lundi 8 avril 2019

"Concordan(s)e : discordances......

L'initiative originale de Concordan(s)e réside dans la provocation de rencontres, puis la construction de duos de chorégraphes et d'écrivains. Ne se connaissant pas au préalable, ils se plongent réciproquement dans leurs univers artistiques pour imaginer ensemble une forme inédite, entre mots et mouvements.♦

"Entre nos mains, entre nos jambes"
Pascale Houbin - chorégraphe / Carole Martinez - écrivain
"Les mains dansent, les mains écrivent, caressent, battent. Les mains peuvent se passer des mots. Les mots et la danse racontent ici une chose qui fait silence : l’entrejambe. Le désir et le plaisir féminins, rarement évoqués sur le plateau, jouissances et impuissances des femmes, objets de pudeur, s'avèrent dans cette pièce, au contraire, autant de défis, de jeu, d'amusement. Comment trouver les mots pour raconter une infime partie de l’orgasme féminin ? Et où débusquer dans la trousse de nos gestes ceux qui se frottent avec plaisir au texte pour en voir les possibles étincelles ? Une certitude : on n’épuisera pas le sujet !"

Durée : 30min / Coproduction : commande du festival Concordan(s)e, spectacle créé dans le cadre des Accueils Dancing de la 
compagnie BEAU GESTE, à la Maison des Arts Solange-Baudoux - Evreux et à la Bibliothèque Faidherbe - Paris.  
Une table recouverte de nappe blanche, linge frais lavé qui sent bon le propre, elle, en noir en contraste: avec des gestes de lavandière, de repasseuse à la Degas, avec amour et finesse, elle passe et repasse en rêve des souvenirs indicibles.Elle plie, déplie ce linge d'armoire, réouverte sur la mémoire,  avec des gestes de "métier", des gestes du "milieu" de la laverie-pressing d'antan .Un manchon se profile...Et surgit sa partenaire, l'auteure de ce texte malin, juvénile, ouvert vers la vie et la lucidité tranquille d'une jeunesse heureuse.
 Danse dans de beaux draps, sur un chemin de table, "surtout" indispensable pour orner ce plateau magnétique, objet de convoitise et de souvenirs.Tension du tissus manipulé par les deux femmes protagonistes, la nappe se fait drap de grand-mère, antiquité de blancheur, dentelle de mémoire.Objet mythique de trousseau de mariage, de lit de noces consommée, jeu de gamines: on y tricote, on brode, on crochète la danse en langage des signes: un point à l'endroit, un point à l'envers: ça fait pas un plis et ça marcher. Les deux femmes complices, amies, se racontent leur vie intime, leur histoires de clitoris qui se découvre pudiquement , au fond d'un lit sommaire, d'expériences juvéniles ou adultes. C'est touchant et très "féminin", subtil, intime.Duo de femmes voilées, histoires gestuelles de la découverte du corps, à tâtons, elles vivent et évoquent la mémoire du corps et de ses sensations avec doigté et finesse. Espiègle Pascale Houbin, délicate et mutine en découvreuse de notre "origine du monde" à notre façon de femme !
Le texte demanderait à être plus fort cependant pour faire voyager encore mieux le spectateur dans cet univers frêle, fragile et plein de malice et de sensibilité!


"En armes"
Yvann Alexandre - chorégraphe / Sylvain Pattieu - écrivain 
"On s’en prend des trucs dans l’existence
Des tristesses et des gens qui partent
Mais on résiste on fait ce qu’on peut
On danse, on écrit
On se serre on se carapace
On a nos corps qui bougent et nos mots qui résonnent
On est en armes."

On est par contre "désarmé" et désenchanté face à cette pièce, sans queue ni tête où Yvann Alexandre se fourvoie en beauté dans une démonstration faussement burlesque ou poétique. Un paon tout en plumes bleues, un auteur désenchanté qui court ou feint de danser, c'est affligeant d' indigence, de saupoudrage, de banalité bâclée...
Dommage pour ce "combat" sans arme, "on on "rame", mal armé et où se défendre parait essentiel pour ne pas se laisser envahir pas l'ennemi....

Durée : 30min / Interprétation : Yvann Alexandre, Sylvain Pattieu et Franck Ragueneau - Coproduction : commande du festival 
concordan(s)e, Centre chorégraphique national de Nantes avec le soutien du Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France et de la 
Médiathèque d’Ivry, Médiathèque Charles-Gautier Hermeland | St Herblain 

Concordan(s)e est soutenu par le Département de la Seine-Saint-Denis, la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France / Ministère de la Culture, La Mairie de Paris, le Conseil départemental du Val-de-Marne, La Sofia. L'association indisciplinaire(s) bénéficie de la permanence artistique et culturelle de la Région Ile-de-France. Le festival bénéficie du soutien de l’Institut Français pour ses tournées internationales.

"Pasionaria" : la Véronal : Marcos Mauro déstructuré !


