samedi 11 mai 2019

Jazzdor "Animal Image" et "All Set": zen attitude au désert et trublions de bonnes "nouvelles" !


"𝗔𝗡𝗜𝗠𝗔𝗟 𝗜𝗠𝗔𝗚𝗘" Si ce projet est né de la création d’une bande-son improvisée pour le film documentaire « Animal Image » de l’artiste visuel finlandais Perttu Saksa, la musique existe seule et évoque tour à tour les paysages glacés et anciens de la forêt finlandaise, la quête humaine et animale d’un monde partagé en symbiose, une recherche d’infini, de pureté. .
On ne s'en doute pas au premier coup de gong, à la première poussée de souffle de la trompette, mais le morceau sera intégral et sans interruption une demie heure durant avec toutes sortes de variations, de modulation: des frôlements, effleurement du bout du manchon sur les deux gongs, amoureusement caressé par le musicien, crane rasé et logue barbe de celte druide, très inspiré par des vibrations mystiques et spirituelles proche de la méditation zen! Ambiance spatiale de lointains paysages, raclures de la trompette dans un joyeux monastère résonnant où le son s"amplifie, intense, sourd, peu à peu, passant de l'intime au partage volubile généreux de sonorités inouïes.Percussion et vent en osmose pour ce duo de charme insinuatif: comme une scie musicale ou un jeu de verres de cristal, le son est "zen" et méditatif: quelques petits éclats de souffle, des percussions de bois pour quitter le gong omniprésent: des ondulations sonores portées par l'électronique qui oeuvre en écho et borde les mélodies fugaces. La trompette s'y questionne et se répond en réverbération simultanée en réaction au pré-enregistré en live!
son de rouage, de chaine, comme dans une mécanique grippée, au ralenti. Reprise et renaissance des flux de musique à l'envi pour cette aubade, ode turbulente aux deux sources musicales qui se mêlent se fondent et ne se distinguent plus. Un mystère plane, très délicat, feutré, alors que les percussions se font plus métalliques, plus froides. Les espaces sonores se démultiplient, s'accumulent, se heurtent ou s'entuilent en entrelacs savants dans une interprétation et une composition virtuose. l Les effets de volume portent les modulations et contrastes: puis tout se rétrécit, s'amenuise pour une petite mort, douce agonie des sons qui échouent sur les horizons sonores: comme une plaine qui s'assombrit, une mer qui se retire après le déploiement de ses vagues.
Des contrées s’effacent au profit su silence: une très belle pièce enivrante et hypnotique, une navigation au long court émouvante et troublante. Mika Kallio et Verneri Pohjola au mieux d'une forme d'écoute et d'inventivité, sensuelle, charnelle, très présente dans cet opus aux parfums du grand large.

𝙁𝙞𝙣𝙡𝙖𝙣𝙙𝙚 - 𝙈𝙞𝙠𝙖 𝙆𝙖𝙡𝙡𝙞𝙤, 𝙗𝙖𝙩𝙩𝙚𝙧𝙞𝙚, 𝙜𝙤𝙣𝙜𝙨 / 𝙑𝙚𝙧𝙣𝙚𝙧𝙞 𝙋𝙤𝙝𝙟𝙤𝙡𝙖, 𝙩𝙧𝙤𝙢𝙥𝙚𝙩𝙩𝙚, 𝙚́𝙡𝙚𝙘𝙩𝙧𝙤𝙣𝙞𝙦𝙪𝙚
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"𝗔𝗟𝗟 𝗦𝗘𝗧"
"Si les deux saxophonistes se guettent respectivement depuis une quinzaine d’années, il aura fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour que cette rencontre ait lieu. Le prétexte musical à l’œuvre n’est pas des moindres et nous renvoie en 1957 quand le George Russell et Günther Schuller Orchestra featuring Bill Evans (le disque se nomme Bill Evans and Orchestra !) « crée » la pièce « All Set » du compositeur Milton Babbitt pour un combo de jazz. Nous sommes en pleine naissance du « 3e courant » et les frontières entre jazz et musique contemporaine trouvent déjà des démolisseurs patentés. Si cette œuvre est écrite pour octet de jazz, elle sera évoquée et prolongée ici en quartet seulement, comme un work in progress tenu sur le feu par quatre voix uniques du jazz actuel, un jazz à l’écoute de l’autre et des multiples courants apparus au cours des soixante dernières années."
C'est un trèfle à quatre feuilles, porte bonheur de l'instrumentation fertile en idées et recherches, frappant fort sur le plan de la musicalité: sous forme de petites oeuvres, nouvelles, coup de poing à l'écriture jazzique, très resserrée, tonique, compacte et convaincante.La fébrilité ascendante, très libre, free, dans la saturation des espaces sonores du premier morceau, atteste de cette signature dense et éclatante du quatuor et de ses deux auteurs-compositeurs saxophonistes. Suivent quelques pièces de la même étoffe, tissues de mouvements de trame et chaine qui concoctent du pétulant, du vif dans cet écheveau de navettes La troisième oeuvre, batterie et contrebasse en renfort, vibre étrangement, ponctuée d'un rythme interne répétitif de percussion intrusive: fluide et variée, la musique va bon train, avec quelques belles envolées et échappées de saxophone. En brèves tonalités, sèches et vives comme des salves détonantes.
Un métronome fictif, une horloge, maitre du rythme, du tempo , virtuelle mais si présente dans le son, comme autant d'interventions réduites pour la pièce suivante qui entraîne dans des univers de science fiction. Des silences aussi, de la discrétion feutrée pour les entrées et tenues de chacun des protagonistes. Chacun s’immisce dans les intervalles, fentes ou interstices de la composition avec de belles et franches nuances et contrastes.
Un monde de sirènes répétitives, en zébrures et zig zag, allées et venues de gyrophare musical lancinant pour la suite du programme chamarré et bigarré. Étincelantes résonances des deux saxos qui s'embrouillent, s’emmêlent, dissonants Ca  s'emballe au grand galop, scandé, martelé, musical et virtuose!
La symbiose entre saxophones et contrebasse s’amplifie, mimétisme et miroir sonore de cette distributions de sons inédits. Des tonalités dynamiques, du tonus , de la verve musicale à souhait pour cet ensemble réuni pour le meilleur de chacun: dans une altérité et identité des timbres, des hauteurs et autres facéties inventives pour tordre le cou aux conventions de l'écriture jazz. Un train de musique alerte, régulier, entraînant, où tout s’emboîte, se répond pour un bel amalgame résonant!
Une musique éclatante s'en échappe, brève, fulgurante, foisonnante et débridée, libre et joyeuse.
Émancipée, en détails précis et méticuleux aussi, identitaire pour chacun des instrument porté par des corps vibrants très inspirés et mouvants
Vivante et actuelle musique enchantante pour cette mêlée acrobatique et performante, périlleuse et séduisante opération de charme décalé.
Un bis et un re-bis où tout le talent de la dformation éclate en brèves touches humoristiques sans égal!



