son corps, tente des équilibres improbables.
"Retiens, la mémoire de la danse".....
"Incorporer la danse" en mémoire, celle de son complice Vincent... L'intelligence émotionnelle guide sa démarche, "effacer" a du bon nous livre-t-elle modestement avec ses mots. "Chasser la danse" dit-elle en semblant rappeler, reconvoquer certains gestes qu'elle façonne et retrouve, à l'aveugle.
 "Les trous" laissés par les autres, les manques de mémoire l'intriguent, la titillent, la taraude; le temps, les mots inaudibles sous-texte muet lui font imaginer la danse, avec ces mots là qui ouvrent des espaces.
De sa quête à la recherche des "témoins" et acteurs de "La table verte" de Joos, elle nous livre l'énumération de son périple géographique, de villes en villes à saute frontières. C'est drôle et émouvant. Pendant que lentement, le filon se rétracte se réenroule, symbolisant la remontée du temps, de la mémoire. Elle franchit en diagonale l'espace, frappe du pied, écrase, évacue quelque chose: la danse, les souvenirs, les paroles des autres que l'on entend de la bande son diffusée, témoin en toutes langues des rencontres et des propos échangés avec ceux qu'elle a retrouvé.
Beaux "témoignages" de vie! Le "rituel des crocodiles" qu'elle nous conte est superbe et plein de charme, de vérité: ces "habitants" fantomatiques des divers appartements de son enfance.
"Mes cheveux m'écoutent", "je suis un corps éponge": autant d'aveux fertiles de sens, de poids et de sincérité, parmi ces voix enregistrées qui s’emmêlent, se confondent en un joyeux charivari, qu'elle nous traduit simultanément. Des témoignages sur la mort dans "la table verte" lui donnent un rôle de conteuse, paroles sensibles, récits organiques de vécu. Sur les événements dramatiques concernant le Chili, elle laisse sourde la parole de l'autre, se laisse pétrifiée ou envahir par ce qu'elle recollecte...
Historienne du vécu, elle invente à sa façon, une perspective de réactiver la mémoire de la danse, de la ré écrire.
Du sable s'égoutte des cintres comme un "sablier" dans un halo de lumière avec un bruit de bâton de pluie qui crisse
Au final une marche frontale lente, les yeux fermés la conduit vers nous, puis elle disparaît, sereine, toujours à la recherche d'une danse perdue et retrouvée, quête, enquête incessante sur le devenir des mémoires individuelles ou collectives!

A Pôle Sud les 29 et 30 Novembre 

jeudi 29 novembre 2018

"L'homme qui voulait être une île" : carte blanche à Blandine Savetier : être soi, sur la route du soi-même.


D'après le "Livre noir" de Orhan Pamuk, mise en espace de Waddah Saab et Blandine Savetier
 Avec Julie Pilod et Philippe Smith

 Pendant une semaine, jour et nuit dans Istanbul, un jeune avocat, Galip, part à la recherche de sa femme Ruya, qu'il aime depuis l'enfance, et qui lui a laissé une lettre mystérieuse : est-ce un jeu ? un adieu ? Dans le fol espoir de la retrouver, il fouille ses souvenirs et le passé militant de Ruya. Il lit et relit les écrits de Djélâl, le demi-frère de sa femme - un homme secret qu'il admire. Mais lui aussi semble avoir disparu. À la recherche des deux êtres qu'il aime, Galip est en même temps en quête de sa propre identité et, bientôt, de celle d'Istanbul, présentée ici sous un aspect singulier : toujours enneigée, boueuse et ambiguë, insaisissable.
Hommage à la ville natale de l'auteur, Le Livre noir est habité par une Istanbul foisonnante et labyrinthique. Elle s'habille ici d'une dimension ésotérique, vibrante des signes que le héros tente à tout prix de percevoir. 

À la recherche de ses proches, mais aussi de lui-même, le héros de Orhan Pamuk devient un autre lui-même au fil de ce voyage initiatique. Il acquiert une clarté d'esprit qui lui fait toucher du doigt les secrets de l'existence où les identités se confondent dans l'incertain. 
L'écrivain turc signe ici un roman envoûtant, au questionnement perpétuel, semblable par moments à un rêve halluciné.  


