mardi 25 juin 2019

Thom Browne danse en 2020 !




lundi 24 juin 2019

"Baleine" au festival des caves à strasbourg : des larmes de cétacé.


"Depuis plusieurs années, Simon Vincent visite les circonvolutions de l’inconscient. Quel plus bel endroit que les caves pour cette exploration ! Pour ce faire, il écrit en regard des grands mythes de la littérature mondiale. Après Kafka et ses créatures animales la saison précédente, il propose pour cette édition un monologue tissé autour des motifs de la littérature maritime : solitude des villes portuaires, appel du large, fascination pour les monstres marins, soif d’inconnu et de fuite… Anne-Laure Sanchez prête sa voix à la figure de celui qui a voulu embarquer. Nul doute, qu’ensemble, ils donnent à voir et à entendre la difficulté ou la nécessité de prendre la mer pour accomplir ses désirs les plus impérieux. Une quête de la vie en quelque sorte."



Nous sommes bien au fond d'une cave, une trentaine de spectateurs descendus se rassembler en deux rangées, face à face, laissant libre la partie centrale. Elle est déjà installée cette comédienne que l'on a tout juste quittée hier soir à Wangen pour "L'Illetric"...
Prise de parole dans l'obscurité, voix douce et tendre d'un personnage qui semble s'adresser à quelqu'un , mais à qui , et qui est-il, qui-est-elle? Peu à peu se délivrent des identités multiples ou les facettes d'une seule personne: on ne saurait pas vraiment de qui il s'agit sinon de destins incarnés par l'obsession du grand large, par la fascination des marées. Vêtue d'un chandail et d'un survêtement plutôt miteux, elle se lève et continue à se raconter sur un ton confidentiel. C'est la neige et le froid qui la tiennent en éveil, ce sont les empreintes et les traces qui la questionnent.Tel un Poulbot, un Gavroche elle veut "goûter" le large, venir pour repartir de cette ville inconnue, de cet océan, de cette côte..Le vide, la chute en funambule la tarabustent. Beaucoup de sensations dans le verbe énoncé, dans cette débâcle évoquée qui la conduit à nous faire écouter "Stand by me" communément autour d'elle. Elle fait sa propre régie, se câble, s'affaire dans la technique.
Puis vient l'évocation de la baleine, suivie par les oiseaux qui se nichent sur elle, joyeux parasites; dressée sur sa chaise  comme du haut d'une falaise, funambule, elle s'écrit, féroce et se cabre.Nous parle de son habitat misérable, défoncé, du désordre de ce dépotoir vivant qu'elle habite: poubelle souillée, amas, accumulation , encombrement d'un taudis où elle se réfugie Alors que le vide la fascine "J'ai quitté mon trou pour la plage", pour aller vers le cap. Et c'est cette "anomalie géographique" cette baleine échouée sur la plage qu'elle rencontre. Colline, bateau  couché sur le flanc, la baleine gît, morte, telle un fantôme,  et elle la caresse dans le calme du petit matin...Les images défilent, fortes à travers l'évocation poétique ou très crue de ses propos. Filer, danser sur le monde, et savoir comment la vie peut se diffuse r dans cette immense masse de chair délaissée, grasse et plissée de partout. Un œil grand ouvert semble être la piste pour pénétrer cette intrigante évocation de l'univers maritime. L’œil de la baleine qui pleure des larmes de sang . Musique à nouveau et de belles lumière s rasantes pour éclairer notre anti héroïne, assise dans la terre battue, ou sur le sable de la plage du cap.
Curieuse proposition que cette "Baleine", mi homme, mi femme, hybride, que ce personnage qui se raconte, homme, incarné par une femme ou un androgyne. Il y a comme un malaise, une hésitation, un leurre qui questionne et fait avancer peu à peu l'intrigue, le propos de la pièce. Sobriété de la mise en scène aussi pour mieux mettre en valeur le jeu de Anne Laure Sanchez, fragile créature en chaussures de marche, en vêtement de fortune. Beaucoup de sensibilité aussi dans l'approche de ce texte incongru, surprenant où la baleine apparaît, disparaît comme dans les flots, dévoilant son dos lisse huileux L'atmosphère des entrailles de la terre, cette cave étroite et moite pour nous immerger dans un monde étrange qui laisse rêveur....

Au festival  de caves à strasbourg ce 24 Juin.


dimanche 23 juin 2019

"Lillétric" au festival de caves à Wangen : délivrance! Des livres et vous !


