samedi 9 mars 2019

"Les amants très passés"! Performance "Latex, reflex flex!" Charras/ Lelong !






Galerie Christophe Tailleur
Exposition: "Rêves ou fantasmes"
Performance de Geneviève Charras le 8 Mars "Latextur" !

photos Robert Becker

vendredi 8 mars 2019

"Exact Music" : ça percute au Conservatoire ! L'image sonore, force de frappe de Damien Fritsch !


Il fallait franchir le seuil du bastion de gré rose, convaincre et séduire l'équipe
pédagogique du Conservatoire de musique et de danse de Strasbourg, pour oser et réussir à faire un film, un documentaire de création sur le processus d'apprentissage de la percussion...à Strasbourg!
Damien Fritsch l'a fait, armé de patience, de doigté, de savoir être avec l'univers musical et ceux qui apprennent à s'y coller, à s'y confronter. Corps et âme, jeunesse et opiniâtreté.

Car ce sont trois protagonistes, jeunes "apprentis" instrumentistes qui sont ici les "anti-héros" d'une narration filmique qui sourd de la musique et de son apprentissage. Trois personnages qui jamais ne jouent leur rôle mais qui sont "la musique" avant de la fréquenter en amante, démon, mante religieuse qui happe et séduit! Ravis et capturés , comme ces images dérobées à bon escient par un chasseur à l’affût !

Trois visages et corps , trois pensées en mouvement qui se rejoignent dans une même passion dévorante et studieuse. Accompagnés par leurs "professeurs", maitres et enseignants épris de bienveillance et de respect-Emmanuel Séjourné et ses confrères complices-, ils vont , tels des explorateurs parcourir leur cursus, très physique, organique pour accéder à la félicité de l'interprétation.
Guidé de baguette de maitre, chacun va trouver sa voie, galvanisé par sa propre recherche, son doute, ses tâtonnements, hésitations, ou renoncements
Dès la première image on adhère au style du réalisateur:un jeune homme plantureux pousse son xylophone dans un couloir sinueux, dans des tons bleutés, lui-même vêtu de cette couleur d'espoir et d'élévation.
Mais ce n'est pas l'autoroute qu'il fréquente, c'est le chemin de l'âne où il peut goûter à maintes fragrances, butiner et récolter le nectar musical de sa pratique, boostée vers l'inventif et l'altérité, la personnalité et la rigueur
De fantaisie aussi, il sera question pour eux, de questionnement, de dialogue et d'échange jamais unilatéraux avec leurs mentors-référents
Damien Fritsch pénètre cet univers privé, complexe et réservé avec franchise, audace et respect A l'écoute, devançant parfois l'intrigue qui se fait et se révèle sur le tas dans la spontanéité de ce qui se passe, face à la caméra discrète qui se trimbale une année durant dans les couloirs, les salles de travail. Jamais d’effraction ni de viol dans cette approche, huis-clos confidentiel d'un monde de labeur et de créativité.


Exacte musique
Le métier s'apprend, s'apprivoise et combat avec ces jeunes pensées et corps en mouvement
Si la danse est omniprésente ici, au travail comme dans la série d'André S. Labarthe "La danse au travail", elle passe à travers les paroles et les corps pour être musique vivante, gestes précis pour épouser, faire jaillir les sons, créer l'énergie du geste musical
Le son est envahissant dans cette ode à Terpsichore et  Apollon :  la musique réside aussi dans l'énergie du montage, la lumière qui va d'un univers plutôt froid à une résolution chatoyante, chaleureuse, gaie et joviale en fin de parcours du combattant Dans des nuances de coloriste, le cromalin-pantome  est alchimie des couleurs
Les espaces du conservatoire sont autant d'espaces mentaux à parcourir avec les jeunes élèves que l'on surprend à échanger, à réfléchir, à apprivoiser caisses claires ou timbales résonnantes.
La "musique au travail" pour ces MOF qui savent que leur destinée professionnelle leur appartient corps et âme.
Et quand des moments de pause, de détente Alexander, rythment le film, on respire avec eux en empathie dans cette épopée folle du savoir-être, savoir faire jamais formaté.
Méthode efficace puisque chacun trouve sa voie, sa place dans la communauté musicale qu'il choisit aiguillé par ses accompagnateurs bienveillants, artisans de la passation: les professeurs!
Tout trois plein de verve, de ferveur, d'originalité quant à leur façon de transporter ces jeunes vers leur identité artistique


La musique rivée au corps- caméra : micro-sillon poly -sons!

