mardi 7 mai 2019

"Qui a tué mon père " : Papa, regarde !


"Dans Qui a tué mon père, Édouard Louis décrypte les mécanismes de domination qui broient les êtres et leurs relations. Stanislas Nordey met en scène et interprète la parole et le regard d’un fils sur son père, depuis les premiers souvenirs d’enfance jusqu’à sa « mort sociale ». Qui sont les gens qu’on appelle « les classes populaires » et dont les femmes et hommes politiques ne cessent de parler comme étant des « fainéants » ou des « exclus » ? Avec ce texte, Édouard Louis s’engage dans ce qu’il nomme une « littérature de la confrontation ».
Dans la ville noire, un décor mural de coron ou de cité laborieuse, un jeune homme, à table avec un personnage, mannequin incarnant son père, soliloque, raconte leur vie; de fils de père, de leur relation conflictuelle, de la vie d'un homme simple aux prises avec le travail, l'éducation de son fils, la présence à ses côtés d'une femme qui ne cesse sa vie durant de l'attendre...Ce papa qui danse, tout le temps, partout, en homme et qui ne l'avoue pas, tant cela pourrait faire "féminin"! Lui qui pourtant se déguise en majorette avec tous les apanages du genre!
Avec des cartels, des bribes de musique, un tapis orangé, les sequences se succèdent et le nombre de pères augmente sur les côtés de la scène, dans toutes sortes de positions de fatigue, d'épuisement. Stanislas Nordey tient la scène deux heures durant, lui, le fils qui raconte, prend parti contre son père, le fustige, souhaite son absence, sa disparition physique de son espace.
L'attente, l'impuissance de sa condition de travailleur, pourtant en porte à faux avec les préceptes de soumission, le condamnent à subir. Un corps masculin qui résiste à l'autorité pourtant, qui se heurte à l'homosexualité, reproduit la vie de ses parents, les imite et passe le relais à son fils.sans correction ni reconstruction.Changement de décor, toujours gris devant des tentures plastiques: c'est la scène de la vengeance et de l'évocation du frère, ennemi !
Debout, toujours, ce fils conte le politique responsable des déboires physiques faits sur le corps de son père: c'est la faute à Macron, Hollande ou Sarkozy, si son père s'échine le dos, se courbe sous le poids du travail en surplus et si au final il se fracasse le dos. Il neige sur ce paysage mental glacial qui fait froid dans le dos, tétanise par la cruauté des propos, la véracité des circonstances.Sol blanchi par les flocons qui ensevelissent les corps couchés, rompus des mannequins, des pères.Perdants, humiliés, "assistés" cependant comme des faignants, fainéants qui profitent: avec les 100 euros de prime pour partir en famille à la mer au lieu d'acheter les fournitures scolaires nécessaires à l'apprentissage de la soumission et de la docilité. Le politique est bien là, les dominants abusent, nommés par leurs noms de ministre ou de président auxquelles sont rattachées les lois qui détruisent le père, sa santé, son existence.
Alors au final, une révolution serait solution à cette quête d'amour filial, de considération, de respect dont manque cruellement la société tant inégale de ces temps.
Stanislas Nordey en prêcheur unilatéral, boosté par un texte plutôt sobre et sans chichis, manquant parfois de poésie ou de recul, le temps de respirer un autre air: celui de l'espoir et de la dignité!

Au TNS jusqu'au 15 Mai






Édouard Louis est écrivain. Il a publié aux éditions du Seuil En finir avec Eddy Bellegueule en 2014 etHistoire de la violence en 2016 – roman dont des extraits ont été lus au TNS par Stanislas Nordey en février 2016 dans le cadre de L'autre saison. En 2013, il a dirigé l’ouvrage Pierre Bourdieu : l'insoumission en héritage, paru aux Presses universitaires de France – où il crée et dirige la collection "Des Mots". Il a écrit Qui a tué mon père à l’invitation de Stanislas Nordey ; le texte est paru en mai 2018 aux éditions du Seuil.
Texte Édouard Louis
Mise en scène Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau
Avec Stanislas Nordey (distribution en cours)
Lumière Stéphanie Daniel
Scénographie Emmanuel Clolus
Musique Olivier Mellano

lundi 6 mai 2019

"Maria de Buenos Aires" : Santa Maria des enfers !