𝙁𝙧𝙖𝙣𝙘𝙚 - 𝙀𝙩𝙖𝙩𝙨-𝙐𝙣𝙞𝙨 - 𝙄𝙣𝙜𝙧𝙞𝙙 𝙇𝙖𝙪𝙗𝙧𝙤𝙘𝙠, 𝙨𝙖𝙭𝙤𝙥𝙝𝙤𝙣𝙚 / 𝙎𝙩𝙚́𝙥𝙝𝙖𝙣𝙚 𝙋𝙖𝙮𝙚𝙣, 𝙨𝙖𝙭𝙤𝙥𝙝𝙤𝙣𝙚 / 𝘾𝙝𝙧𝙞𝙨 𝙏𝙤𝙧𝙙𝙞𝙣𝙞, 𝙘𝙤𝙣𝙩𝙧𝙚𝙗𝙖𝙨𝙨𝙚 / 𝙏𝙤𝙢 𝙍𝙖𝙞𝙣𝙚𝙮, 𝙗𝙖𝙩𝙩𝙚𝙧𝙞𝙚
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jeudi 9 mai 2019

"Mnémozyne" de Joseph Nadj :performance de l'image



Plusieurs fois accueilli à La Filature en tant que chorégraphe et
danseur, Josef Nadj est également plasticien et photographe.
Aujourd’hui, 30 ans après sa première pièce, il puise dans sa
propre mémoire pour élargir, une nouvelle fois, son horizon
créatif et présente « Mnémosyne », une oeuvre globale associant
projet photographique et performance scénique : chaque
action, chaque instant résonne avec son parcours, personnel
et artistique, transfiguré dans une épure emprunté à Beckett.
Mnémosyne
Projet photographique et performatif



Mnémosyne pour dire la mémoire d’un monde : celui du chorégraphe et plasticien Josef Nadj. Trente ans après la création de sa première pièce, il nous offre une œuvre globale, associant projet photographique et performance scénique. Tout au long de son parcours, l’artiste formé aux Beaux-Arts de Budapest n’a jamais cessé de photographier. En se réappropriant cette pratique menée en parallèle, Josef Nadj puise dans sa propre mémoire pour élargir, une nouvelle fois, son horizon créatif. Virage artistique ou retour aux sources ? Pour Mnémosyne, il a conçu une vaste exposition photographique, un véritable écrin constellé d’images au sein duquel il se met en scène – entre jeu, danse et performance – au plus près de son public.

Soit un petit espace clos et sombre, une camera oscura en attente. Le visiteur y devient spectateur voire regardeur. Dans l’intimité de ce cabinet où s’animent quelques curiosités, Josef Nadj livre une brève performance d’une rare densité : chaque mouvement, chaque action, chaque instant résonne avec son parcours, personnel et artistique, transfiguré dans une épure empruntée à Beckett. Et l’on songe alors que, dans le titre « Mnémosyne », on entend le mot « Ménines »… A l’instar du chef-d’œuvre de Vélasquez, Mnémosyne contient une multiplicité de regards qui ne cessent de se nourrir.