Ce film musical, partition, composition originale pour musique de chambre, vouée à l'orchestration de l'art des sons, est un bijou du genre.
Images-mouvements, sons polissons, poly phonie des couleurs qui viennent comme dans un tableau de Klee, Kandinsky ou Kupka   faire résonner la tectonique des masses sonores, des frappements, des caresses des baguettes, des mains sur la peau des instruments qui résonnent, vibrent et frissonnent
Vibrations des effets lumineux qui entraînent dans les rêves de chacun: les séquences fluorescentes, telles des clips vintage où chacun vit son fantasme, sont dignes d'un voyage sidéral sur tapis volant
La dure réalité des examens, présente entre les portes qui s'ouvrent et se ferment derrière les candidats se fait dramaturgie naturelle dans l'écriture scénaristique. Jamais de scènes en trop, ni d'immersion abusive dans la vie protéiforme d'un conservatoire
On reste auprès de Cédric, Clément et Elise au plus juste milieu de leur vécu d'artiste, d'élève, d'apprenant confronté au doute et à la félicité de la réussite!
Un film OVNI dont le trans-genre indéfinissable oscille entre intime-extime pour le plus grand partage, cum panis, en bonne compagnie!



Un conservatoire concertant!
Pas de formol ici, mais un bocal agité , bain de jouvence salvateur pour faire surgir un élixir bien distillé de la jeune génération d'interprète!
Des hommes et des femmes du "milieu" entourés pour mieux diverger et entreprendre!
Une "exacte musique" des corps filmés en contre-plongée, chaloupant, dansant, émouvants de fragilité et de détermination
Filmer la musique pour un tableau à la Kupka,  un studio lumineux à la Degas, une page de la "Ballerine" de Gunter Grass: Damien Fritsch ,peintre des musiciens au travail! Réalisateur et cinéaste de l'amour qu'il voue aux êtres humains sur leurs traces et signes d'existence sans fard !
Il frappe fort et ré-percute sons et frissons sur la peau du monde musical

Bravo à Ana Films et à tous les bâtisseurs de ce moment intense de musique pour tous !


jeudi 7 mars 2019

"Actuelles" : Des glaçons plein la robe": la grange aux belles.


Séparés par une hospitalisation, deux vieux paysans font retour sur l’amour la rage qui tient leur couple autour d’un gosse raté. Chacun avec sa langue — abrasive et syncopée, fluide et poétique — nous livre sa réalité, nous plongeant sans ménagement dans un monde au-dessous du monde obscur et percutant mais nimbé de poussière lumineuse.

Nous sommes bien quartier Gare à Strasbourg, rentrés par la sortie ou l'entrée des artistes des Taps Laiterie pour la seconde soirée des mythiques "Actuelles" version et cuvée 2019
Par la porte de la grange le public va s'installer incognito pour être la témoin de la vie champêtre et bucolique de fermiers, éleveurs de vaches et de veaux, de la "fermière", amoureuse et férue de bêtes à cornes dociles qui ne saurait s'en passer. Elle est frêle et petite pour aborder ce métier ancestral, brut et douloureux, fait de labeurs et de sacrifices....A son pupitre la comédienne lit et incarne la force et la fragilité de cette femme qui rit et qui pleure sur son destin fatal. Passeuse de tradition mais aussi de malheurs liés à sa profession; son mari, Lui est "tombé" malade a chuté et s'en remet difficilement sur son lit d’hôpital, paillasse de zinc, immense table à dissection médicale et clinique, en milieu de scène, dressée pour ce festin "de civet" de laitages et autre denrées issues du monde agricole de proximité, en circuit court!
Lui agonise, anone, émet des sons et éructe une syntaxe curieuse, sans "sujet" ou sans verbe, comme diffractée, interrompue, balbutiée, bégayée...En fond dans un coin, le fils, de dos parle dans un micro amplificateur, caverneux comme lointain et indifférent au destin prédit et prédestiné de ses parents.Pauvres, désespérés, sans avenir, la soupe de lait dans l'écuelle comme des animaux plus ou moins bien traités, mal considérés. Solitude et rêves à l'appui pour émerger de ces câbles déroulant leurs tentacules au dessus du lit d’hôpital, symbolisé par cette grande table familiale où pourtant personne ne se réunit!

C'est puissant et troublant cette lecture si bien incarnée, bordée par une musique quasi omniprésente, issue d'un luth ancestral comme  letton qui égrène ses mélodies d'antan, comme au bon vieux temps du partage agraire de la vie autour du feu familial.
Absurde, décalée, cette mise en espace d'un texte compacté aux dires de l'auteure qui s'est frottée au désir d'adaptation et de scénographie d'autres artistes.

