dimanche 29 septembre 2019

Laboratoire de l'écoute N° 2: Good vibrations ! Les Beach Boys précurseurs!


Placée sous le thème du corps, l’édition 2019 entend démontrer que l’écoute est un acte incarné : non seulement auditif, mais aussi visuel, vibratoire ou tactile.
Ce second laboratoire de l’écoute prend la forme d’une rencontre entre des spectateur·trice·s sourd·e·s ou malentendant·e·s et des spectateur·trice·s entendant·e·s, visant à évaluer en quoi la musique peut dépasser les limites de la perception. Sous la forme d’un concert suivi d’un temps d’échange accompagné par des interprètes en langue des signes, il s’agit de croiser les expériences pour mieux déconstruire les stéréotypes et les appréhensions.

Au Centre Chorégraphique de Strasbourg, endroit de prédilection pour étudier le mouvement, les vibrations du corps, s'installe le laboratoire d'expérimentation du son, par le vecteur, conducteur si naturel que nous possédons tous: le corps !

Les quatre œuvres du programme sont emblématiques de la création musicale aujourd’hui en tant qu’elles déploient la composition sur des dimensions sensorielles autres que l’ouïe. 

Elles concernent respectivement la perception visuelle comme dans "Offertorium", de Jeppe Ernst : une femme assise derrière un petit théâtre , femme tronc comme dans un moniteur tv, entonne ses gestes, claquements de doigts, simulations mimétiques de jeu sur les touches d'un piano.Chapeaux de couleurs en alternance sur sa tête et chemise jaune comme costume, elle est dédoublée, triplée par ses clones en images projetées simultanément: elle joue de cette proximité visuelle et rythmique, pour leurre l'espace, troubler notre perception, et transformer le langage sonore en langue des signes réinventée Un peu trop mimétique cependant, appuyant ses gestes sur les temps fondamentaux ou illustrant de façon pragmatique le sens de la source des sons.
Son théâtre musical, synchronisé avec les deux portraits virtuels avec lesquels elle rentre en dilalogue simultanément: exercice périlleux, sorte d'auto description en direct pour une traduction, version-thème très drôle parfois, avec humour et regard burlesque au sein du visage très expressif!

La perception corporelle est de mise avec "Key Jack" de Michael Beil:face à face, debouts, un homme, une femme se touchent, se tapotent le visage du bout des doigts, de leurs "pelotes" tactiles, dans le silence absolu, sans bruit de percussion corporelle!
 Jeu de miroir du toucher, ils se mesurent, s'apprécient, se devinent et s’apprivoisent comme en "amour" et s'identifient par le toucher.Danse des doigts, des bras, du visage, du cou, de la nuque.Ils dessinent les contours de leur chacras, se frôlent, se rassemblent, recueillis, les yeux fermés..C'est de toute beauté et l'on ose à peine les déranger du regard dans leur intimité dévoilée! Pas de son: que peuvent s'imaginer les "mal-entendants" à ce sujet? Se jouent-ils une musique, alors que nous apprécions le silence? La confusion des perceptions est à son comble et laisse une extrême liberté d'interprétation!

La perception vibratoire avec  "Having never written a note for percussion" de James Teney nous emporte dans un voyage collectif tout près du percussionniste devant et avec son gigantesque "tam-tam", sorte de gong suspendu, très bel instrument imposant. Il invite à tester les vibrations, chacun y allant de sa curiosité ou de son investissement physique de proximité. Les vibrations sont jubilatoire, intenses ou infimes selon le "point de vue", d'encrage du corps au regard de l'instrument. Belle expérience de partage qui succède à 
l’écoute par conduction osseuse ou solidienne avec "C".de Simon Loffler
Les participants sont invités à chausser un casque isolant, à s'asseoir et à "mordre" dans une barre à hauteur de mâchoire: expérience de conduction du son, que d'ailleurs on avait ou faire au Shadock, à Strasbourg avec Line Pook, couchés dans des hamacs de perception totale, les os et le squelette irradié, parcouru de sonorités salvatrices!

