vendredi 31 janvier 2020

La voix des signes: Michaux,Maulpoix : La vie dans les replis de l'écriture ennoncée.

photo robert becker
Que cherche le poète, dans l’encre, en deçà des mots ? Une autre aventure de signes délivrée de la signification ? Jean-Michel Maulpoix a beaucoup lu Henri Michaux et il emprunte les mêmes chemins de traverse. Un dialogue s’engage à distance... « je peins pour me déconditionner » affirmait l’auteur de « La voie des rythmes ».
Pour traverser d’une autre manière la blancheur et le silence pourrait ajouter celui de « Pas sur la neige ».
60 oeuvres sur papier, encres de Chine, gouaches et acryliques des deux poètes, Henri MICHAUX et Jean-Michel MAULPOIX, entre écriture verbale et écriture graphique.

"Voir et dire"...
Textes de Henri MICHAUX et Jean-Michel MAULPOIX dits par Martin ADAMIEC

Dans l'univers des deux peintres dont les oeuvres sont accrochées aux cimaises dans une maline confusion, Martin Adamiec, grand amateur et fidèle lecteur de Michaux, s'empare des textes de l'un et de l'autre dans une verve toute singulière C'est Michaux avec ses "fourmis" qui inaugure cette course folle à l'audace, à la fantaisie, à la stupeur et aussi à l'absurde. Ses choix sont ceux d'un chercheur de tête, judicieux, inédits et le lecteur révèle aux tympans et autres oreilles aiguisées, les timbres et sonorités du rythme de la syntaxe du peintre-poète. Michaux et son "Plume" exulte sous la langue, dans le gosier de notre conteur-diseur des mots les plus acerbes, tranchants de l'épisode de "La côtelette"! La tension monte, s'enflamme et s’envenime, la situation se complique et tout finit par des éclats de voix, sonore, timbrée comme il faut pour faire apprécier la densité, la force et la tectonique du texte. Adamiec en avocat du diable dans les sentences de plaidoyer pour une rhétorique de comédien à la Olivier Gourmet, sans effet de manche ni de cabotinage
Tout en noir comme les dessins derrière lui qui bougent et s'animent au son de sa voix, réveillant leur destin d'eaux dormantes.
Un jeu animé par la richesse  de ses lignes, taches, traits de calligraphie vocale, de rafales de mots où l'on se sent "chez soi", dans la foule des personnages griffonnés qui le hantent, cette multitude qui grouille, ses ratures qui rassurent ! Avec un lit sous le bras, il séduit les femmes, dans les rues interminables des ville, sans virgule, comme des phrases sans ponctuation, il est tenu à l'errance, la confusion

Michaux avec ses "je" s'adresse à l'autre, le fait complice et témoin dans une salutaire tourmente, tumultueuse, turbulente.Un poids-plume plein de densité, de légèreté, virtuose.
Et les nuages d'être de la partie, essorés, pour notre plus grand plaisir: ça ne fait pas un pli !
A la manière de Lee Ungno et de ses "foules"...



Une belle initiative pour mettre en résonance les oeuvres des deux peintres poètes, si proches, si complices !

A la Galerie Chantal Bamberger
Lectures  les vendredis 31 janvier, 7 février, 14 février et 21 février à 20 heures
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jeudi 30 janvier 2020

"L'expérience intérieure": aux tréfonds du corps profond: l' imagerieà corps ouvert.

L’expérience intérieure - Philippe Poirier
 2019, 52’, Sancho&Co


Il est fréquent aujourd’hui de se retrouver spectateur des images que la technologie moderne met à la disposition des médecins pour soigner les corps. Quand notre regard plonge ainsi dans cette « ouverture », nous accédons à un monde de science et de fiction. Que voyons-nous au juste et à quelle réalité nous mesurons-nous ? Le réel, ici, est une contingence, celle de notre corps dans sa vision la plus crue avec lequel il nous faut négocier notre existence tant individuelle que collective. 
En présence de Philippe Poirier, réalisateur.