Autour de ce dispositif activé le temps de la performance, Josef Nadj a conçu une exposition photographique foisonnante. Chacun des clichés accrochés aux abords de la boîte raconte une histoire, à appréhender comme un spectacle suspendu. Chaque image recèle une mémoire en soi, connue de l’artiste seul : s’y côtoient des objets trouvés retenus pour leur puissance suggestive, des références patrimoniales qui ne cessent de l’inspirer et toutes sortes de souvenirs. Ces clichés suggèrent, parallèlement à la brièveté de la performance, un rapport au temps qui s’étire sur plusieurs années, de la recherche des formes à la composition des images, du choix de la technique à la prise de vue effective.

Hommage personnel et transversal à l’Atlas demeuré inachevé de l’historien d’art allemand Aby Warburg, Mnémosyne s’apparente à une œuvre d’art totale, à la fois installation, performance et exposition, dont il reste pour chacun une image, ultime, qui interroge à la fois notre regard et notre mémoire : qu’avons-nous vu ?

mardi 7 mai 2019

"Qui a tué mon père " : Papa, regarde !


"Dans Qui a tué mon père, Édouard Louis décrypte les mécanismes de domination qui broient les êtres et leurs relations. Stanislas Nordey met en scène et interprète la parole et le regard d’un fils sur son père, depuis les premiers souvenirs d’enfance jusqu’à sa « mort sociale ». Qui sont les gens qu’on appelle « les classes populaires » et dont les femmes et hommes politiques ne cessent de parler comme étant des « fainéants » ou des « exclus » ? Avec ce texte, Édouard Louis s’engage dans ce qu’il nomme une « littérature de la confrontation ».
Dans la ville noire, un décor mural de coron ou de cité laborieuse, un jeune homme, à table avec un personnage, mannequin incarnant son père, soliloque, raconte leur vie; de fils de père, de leur relation conflictuelle, de la vie d'un homme simple aux prises avec le travail, l'éducation de son fils, la présence à ses côtés d'une femme qui ne cesse sa vie durant de l'attendre...Ce papa qui danse, tout le temps, partout, en homme et qui ne l'avoue pas, tant cela pourrait faire "féminin"! Lui qui pourtant se déguise en majorette avec tous les apanages du genre!
Avec des cartels, des bribes de musique, un tapis orangé, les sequences se succèdent et le nombre de pères augmente sur les côtés de la scène, dans toutes sortes de positions de fatigue, d'épuisement. Stanislas Nordey tient la scène deux heures durant, lui, le fils qui raconte, prend parti contre son père, le fustige, souhaite son absence, sa disparition physique de son espace.
L'attente, l'impuissance de sa condition de travailleur, pourtant en porte à faux avec les préceptes de soumission, le condamnent à subir. Un corps masculin qui résiste à l'autorité pourtant, qui se heurte à l'homosexualité, reproduit la vie de ses parents, les imite et passe le relais à son fils.sans correction ni reconstruction.Changement de décor, toujours gris devant des tentures plastiques: c'est la scène de la vengeance et de l'évocation du frère, ennemi !
Debout, toujours, ce fils conte le politique responsable des déboires physiques faits sur le corps de son père: c'est la faute à Macron, Hollande ou Sarkozy, si son père s'échine le dos, se courbe sous le poids du travail en surplus et si au final il se fracasse le dos. Il neige sur ce paysage mental glacial qui fait froid dans le dos, tétanise par la cruauté des propos, la véracité des circonstances.Sol blanchi par les flocons qui ensevelissent les corps couchés, rompus des mannequins, des pères.Perdants, humiliés, "assistés" cependant comme des faignants, fainéants qui profitent: avec les 100 euros de prime pour partir en famille à la mer au lieu d'acheter les fournitures scolaires nécessaires à l'apprentissage de la soumission et de la docilité. Le politique est bien là, les dominants abusent, nommés par leurs noms de ministre ou de président auxquelles sont rattachées les lois qui détruisent le père, sa santé, son existence.
Alors au final, une révolution serait solution à cette quête d'amour filial, de considération, de respect dont manque cruellement la société tant inégale de ces temps.
Stanislas Nordey en prêcheur unilatéral, boosté par un texte plutôt sobre et sans chichis, manquant parfois de poésie ou de recul, le temps de respirer un autre air: celui de l'espoir et de la dignité!

Au TNS jusqu'au 15 Mai






Édouard Louis est écrivain. Il a publié aux éditions du Seuil En finir avec Eddy Bellegueule en 2014 etHistoire de la violence en 2016 – roman dont des extraits ont été lus au TNS par Stanislas Nordey en février 2016 dans le cadre de L'autre saison. En 2013, il a dirigé l’ouvrage Pierre Bourdieu : l'insoumission en héritage, paru aux Presses universitaires de France – où il crée et dirige la collection "Des Mots". Il a écrit Qui a tué mon père à l’invitation de Stanislas Nordey ; le texte est paru en mai 2018 aux éditions du Seuil.
Texte Édouard Louis
Mise en scène Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau
Avec Stanislas Nordey (distribution en cours)
Lumière Stéphanie Daniel
Scénographie Emmanuel Clolus
Musique Olivier Mellano