"Depuis quelques années, le chorégraphe espagnol Marcos Morau et sa compagnie La Veronal sont en train de vivre une consécration internationale. La Veronal soutient d’amples méditations sur de fortes thématiques humaines. Ses pièces dansées sont de grandes compositions richement imagées, très visuelles et incarnées. D’un baroque parfois volcanique, sulfureux. Les personnages de Marcos Morau débordent depuis un patrimoine qui puise à la peinture, la sculpture ou au cinéma, de haute lignée européenne. Présentant Pasionaria, le chorégraphe évoque un gigantesque bas-relief néo-antique visible à Bruxelles, traitant des Passions humaines. Même de marbre, son chaos sensuel a dû rester tout un siècle masqué aux regards par un mur, qu’érigèrent les tenants d’un ordre tiède. La passion inspire des sentiments ambivalents. Elle soulève et rend plus grand, authentique, au péril de s’assimiler parfois à la démence. Dans une vision christique, à l’inverse, elle peut donner à percevoir un comble d’abandon à la passivité d’une souffrance infligée. Mais alors qu’en est-il, lorsque les mutations sensibles laissent envisager qu’une part d’humanité puisse être bientôt transférée à des robots ? Où donc approcher la plus profonde source des passions humaines ?"

Dans un univers gris, un décor d'escalier à la Mallet Stevens, des cambrioleurs, des hommes en gris cagoulés s’immiscent subrepticement. Ambiance garantie d'emblée pour cette pièce OVNI, absurde où un landau vient faire obstacle à ces gestes désarticulés, disloqués qui façonnent l'oeuvre tout du long.Sur une musique très "urbaine" et dans un cadre de scène bordé de néons.Des pantins sur la balustrade apparaissent, des va et vient sur cet escalier central qui devient un personnage à part entière, on est chez Hitchcock, Beckett ou Ionesco sans doute! Des corps en pièces détachées dans des costumes dessinés très strict, grisonnants et nous voici dans un univers de BD ou à la Max Klinger ;d'énormes monstres ronds surgissent,, des surveillants de musée avec lampe de poche, des vigiles de sécurité de pacotille s'affairent le temps très bref de petites apparitions perlées: pendant qu'en fond de scène, il pleut des étoiles, la lune surdimensionnée fait des clins d'oeil, et que Mélies veille au grain sur cette fenêtre ouverte sur la nuit et ses mystères.On y déclenche des mécanismes d'enfer qui manipulent ces huit personnages sortis d'une légende surréaliste, d'un film de sous sols infernaux où ce petit peuple vit et s’agite à l'envi.Comme dans une salle d'attente d'un aéroport fictif, les styles de danse se confondent: hip-hop, volutes classiques, duo sur canapé acrobatique, emmêlé, brochette de danseurs de cabaret assis aux gestes à l'unisson.
C'est burlesque, désopilant, étrange et en toute liberté, le chorégraphe façonne, édifie un univers en huis clos, énigmatique et singulier.Un technicien de surface avec sa cireuse revient régulièrement, nettoyer ces faits et gestes. Les uniformes gris d'employés d'aéroport font mouche et épousent cette gestuelle mécanique, robotique qui s'empare des uns et des autres. Un solo contorsionniste, du comique et absurde à la Blanca Li ou Tati et voilà pour l'univers tracé de cette famille désœuvrée, livrée à ses fantasmes et autres absurdités.
Pisteurs d'étoile, laveurs de vitres, scène très onirique, les employés s'amusent, s'attrapent, en chaînon, en maillage, ils font cabaret assis; une femme enceinte, un ballon lumineux comme ventre passe, des siamoises...On est chez Kubrick, dans Orange Mécanique ou l'Odysée de l'Espace...Des citations musicales pour musique de film, et le tout est joué, emballé et fait mouche!
Un spectacle très intriguant qui fait voyager à vingt mille lieux sous les mers avec beaucoup d'élégance, de doigté et de préciosité dans la gestuelle tectonique, fracassée, sublimée par une narration des corps qui seuls content un comique décalé digne d'un cinéma d'animation sophistiqué à souhait

Au Théâtre National de la danse Chaillot, jusqu'au- 6 Avril






mercredi 3 avril 2019

"Nueva Refutacion del tiempo": Lovemusic : une navigation au long cours, du souffle argentin, du bec, de la hanche à l'archet!


Flûte - Emiliano Gavito / Clarinette - Adam Starkie / Violoncelle - Lola Malique 

Nouvelle réfutation du temps est le titre d’un essai de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, écrit en 1946. Il avance l’idée que la continuité du temps est une illusion et que le temps existe sans succession. Chaque moment contient toute l’éternité, ce qui nie la notion de “nouveauté”. Ce programme de musique argentine “nouvelle” questionne notre notion de temps - le temps objectif peut être accéléré ou ralenti selon la construction musicale. En collaboration avec le festival Arsmondo de l’Opéra National du Rhin, lovemusic explore la diversité de la création argentine avec trois générations de compositeurs : Ginastera - figure emblématique de la musique argentine, des compositeurs argentins désormais bien établis internationalement, et enfin des compositeurs de la jeune génération. lovemusic collabore avec Nicolás Medero Larrosa, actuellement étudiant dans la classe de Daniel D’Adamo à la Haute École des Arts du Rhin, sur une nouvelle pièce commandé par le collectif pour ce projet.