Un portrait des idées sur le corps intérieur de Jean-Luc Nancy: ou comment le faire réagir en lui montrant des images choisies pour leur im-pertinence: voilà la forme du film ainsi définie par le réalisateur et musicien-scénographe.C'est le mode d'apparition des images qui fait jaillir la promesse d'une pensée sans parole, imaginaire.Le chemin parallèle entre pensée discursive et images- la présentation sensible des idées selon Hegel- est au coeur du processus de création de cet opus étrange, film très "charnel et sensible" de Philippe Poirier.Mais comment fonctionne notre imagination, usine fertile et prolixe, ici convoquée sur le thème de l'expérience: entreprise, contemplation infinie, incommensurable...J.L. Nancy pense avec son corps, la vie et la mort..

Des images sidérantes en prologue, celles d'avaleur de sabre ou de néon qui questionnent notre "intérieur" et notre intériorité. Que voit-on à travers le corps, à travers ces images radioscopiques, médicales...On pénètre ici par le regard les abysses de la chair, on "organise" le monde organique en le révélant à l'image.On s'y retrouve dehors et dedans, comme pour le corps dansant et son espace intime, extime.Des empreintes de corps laissées sur les parois des cavernes, comme une intériorité spirituelle mise à nue: l'intime est ce qui s'exprime, qui ne reste pas caché au fond. J.L. Nancy à vif, dans le vif de la chair, du ressenti, dans la parole, la pensée et les gestes: filmé assis, il se dévoile, homme tronc, tronqué, le langage des mimiques exprimant le courant, la vivacité la brillance scintillante de sa pensée en mouvement.La voix est aussi la résonance du corps comme esprit en corps et en chair, vecteurs du son.Pas de paroles sans voix, mais on privilège la voix sans parole, le geste...
Très belle séquence où est évoquée en images, en icônes picturales choisies, triées sur le volet par les intentions du réalisateur: la "carnation" y apparait, évident conducteur du teint, de la couleur de la peau qui se présente "au dehors" non comme une enveloppe mais comme un lien, une adhérance à l'organisme.La peau du monde qui trésaille, lumière et passeur d'énergie, de chaleur, d'envie et de désir de communiquer avec l'autre.Le teint comme présentation de la vie, de la circulation du sang



léonard de vinci
 A partir des dessins d'anatomie de André Vesale , celui qui "fait voir" l'étrange et l'étranger en nous, le film conduit au "mystère", ce qui s'éclaire de soi-même et révèle l'inconnu. Léonard de Vinci excelle dans le croquis, serein, de la chair, des muscles et séduit par la tranquillité de ses découvertes sidérantes.Repoussant du dedans, séduisant du dehors, ce corps que nous transportons chaque jour ! 
"Corpus" que l'on regarde comme un excédent de corps, trop de corps qui s'ignore où se ressent à fleur de peau.
l'ange de l'anatomie

A corps ouvert, ces étranges figures, personnages sculptés dans la cire peuplant les musées d'anatomie. La Vénus de Florence, belle endormie, nue, ronde et charnelle, comme une boite de Pandore, ouvre ses flancs pour dévoiler son intérieur viscéral !


Ouvrir son corps en douceur comme sur ces planches d'anatomie où de véritables mannequins de défilé de mode, dévoilent  leurs entrailles, la peau flottant comme un châle ou une paire d'ailes factices...Une mélancolie élégante que de montrer ce qui les tue !