"Première collaboration entre deux extraordinaires artistes qui ont marqué en profondeur la culture argentine, le poète Horacio Ferrer et le compositeur Astor Piazzolla, Maria de Buenos Aires est une forme unique d'opéra-tango qui nous plonge dans les méandres de l'âme de la « Reine de la Plata » avec en son cœur la belle Maria.Indépendante et libre, Maria se donne avec ivresse à la ville, à la poésie, à la danse et aux hommes, elle qui, comme l'a décrit Ferrer, serait née « un jour où Dieu était ivre mort ». Mélancolie, violence et désirs se mêlent dans les nuits où les bas-fonds de Buenos-Aires sont à la fois un enfer et un paradis mais où toujours le tango brûle les corps habités par la musique.
Cette nouvelle production est chorégraphiée et mise en scène par Matias Tripodi, danseur, pédagogue et expert passionné du tango. Maria de Buenos Aires est l'autre grand moment, avec Beatrix Cenci, du festival arsmondo Argentine."

Dans la fosse, l'orchestre vibre déjà pour inaugurer en préambule, prologue ce ballet argentin qui promet d'être poésie, passion et tendresse.Un solo pour inaugurer le bal, toujours pétri de grâce interprété de corps de maitre par Renjie Ma. La signature dansée de Matias Tripodi est fluide, tourbillonnante, relâchée, offerte et lisse, à la Kylian, même parfois! Chemises et vestes ouvertes, dévoilant les torses nus des hommes qui chavirent, chaloupent, se renversent à l'envi; de beaux portés, flottants pour des duos à variation mobile, alternant avec le trio infernal de l'homme et ses deux facettes d'une Maria protéiforme; doublée d'une cantatrice;magistrale interprète à la voix sereine, portée elle aussi par un souffle lyrique tangoté à merveille.La présence des quatre chanteurs, mêlée à celle des danseurs sur le plateau est à peine repérable et très opérationnelle: se fondant aux corps mouvants, à un ensemble à la Laban, qui avance groupé, soudé, oscillant de concert.
Un instant très fort dans cette pièce chorégraphique aux accents argentins qui jamais n'impose les figures traditionnelles du tango
Une belle glissade, un bon décalage avec les figures imposées qui ne se reconnaissent, ni se repèrent
La danse est fine, discrète, omniprésente sur le plateau, de noir et de blanc, sombre de par l'évocation tragique du destin de Maria: femme, spectre dans la mort, errant en Gisèle ou signe-cygne blanc, noir dans l'espace lumineux, scénographie virtuelle très opérante. Des images projetées évoquent la ville, l'ogresse Buenos Aires aux multiples visages.dévoreuse et bientôt enfer pour ces créatures qui l'animent, l'habitent
Des transports en duos et portés par  les danseurs galvanisés par la musique en live, si riche, balançant ses rythmes et glissements progressifs de désirs, de sensualité toute argentine!
Etreintes, passades, répulsions, esquives,feintes et dérobades, pour les femmes, force et rapidité, vélocité intense pour les hommes.
Des caractères bien trempés mais toujours très subtils et empreints de délicatesse.Le parallélisme danse-voix opère et les uns rencontrent les autres, sur la bonne voie !
Voix de Moineau, fragilité de tous dans ce monde où des centaines de feuilles noires s'abattent et jonchent le sol, en débâcle, défaite et pour une évocation de l'enfer, de ces cendres, celles aussi de Maria, sorcière à brûler vive dans ce petit peuple qui s'affaire Entre "Nana" ou "L’Assommoir" de Zola, entre Brecht et Kurt Weil, proche aussi d'un "Bandonéon" de Pina Bausch, le spectacle est total, touche et fait mouche. Entrelacs mélancoliques de la danse, du chant et de la musique, l'opéra-tango devient une écriture singulière, unique en son genre: banquise qui flotte et glisse vers le chaos, vagabondage extravagant de la danse, on y traine la solitude, la débauche esquissée légèrement, sans trait appuyé; le texte, poétique à souhait vient comme un souffle surréaliste, irriguer de sa verve, la narration, les faits et gestes des protagonistes, chanteurs, conteur-lecteur et danseurs. Un tango sans faste, sobre, souligné par la grâce et la volupté, endiablé certes par quelques airs de fête, fifres et tambourins comme résurrection du péché! Errance, solitude dans un halo de lumière blanche, la scénographie magnifie ces instants magnétiques de mouvements fulgurants, de mobilité fugace insaisissable: ils s’attrapent, se libèrent, s'aiment, s’enlacent à l'envi, ces habitants de faubourgs infréquentables et mal famés.Esquive par excellence, le tango fait du destin de Maria, la plus belle Notre Dame des faubourgs où vibre l'accordéon comme un poumon au souffle large qui se donne et résonne dans les corps dansants

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 10 Mai

mardi 30 avril 2019

"Trait d'union" -"Pas seulement" : Arabesques et cour de récréation.