Musique de

Alberto Ginastera. "Puenena n° 2 Opus 45"
Musique pour violoncelle, seu: léger, intime, le morceau se distille dans l'espace, l'archet respire, geint, se love ou se tend au gré du jeu de l'interprète, toute féminine, gracieuse, tenue en alerte par le charme opérationnel de l'oeuvre. Les cordes pincées grondent: d'une extrême finesse, la musique résonne, latine et une identité culturelle s'y profile, délicate, suggérée. Des traversées sonores, rythmées, comme de la rage pour créer tonalités et ambiances changeantes comme un inventaire de styles.

La pièce de Ezequiel Netri  "Calamo Curente" succède: un duo complice entre flûte et clarinette (création française), où excellent les talents d'interprètes des deux protagonistes
En rebondissements alertes en touches joyeuses, ils nous entraînent dans une course poursuite vive et haletante. Leurs talents , affichent une virtuosité assumée sans que rien n'y paraisse!

Sandra Elisabeth Gonzales nous offre ensuite son "Brizas de Noviembre" pour flûte alto
Le musicien y explore l'instrument, sinueux, expirant, respirant, vecteur autant de souffle que de percussions. Des sons étranges en émanent, comme des pas et traces d'animaux, le vent s'y glisse, s'y engouffre. Un motif mélodique revient, puis explose, chuinte, chuchote. Volume et amplitude se meurent lentement, en contraste et modulations vertigineuses.

En entremets, quelques bribes de poème, une voix qui nous berce et nous interpelle.

Santiago Diez-Fischer avec "Solo veras ahora" pour flûte et violoncelle offre la vision d'un face à face étonnant.
Des grincements identifiés par des frottement de l'archet sur une boite en plastique, rivée à l'épaule de Lola Malique pour la découverte de la source de ces bruitages inédits devenus musique. On en vient à ne plus pouvoir identifier l'origine sonore des notes et sons: corne de brume, voix de personnages fictifs en résonance. C'est surprenant et séduisant, inédit et drôle.
Comme pour un jeu concours, une compétition, les deux interprètes œuvrent pour créer des effets étranges, bizarres et surenchérissent à l'envi.
 Comme deux gamins qui s'amusent, rivalisent, très organiques dans leurs sonorités burlesques: ça se corse, se débat, se heurte avec des sons domestiques du quotidien désopilants. Leurs regards se croisent, attentifs, complice pour ce jeu de miroir déformant, inédit.

Luis Naón, avec "Ausente  2", pièce pour clarinette contrebasse et sons fixes se borde de sons aquatiques, des bruits d'eau, de siphons pour créer des résonances lointaines et une atmosphère envoûtante, curieuse et inquiétante. L'interprète, concentré sur la matière sonore à restituer pour engendrer une ambiance suspecte et originale.

Daniel d’Adamo, offre ensuite avec "Breath" pour clarinette basse et violoncelle, un bel échantillon de sa créativité. Un duo très virulent, combat, affrontement des deux instruments: un très beau jeu corporel s'empare de la violoncelliste, langoureux, conflictuel et confidentiel. La musique semble lui échapper, elle fuit, se faufile, elle la poursuit, l'imite, la devance, la double. De concert, en concurrence avec son partenaire, à l’affût, très attentif. Sur la sellette, ils nous offrent ainsi un voyage haletant, dans le temps et la matière, dans le souffle et l'apnée.
On y flotte entre deux eaux, baignés d'ondes sonores troublantes.A peine parfois audibles tant la subtilité des volumes engendre une écoute sur le fil de la perception sensitive, sensuelle.
 .
Nicolás Medero Larrosa (commande/création), nous offre son "Lignt Trail" pour flûte basse, clarinette basse et violoncelle:un souffle sur du papier d'argent tendu sur un pupitre et voici douceur et lenteur en prologue, prélude  planant, léger, ténu
Les sons s'étirent et fusent, en vibrations à peine audibles, indicibles filets de sons, de mugissements.Attention extrême, concentration de l'auditoire autant que des magiciens interprètes de ce joyaux rare et discret. Sur le fil tendu du son à réinventer toujours: quelques coups d'éclats virulents et l'oeuvre s'achève sur un souffle agonisant.

Un programme inédit, bâti, construit par ce quatuor, le trio d'interprète et Nicolas Medero Larossa, complice et architecte sonore de ce programme surprenant, inédit, sur les traces de la musique argentine d'aujourd'hui.

A la BNU le 2 Avril dans le cadre du festival  Arsmondo Argentine initié par l'Opéra du Rhin