Lait, urine, foin, vie quotidienne pesante, vache, boue et bouse comme terreau, comme verbes et syntaxe de ferme; grange et praticable fermiers sur lequel le public est perché, le temps du séjour agricole: on est immergé, acteur aussi en empathie avec ce monde défait. Sur sa table, le père perd ses repères, nu il se laisse laver pour une mort prochaine, par son fils: très belle image d'agonie accompagnée comme autrefois!
Diminué, affaibli, il anone des propos débridés, hachés: la langue est "cou coupée"  "à par le hêtre tout me laisse de bois" dit-il devant l'arbre qu'il entrevoit de sa fenêtre.  "Ce plouc sorti du bois" d'après sa femme, en dit long sur l'histoire de leur relation de subordination...La femme sacrifiée encaisse dans une belle langue lyrique qui la sauve de ce cloaque bouseux et sordide.Lui se souvient de son appétit d'ogre durant les "festins" de sa femme objet et soumise. 

Voie lactée sans issue
Récit douloureux d'une vie sans joie, "les glaçons plein la robe" au retour du puits de l'enfance, la pièce vit et frémit au sein du dispositif, sobre et évocateur à souhait d'un espace duel: le froid du clinique, le chaud de la ferme, grange aux belles.Les yeux des pommes de terre dans les yeux du fils qui se révolte, se nourrit de "la voie lactée" pour survivre à ses parents fatalistes. Capitulant devant leur sort.
De ces trois soliloques on garde une impression de vide La terre profonde en ligne de mire, la mythologie paysanne en poupe: comme une partition, une ponctuation pertinente, le texte s'incarne dans une élocution bizarre et intrigante. Le boyau archaïque du luth fait écho à cette micro société dans le foin de l'étable chaude où les câbles des micro sont autant de tuyaux et fils où la vie peut être coupée, arrêtée.

Musique de grange
Un thème ancien chant du quotidien sourd des doigts du musicien, Kalevi Uibo,complainte triste et ritournelle répétitive. Tour revient dans cet "éternel retour" de la vie, de la mort omniprésente, lourd fardeau des paysans éleveurs sans avenir que la souffrance de l'acceptation du destin irrévocable. La langue comme matériau sonore à malaxer selon l'auteur, ici présente comme tous les protagonistes de cette mise en espace signée des étudiants en scénographie de la HEAR;
Un exercice, travail pratique en temps et grandeur réelle pour "abîmer, jouer, déconstruire la langue" en une musique,de chambre, de grange ou d'étable orchestrée pour pénétrer un univers en huit clos: la langue urbaine aussi, en message courts et concis, brefs et efficace, secs et tronqués, face à la lenteur de la vie agricole éclairée , froide et clinique ou chaleureuse comme la paille et le feu d'un monde révolu. Le public comme les bottes de paille, au poulailler, grimpé  ou dans les stalles des bovins; 
A vous de choisir votre place et votre point de vue, en dégustant les produits de proximité cuisinés avec délicatesse par le chef d'un soir Olivier Meyer au popotes!

"Actuelles" aux TAPS Laiterie jusqu'au 9 Mars





Auteure Unn
Directeur de lecture Gaël Chaillat
Avec Sophie Thomann, Tristan Lettelier, Geoffrey Goudeau
Musicien Kalevi Uibo (luth roman, vielle et effets)
Scénographie (HEAR) Elie Vendrand, Léo Moreau, Lucie Mao, Gaëlle Hubert, Elise Jacques
Mise en œuvre des Actuelles Pascale Jaeggy, Yann Siptrott
Trublion Thomas Flagel
Marmiton Olivier Meyer, Kuirado
Réalisation des feuilles de salle (Master arts de la scène – Université de Strasbourg) Émilie Lajoux
La saison 2018-19 accueille la 21ème édition d’Actuelles. 96 textes auront été lus depuis la première édition de 2005.
Le principe est toujours le même : cinq pièces sont sélectionnées par les artistes associés (Pascale Jaeggy et Yann Siptrott cette saison) en collaboration avec le comité de lecture du TAPS.
Elles sont ensuite confiées à des directeur.trice.s de lecture qui constituent une équipe d’artistes pour en assurer la lecture et la partition musicale.
Chaque soir, un texte est ainsi présenté au public dans une forme simple privilégiant le rapport direct entre les artistes et le public. Des étudiant.e.s de la section scénographie de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR), accompagnés par leurs enseignants et l’équipe technique du TAPS, prennent en charge la mise en espace de chaque lecture, tandis que le cuisinier Olivier Meyer (Kuirado) concocte des mises en bouches inspirées par les textes et dégustées lors de la soirée. Des étudiant.e.s en dramaturgie de la section Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg composent les feuilles de salle et proposent des pistes de réflexion singulières pour chacun des textes.