Coproduction POLE-SUD 
Ce spectacle bénéficie du soutien de l'ONDA
Tournée territoriale présentée avec la Maison des Arts de Lingolsheim et la MAC, relais culturel de Bischwiller :
- Mercredi 24 + Jeudi 25 avril à la Maison des Arts de Lingolsheim
- Vendredi 03 Mai à la MAC, relais culturel de Bischwiller
Trait d’union
"Un fascinant travail de courbes et d’éclairs se déploie sur scène. Il réfléchit, au fil de ses mystérieux tracés, toute une poétique du mouvement et de l’écriture saisie entre apparition et disparition. Tel se dévoile Trait d’union, surprenant duo entre la danse de Sarah Cerneaux, tonique, intense et ciselée, et la spontanéité des gestes précis et incisifs de Julien Breton, le designer lumière composant sur scène ses calligraphies lumineuses. Une rencontre explosive selon Amala Dianor. "
Des arabesques tracées sur une toile transparente, une silhouette dissimulée derrière ce rideau transparent tendu en bord de scène, pour préambule . Comme un coup de pinceau magique, en direct ou faux semblant, la danse se transmet à une femme, de noir et blanc vêtue, lui tout en noir: il retranscrit ses gestes, la seconde, la copie ou la guide. Elle "traduit" son écriture graphique, retranscrit en d'autres formes, l'énergie de cette "plume" virtuelle, surdimensionnée pour la rendre de chair et de sensibilité.

En miroir parfois ils se répondent , elle dans de belles cambrures arrières, travaillant son corps dans le bas,elle, sa muse, lui son Pygmalion qui l'observe, la traque, la conduit Intrusif dans l'espace de cette femme indépendante, modèle d'un peintre abstrait, calligraphe de l'énergie. Elle s’émancipe au sol, le fuit, se dérobe à son profit pour échapper à cette dictature graphique et spatiale. Le pinceau électronique et lumineux fait leurre: on se prend à l'illusion du live, alors que les images tracées préexistantes surgissent sur l'écran et impactent le temps de la danse. Poursuite et traque entre les deux protagonistes qui s'évitent ou se rejoignent . Telle une luciole en rémanence, le geste du peintre ou photographe, traduit l'énergie du mouvement, lle magnifie, l'immortalise, lui fait une trace, des signes. Signature, de la griffe du manipulateur de cette matraque lumineuse en empreinte. Elle, dans un beau solo, laisse sa trace, charpentée, sensuelle, fugitive et très structurée. Page blanche, la toile translucide laisse s'échapper arabesques et alphabet , le temps de la danse: magie ou illusion, leurre d'une vision synchrone entre le vrai et le faux.
Pas seulement 
"Le temps du corps et le mouvement en partage sont les éléments fondateurs de Pas seulement. Une pièce spécialement imaginée pour un quatuor de danseurs que le chorégraphe a rencontré dans la région Grand Est. S’écarter des techniques reconnues du hip-hop, amener chacun sur un terrain inconnu tel était l’objectif d’Amala Dianor. Abstraite et enlevée, cette partition fait la part belle au mouvement dansé, à la singularité comme aux savoirs de chacun, éléments que le chorégraphe a d’emblée intégré à l’écriture de cette autre façon de danser. "
Quatre danseurs sillonnent le plateau dans le silence, cherche sa place, dans la mêlée, la meute. De beaux déhanchements les unissent, chaloupes et mouvements d'ensemble au diapason. Parfois un corps entravé, empêché, contrarié fait contraste et diversion. A chacun son solo virtuose, des mouvements électriques et saccadés tenus au corps, torsions tétaniques pour l'un, solo étrange, joyeux et séducteur pour l'autre. Chacun joue de son corps et l'expose aux autres , quatuor, trèfle où chaque feuille est indissociable, unique mais fait chorus; on se laisse gentillement séduire dans cette cour de récréation où vibre aisance et réjouissance de cette "compagnie" où le hip-hop refait sa place allègrement
Amala Dianor signe ici deux pièces aux accents très différents, objets d'une soirée agréable passée en bonne "compagnie"!
A Pole Sud les 29 et 30 Avril