"L’Illétric est une pièce d’une seule voix, d’un seul trait : un homme raconte, dans la solitude de son illettrisme, et s’électrise devant l’abstraction des mots jamais lus, jamais découverts. Une femme bouleverse cette intimité honteuse : par amour elle lui offre un livre, le sauve en même temps qu’elle prolonge sa blessure, la fêlure de l’aveu : une cartographie de l’intime. Ici, les mots sont dits par Anne-Laure Sanchez, ils sont à la fois handicap et désir, désarroi et tendresse."
Wangen, village viticole d'Alsace offrait ce beau soir là un espace singulier au festival des caves: le sellier du hangar viticole, immense bâtiment au cœur du village aux maisons à colombages: cave haute de plafond, réverbérant un son feutré mais largement déployé sur les hautes parois de béton de l'édifice. Un nuage de brouillard accueille le public, une bonne vingtaine de curieux, rassemblés pour cette dernière représentation de l'Illétric
Un faisceau de lumière oblique en diagonale ascendante éclaire une jeune femme, debout, seule, les bras ouverts. Son envergure est singulière, celle d'une danseuse offerte à l'espace, mais immobile, bien campée sur la plante des pieds." Faire mine de rien" comme si une infirmité ne lui était pas familière: celle de ne pas savoir lire. Mais qui est-elle, de qui parle-t-elle ou de qui est-elle l'incarnation? Évoquant un métier de chantier sur de grands ensembles urbains, dans une grande solitude, le tout sur un ton monocorde, psalmodié, comme énoncé ou prononcé lentement, avec difficulté. La tension est grande, le ton, grave et la proximité avec la comédienne insuffle écoute et concentration, fait naître une forte empathie avec un personnage énigmatique. Elle anone le texte, s'interrompt, rythmant sa prose avec parcimonie dans un monologue, soliloque où elle se livre, se confie On comprend vite qu'elle incarne cet homme qui ne sait pas lire, à qui l'on offre un livre et qui ne dévoilera jamais son handicap. Par honte, soumission,  "L'air de rien, je prend place" malgré tout dans ce monde où l'exclusion est chose habile et rapide. "Rien" ce leitmotiv qui revient, cette absence, cette perte d'identité comme si ne pas savoir lire était rester "enfant".
L"aveu" de cette ignorance ne se fera pas tant la "honte" est présente et fatale. "Caboche, tête de linotte" comme seul bagage, crucifiée, les bras en croix , le rayon de lumière transperçant sa poitrine, tel le Christ accusé et bafoué. Figure chorégraphique très christique. Le visage blême sous la lumière froide, elle psalmodie, conte sa vie, scande ses mots: "moi et le livre": deux personnes distinctes qui ne se rencontreront jamais, ne se parlerons jamais! Sur un ton automatique, le regard fixe et lointain, les dents et mâchoire serrées, elle "articule" prononce distinctement ce qu'elle ne peut lire. Elle ou il car elle incarne cet homme blessé qui lui cède la place et la parole, vecteur ou véhicule de sa douleur, de sa souffrance. La comédienne recule, s'éloigne, le ton monte, le débit de paroles augmente, rageur, offensé; hiératique elle avoue que "la rature" que serait son nom est chose fatale et fatidique, incontournable défaite ou offense personnelle. "Cécile Moreau" parle comme si elle lisait avec difficulté, et "mine de rien" comme un crayon à la mine loquace, elle baisse les bras, capitule, se rend: lire les étiquettes des produits dans un super-marché, elle ne peut le faire: alors on simule , on tâtonne comme l'aveugle les yeux bandés pour un jeu de colin maillard douloureux.Le ton de sa voix est doux et confidentiel après cette retraite dans la rage survoltée. "Pourvu que cela ne se voit pas ! : feindre, simuler, cacher, dissimuler son "infirmité "aux yeux des autres est son chemin de croix et les stations sont rudes et dangereuses pour se faire flageller et humilier par ses semblables ignorant sagesse et humanité.Isolée, tendue, perdue, elle baisse les bras et on rentre en empathie avec sa désolation sans appel
La touchante interprétation de Anne Laure Sanchez est sidérante, sa performance physique incroyable, le corps dévolu à ouvrir ses bras une heure durant, sans cesse offert à l'espace, la respiration et la mémoire qui lui dicte les mots qu'elle délivre sans faille.
La réalisation, conception et mise en scène, le texte de Moreau sont ici servi par une interprète, danseuse de solitude, habitant l'espace singulier de cette cathédrale de béton, terrier undeground , tranchée de l’illettrisme ou de l'ignorance mais qui pourtant pourrait abriter autre chose que tout ce que l'on apprend: la sensibilité, l'intuition, la spontanéité.
Savoir lire source de liberté ou de contrainte ?
Fin de la pièce dans un silence qui en dit long sur l'adhésion du public, au texte, à la présence de la jeune comédienne.
Autour d'un pot convivial, on échange sur le métier, le festival au sein de la campagne au soleil couchant, loin des abîmes sombres des chaix du village, en pleine lumière rédemptrice !