L'étrange beauté du désir, l'étrange étrangeté de l'impossible à voir.
Tout le montage de la parole de J.L. Nancy pour faire un film qui passe par le corps, qui n'est pas un film sur le corps, mais un filtre de lumière à travers la peau pour déceler l'intime. Bien en chair et en os dans l'évocation du "Transi" de ST Thomas, sculpture momifiée d'un personnage célèbre Nicolas Roeder qui se montre entre vie et mort avec la peau et les os, organisme pétrifié dans son aspect quasi vivant, animé de tensions.
A bien passer vivant à travers la mort dans cette mise au carreau très stricte et réaliste, sidérante en diable.
Autopsie du réalisme, dévoilée à travers les paroles d'anatomiste et chercheurs scintifiques de renom.Un choix judicieux de témoins, de passeur de savoir pour "illustrer" et abreuver les paroles de Jean Luc Nancy


Un hommage au philosophe à fleur de prises de vue s'autorisant à accompagner ses propos vifs argent avec des images, matrices d'un savoir sur la chair organique et d'une réflexion sur la "bonne chère" du haut de la chaire de toute son expérience cinématographique pour Philippe Poirier: un art du mouvement et de la mise en lumière, corps-objet dansant à distance pour mieux se rejoindre dans l'étreinte du rythme.
Un film qui avance comme la pensée du philosophe en marche, danseur attentif , en éveil, aux aguets, malin et espiègle facteur et passeur d'intelligence -inter-ligerer- : relier, rassembler ses pensées pour les amener plus loin, les déplacer comme un corps guidé par ses intuitions.


DANS LE CADRE DE LA NUIT DES IDÉES : ÊTRE VIVANT ?
En partenariat avec l' INSTITUT FRANÇAIS, porteur de l'évènement.

CYCLE Focus Films Grand Est
Un dispositif de valorisation des films soutenus, tournés et/ou produits dans la région Grand-Est.

En partenariat avec Image Est et La Pellicule Ensorcelée.

mercredi 29 janvier 2020

Terpsichore en baskets et autres marcheurs de fond.Conférence "déroutante", vers Mathilde.

Conférence]-Rencontres avec la chorégraphe Mathilde Monnier 💃.
- Déroutes ou la marche en danse -
Déplier les enjeux esthétiques, politiques et historiques à partir d'un geste élémentaire : la marche !
Ce thème qui s'inscrit dans l'histoire de la danse contemporaine à travers des forces militantes, politiques mais aussi dans une multitude de gestes créatifs, d'expérimentations et d'explorations artistiques, sera l'occasion de trois rencontres qui mettront en dialogue Mathilde Monnier avec des invités venus d'horizons différents.




Leurs échanges portent sur le Lenz de Büchner qui a servi de point de départ à l'oeuvre de Mathilde Monnier, Déroutes. Cette rencontre est également l'occasion d'un mini concert exceptionnel de chansons de Rodolphe Burger autour du projet Lenz (mené en collaboration avec Jean-Luc Nancy).

"Si la marche est à la danse, ce que la prose est à la poésie"(Valéry), si danser pour mieux aimer son corps (Nietsche) sont des références,  c'est "au pas" que l'on se glisse dans les univers croisés de deux complices (le maitre et l'élève) :  le couple, duo,Nancy/ Burger, le second introduisant la "performance" du jour, de sa voix chaleureuse, chaloupant les idées qui viennent de surgir.

photo robert becker

Le rêve de Jean-Luc: se déguiser, se costumer en Rousseau, Marx, Hegel, Lenz, la coiffe à chaque fois changeante pour incarner jusqu'à Nietzsche: tous ceux qui, promeneur solitaire, marcheur, fréquentent balade et errance. Alors que Rodolphe Burger chatouille la guitare, entonne ou murmure textes et citations diverses, Jean-Luc Nancy, aguerri à la scène semble "marcher sur la tête" en toute lucidité. A la renverse aussi comme Mathilde, en route sans faillir aux désirs de suivre les chemins de traverse, les chemins de l'âne: celui qui broute où le mènent parfums, saveurs sauvages.

photo robert becker

 

On ne nous "fait pas marcher" ce soir là, mais on nous introduit, nous guide dans les contrées de références des uns et des autres, dans un vaste paysage: celui des images magnifiques projetées simultanément: celles de forêts dans le brouillard, de Schirmeck à Sainte Marie aux Mines: un personnage énigmatique, longs cheveux blancs hirsute, court, chute, se lance à l'assaut de ses espaces, parcourt, marche et suit son chemin jusqu'aux étoiles... C'est Lenz, sauvage, débridé, en fugue, en cavale, le corps en marche.