 Le collectif "We Spoke" de Simon Loffler a su faire vivre et partager des "good vibrations" pour le public, volontaire et engagé, motivé pour découvrir les bienfaits, également thérapeutiques de cette musique vibrante!



"Les cris de Paris" et Erwan Keravec "Extended Vox" :Quand la corne m'use !


Erwan Keravec, le plus atypique des sonneurs bretons, ne cesse de nous faire découvrir les insoupçonnables ressources de la cornemuse. Le défi qu’il s’est lancé de développer un répertoire contemporain pour l’instrument croise cette fois le chemin des Cris de Paris dans une configuration hors-norme : la cornemuse affronte un chœur de trente-deux voix, autour de deux œuvres de Bernhard Lang et Wolfgang Mitterer. Un programme complété par la pièce avec électronique que lui a consacré Heiner Goebbels.
avec le soutien du Consulat général d’Autriche
production La Muse en Circuit – CNCM d’Alfortville
coproduction Compagnie Offshore, Les Cris de Paris, Le Quartz – Scène nationale de Brest et Schlossmediale Werdenberg (pièce de Heiner Goebbels). Avec l'aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale du Ministère de la Culture et avec le soutien de la Spedidam.
programme
cornemuse  Erwan Keravec Direction  Geoffroy Jourdain   

On se souvient de lui en compagnie de Mickael Phelippeau dans "Membre fantôme" au festival d'Avignon, dans le cadre du "sujet à vif"au coeur du jardin de la vierge! C'était déjà "déhanchement" folklorique," son de cloche" qui donnaient le bourdon, danse passée au "chalumeau" pour une crème brûlée délicieusement chorégraphique, "ornementée" très baroque et atypique en diable!
Le "revoilà" après la soirée "Noise" et ses péripéties sur le toit du nouveau Patio en compagnie de Philip Glass sur le campus, pour un "marché des quatre saisons" à la criée, une revisitation, made in Keravec" du répertoire contemporain: notre as de l'outre musicale, gonflée à bloc est ici en compagnie d'un choeur riche en timbres multiples, oblitérant les conventions du a cappella indisciplinairement!!

Heiner Goebbels No. 20/58 (2019)   Bernhard Lang Hermetika VIII (2019) 
Il apparaît solitaire, cornemuse en bouche, pour inonder l'espace du son de son instrument, sonneur breton iconoclaste et fertile en inventions de situations atypiques.
Le tout résonne en osmose, les choeurs, singulier partenaire d'un musicien en recherche d'effets déroutants.On revient à la notion de "spectre" qui lui est "chaire": laisser apparaître les composantes acoustiques d'un ectoplasme, spectre, comme d'étranges chants venant tordre l'espace. 

  Wolfgang Mitterer Slow motion_x (2019)
Toujours la cornemuse en "ornements" au sein du choeur qui irradie avec des voix de solistes magnifiques, en symbiose avec notre colporteur de souffles incongrus, "bourdonnant" de ses notes fixes, immuables dans le grave ou le médium. On est "sonné"par tant de résonances bourdonnantes, écossaises, ténor ou basses en majesté!
Keravec comme ambassadeur de son "abécédaire fragmentaire" pour cette expérience "extended vox" extension du domaine de la lutte" à la Houellebecq.

A la Cité de la Musique et de la Danse samedi 28 Septembre..Dans le cadre du festival Musica




http://genevieve-charras.blogspot.com/2017/05/mikael-phelippeau-en-avignon-le-sujet.html

samedi 28 septembre 2019

Hugues Dufourt Portrait N° 3 : le temps, très "alambiqué".Distillat de sonorités savantes.