Voilà pour le livre

Blandine Savetier s'attelle à ce texte très fort, mettant en scène le prince et son double, son secrétaire. Sa préoccupation essentielle sera de rester "soi même" dans son environnement peuplé de souvenirs, d'hommes du passé influents, d'objets encombrant la mémoire, parasites insurmontables d'une sérénité possible. Etre soi, sur la route de soi dans ce destin voué à l'obéissance. Plutôt renoncer que de se plier à ce qui ne serait pas l'essence de son être Se battre, , se "bagarrer" plutôt que de vaincre ses peurs ou de reculer devant authenticité des difficultés incontournables.
Dans un décor sobre, fait d'une table et d'un banc, éclairé par des lustres évoquant un intérieur princier, par un chemin de lumières, deux personnages dialoguent et sortent de leur soliloque peu à peu.
La folie des grands de ce monde semble héréditaire et incontournable: souverain ou autre quidam, il demeure que l'altérité doit être pièce maîtresse du jeu de la vie ou du pouvoir. Dans de beaux halos de lumière le secrétaire passe d'un champ à l'autre pour mieux tenter de se délivrer lui aussi, des livres, des récits qui lui demeurent étrangers mais dont il a du subir les influences, par éducation, par force!
Cette notion sera tissée durant la lecture-récit, double: jeu de l'acteur avec son personnage,  avec son rôle, avec l’œil qui le regarde... "La scène comme trouble fête de l'énigme d'être soi": le théâtre, en quelque sorte et ses doubles !
Les deux comédiens incarnant avec bonheur et aisance ces être préoccupés, titillés par l'obsession de l'identité, du soi, de l'altérité.

Au TNS dans le cadre de l'autre saison, les 29 et 30 Novembre


mercredi 28 novembre 2018

"Ghostland" : Les Percussions de Strasbourg désincarnées ! Oh my ghost !


Ghost' spell and you !

Spectacle pour quatre percussionnistes, une manipulatrice d’objets et dispositif audiovisuel

"Immersive et envoûtante, la dernière création de Pierre Jodlowski nous plonge dans un espace aux frontières indéfinies. Composée pour électronique et quatre percussionnistes issus des célèbres Percussions de Strasbourg, la partition intègre également le jeu des lumières et l’écriture de l’espace scénique. Prolongée par un grand écran panoramique, la scène se mue en un espace infini, un territoire où les ombres semblent jouer avec les corps.

Spectacle onirique, Ghostland nous ouvre les yeux sur le monde d’aujourd’hui : les « fantômes » dont il est ici question renvoient certes aux êtres chers disparus et aux traces conservées par la mémoire, mais aussi, de manière plus métaphorique, à l’individu pris dans les rouages d’un système qui l’arrache au réel, à soi et aux autres. Sur l’écran, des salles de réunion, de grands bureaux, des espaces froids habités peu à peu par des êtres étranges, fantomatiques… les percussionnistes abandonnent progressivement les instruments qui composent leurs batteries pour jouer avec brio de l’attaché-case et des percussions virtuelles."

Sur la scène quatre grosses caisses, animées par quatre silhouettes en capuchonnées, de noir vêtues; au bord du plateau, derrière un rideau, un corps dissimulé , évanescent, se devine, flouté. Ectoplasme vibrant, futile, passager...Illusion, fantasme, hallucination?
Les quatre lutins noirs percutent sur les peaux des tambours, les caressent alors qu'un son sourd inonde l'espace, trépidant, inquiétant. Sur un écran en fond de scène, des images apparaissent, celles de quatre musiciens devant chacun une table semblant battre une mesure sourde et lente. Images en suspension, comme des leurres des visions énigmatiques, qui lévitent, échappent au sol.Des néons sur les pourtours diffusent un rythme lumineux perceptible et fugace. Comme des taupes travailleuses dans un terrier ou tunnel sonore, les musiciens, étranges créatures polymorphes s'affairent. Des voix susurrées, chuchotantes, murmurant hantent de leurs accents allemand, cet univers de science fiction.
Puis tout divague et nous voilà propulsés dans un univers de travail, de labeur: image d'un loft, , d'un open space en couleurs où des hommes masqués de blanc, évoluent à l'envi; le monde se renverse, se délite, bascule dans une grande fébrilité
Des clowns, des être factices, artificiels dénaturés? Une effervescence, agitation sonore puissante et omniprésente les soutient; des perspectives visuelles s'ouvrent. L'univers étrange de la musique se répand dans un espace multiforme et pluriel.
Des silhouettes se dessinent derrière l'écran, derrière le miroir et passent à tour de rôle, esquissant une danse, une chorégraphie en découpage noir, théâtre d'ombres animées.
Passages d'ombres, de spectres, de danseurs à l'envergure d'oiseaux, de roseaux ailés.
La plasticité du travail scénographique de Jodlowski est pertinent et sied à merveille aux sonorités, aux ambiances, au volume sonre de son opus.De belles reptations dansantes, une chorégraphie des corps des musiciens très engagées dans le répertoire physique, convint et séduit.

 "Gosthland" au Théâtre de Hautepierre jusqu'au 29 Novembre