photos robert becker

La silhouette de Jean-Luc Nancy se confondant dans la nature, dos à dos avec ce Lenz fantomatique qui parcourt l'écran. Beaucoup de finesse dans cette évocation des sources d'inspiration de Mathilde Monnier pour ses recherches donnant naissance à "Déroutes", cet opus si fort où les corps en branle s'égarent, où la marche anime les idées et leur donne corps et graphie. Les danseurs comme des voyageurs à la Rousseau, des penseurs à la Descartes.

"Das Wandern ist des Mullers Lust".. .pour notre "Terpsichore en baskets" : une ode à la promenade, au trajet à la divagation, autant qu'au but fixé que l'on atteint jamais.

Cette rencontre singulière, objet scénographique, scène emplie de la joie de la marche pourrait aussi renvoyer à la lecture de "De la marche" de Henry David Thoreau : "nous devrions entreprendre chaque balade, sans doute, dans un esprit d'aventure éternelle, sans retour". "On nait marcheur, on ne le devient pas" !

« À quoi bon emprunter sans cesse le même vieux sentier? Vous devez tracer des sentiers vers l'inconnu. Si je ne suis pas moi, qui le sera? » Inspiré par Ralph Waldo Emerson et son Nature, Henry David Thoreau (1817-1906) quitte à vingt-huit ans sa ville natale pour aller vivre seul dans une forêt, près du lac Walden. Installé dans une cabane de 1845 à 1847, il ne marche pas moins de quatre heures par jour !
Pour l'auteur de la Désobéissance civile, farouchement épris de liberté, c'est bien dans la vie sauvage - sans contrainte - que réside la philosophie. Par cet éloge de la marche, exercice salutaire et libérateur, Thoreau fait l'apologie de la valeur suprême de l' individu. Conférence donnée en 1851, De la Marche constitue un bréviaire indispensable de l'éveil à soi par la communion avec la nature. 

sally banes terpsichore en baskets

 

  A suivre.....

Deux autres rencontres avec David Le Breton (sociologue) et Irène Filiberti (dramaturge et critique), puis avec Bruno Bouché (chorégraphe et directeur du Ballet de l'Opéra du Rhin) et Gérard Mayen (journaliste et critique), prévues respectivement les 12 février et 3 mars 2020, porteront sur les usages et pratiques de la marche dans l'histoire de la danse, la philosophie et, plus largement, les sciences humaines.

Ce cycle de conférence "Déroutes ou la marche en danse" a comme objet de déplier les enjeux esthétiques, politiques et historiques à partir d'un geste élémentaire: la marche. Ce thème qui s'inscrit dans l'histoire de la danse contemporaine à travers des forces militantes, politiques mais aussi dans une multitude de gestes créatifs, d'expérimentations et d'explorations artistiques, sera l'occasion de trois rencontres qui mettront en dialogue Mathilde Monnier avec des invités venus d'horizons différents.

📍 Mercredi 29/01/20 à 18h30 | Auditorium 1er étage 


Vingt ans avant De la marche de Henry David Thoreau, Balzac écrit Théorie de la démarche, article qu’il fait paraître en 1833. La marche, c’est la liberté dans la nature, la démarche, c’est la contrainte dans la société. Le pavé de Paris est piétiné tous les jours par une foule de marcheurs ; mais marchent-ils tous, ces citadins, de la même manière ? Et leurs différentes démarches, que signifient-elles ? Figurez-vous Balzac assis à la terrasse d’un café, analysant le pas de chacun et cherchant, non sans ironie, à élaborer une nouvelle science. La Théorie de la démarche est issue de cette observation, qui ouvre à la psychologie et à la sociologie de La Comédie humaine