« Il s’agit de l’accalmie avant la bourrasque, d’un climat de torpeur oppressante, d’une fausse sérénité, d’un apaisement factice avant les ténèbres », écrit Hugues Dufourt à propos de Meeresstille. Composées entre 1994 et 2006, les quatre œuvres de ce programme interprété par Jean-Pierre Collot forment un cycle en dialogue avec les lieder éponymes de Franz Schubert. De ces derniers, propulsés dans le contemporain, restent l’errance et le délaissement, l’exaltation et la révolte – un caractère torrentiel, signe avant-coureur du cataclysme.
programme Piano  Jean-Pierre Collot  

 Hugues Dufourt An Schwager Kronos (1994) / 11’
  
Une marche tonique, lente évolution dans l'espace, pas à pas, démarre l'opus Le ton monte rapidement, l'énergie agite les sonorités, frappées avec intensité. Une ascension martiale, déterminée, affirmée solidifie la musique, en alternance de sensations d'errance, d'hésitations, à taton dans le noir, suggérée par des balancements; comme lorsque l'on chemine dans l'obscurité, attentif, confiant inquiet au moindre détour, en prévention.Le ton s'affirme, on s'y habitue, on s'y repère et se dirige lentement, en compagnie du pianiste, sans but précis. Puis des ondes, des vaguelettes qui se propagent en cercle concentrique, se répandent, apaisantes.La musique de Dufourt, telle une lente introduction à des "univers" sonores à fleur de peau.

 Hugues Dufourt Rastlose Liebe (2000) / 5’ 
De beaux tumultes, un flux bouillonnant, effervescent de sonorités, de timbres en tourbillon, en mouvements très vifs, enlevés. Intranquilles, soucieux, perturbés comme un déversement de tonus, d'énergie. Course éperdue, virulente expression du piano, en notes qui s'écoulent, touchées, effleurées ou appuyées, énergiques.
"Sturm und Drang" musical, romantisme contemporain à la clef!
  
Hugues Dufourt Meeresstille (1997) / 13’  
Un vaste  paysage s'ouvre lentement comme un rideau qui dévoile la musique, les notes du piano, égrenées.Lenteur et inquiétude, presque rien ne bouge, les eaux dormantes à peine, murmurent.
Une interprétation très subtile, progressive, légère et discrète soutient le propos. Goutte à goutte, le son filtre les timbres, s'infiltre dans le tissus musical, comme un alambic qui distille en rythme, les instants du temps musical. Clepsydre des instants qui passent et se comptent, imperceptiblement. Parfois quelques accents pour appuyer, varier les intentions, des impacts aussi, impulsions sur les touches vers une ascension étrange dans une atmosphère douce....

Hugues Dufourt Erlkönig (2006) / 30’
Des résonances intenses puis du son très doux, tendre, attentionné sur le qui vive, fragile, autant qu'affirmatif et sonore.En contraste d'une interprétation aussi ténue et apaisée.. Des ombres et lumières semblent jaillir, comme des répétitions ou imitations de sonorités. Sur le bord d'une rivière, l'eau miroite, reflète les sons, en écho, les renvoyant au loin.
Le ton monte, enfle, s’épaissit, prend de l'ampleur dans une agitation fébrile, un déferlement de notes tempétueuses, ponctuées de notes pointées qui se dressent hors du magma sonore.
On s'y débat, on s'y colle en proie au séisme, au chaos!
 Des chocs, des impacts virulents, interruptions, élévation, à-coups tectoniques au poing ou plutôt sur le bout des doigts du pianiste !
Comme des fractures d'un paysage en tremblements, secousses sismiques: ou un corps qui trésaille, vacille mais ne rompt pas. Des cassures aussi, brisures tranchantes et abruptes dans le champ musical.Des sursauts, bondissements d'animal à l'affut qui traque et saute sur sa proie, divagant d'étape en étape.
La musique est dense, multi-directionnelle, des motifs y sont repris, insistants, obsédants, magnétiques...

A la Salle de la Bourse samedi 28 Septembre dans le cadre du festival Musica.