vendredi 25 septembre 2020

"Suite n° 4" : une langue bien suspendue !


Suite n°4 (2020)
création mondiale 


"Nos paroles reflètent le monde, et à l’ère de l’explosion des flux de communication, elles s’envolent en d’incommensurables nuages, vaporeux, immaîtrisables. Y chercher l’ordre absolu, tâche sisyphéenne. Abdiquer devant une page noircie à outrance, défaite de la pensée. Prêter l’oreille aux choses, se laisser fasciner par l’hétérogène, ou encore ausculter plutôt que juger et détruire, comme le préconisait Nietzsche — telle est l’issue expérimentée par Joris Lacoste et les contributeurs de l’Encyclopédie de la parole depuis 2007. La Suite no 4 en est le dernier opus.
Sur scène, les acteurs ont disparu. Seuls demeurent les documents sonores, d’étranges personnages témoins de l’oralité contemporaine, et les musiciens de l’ensemble Ictus. Projetées dans l’espace théâtral, les paroles prononcées dans plus d’une vingtaine de langues entrent en gravitation pour révéler leur musicalité. Ainsi orchestrées, des situations d’apparence ordinaire et volontairement disparates convergent pour délivrer leurs inflexions profondes. Des voix lointaines, absentes, reconnues ou anonymes, parfois réprimées, mais aussi des fantômes, un rêve éveillé, l’exil et ses chemins, le tableau d’une jouissance… sont quelques-unes des figures de ce theatrum mundi polyphonique dont Pierre-Yves Macé et Sébastien Roux signent respectivement la composition instrumentale et électroacoustique. Une dramaturgie de l’écoute inédite qui marque le retour de Musica au Théâtre National de Strasbourg."

 C'est à une suspension de mots défilants, que l'on assiste,comme venus d'ailleurs, figures fantomatiques révélant  l'absence de corps, la perte, le passé qui s'écrit, qui s'efface sur le tableau désincarné du théâtre. Paroles doublées de son, de musicalité du verbe. L'exercice est périlleux et réussi, dans une lumière bleutée, fragile, en fumeroles dispersées.C'est plastiquement très réussi et convoque au voyage, au pays de la collecte de ce qui devient archive, encyclopédie, conservatoire. Enquêtes multiples pour recollecter, trier et mettre à jour le fruit d'une étude quasi scientifique, ethnographique. Les lettres apparaissent drapées de linceuls, nimbées d'inexistence, inconsistance. Actes après acte, la musique s'impose et les sept protagonistes de ce théâtre de la parole enregistrée, lointaine, font corps et occupent le terrain.Les enregistrements opèrent comme des filtres, les mots disparaissent peu à peu au profit des récits, de témoignages. On part pour une découverte de continents inconnus et inouïs avec curiosité et intérêt.
Sept musiciens en quête d'auteurs, de mémoire se cherchent une place sur le plateau qu'ils prennent au pied de la lettre. Nous offrant en bord de scène le privilège de la rencontre et de l'écoute.
    lumières, scénographie et régie générale
  • Florian Leduc
Encyclopédie de la parole Ictus



"Chewing gum silence": Musica is Small et beautyfull ! La mélodie du bonheur !


concerts et ateliers jeune public

"C’est l’histoire d’une jeune femme à la recherche de sa mélodie perdue, celle qui lui sert à s’endormir et animer ses rêves. Elle atterrit dans un drôle d’endroit où deux archivistes conservent et réparent toutes les mélodies du monde. Commence alors un fabuleux jeu de cache-cache musical et de poupées russes sonores, joyeusement orchestré par Antonin Tri Hoang et Samuel Achache. Un réjouissant spectacle de théâtre musical, avec à la clé un remède efficace pour vous débarrasser de ces airs entêtants qui peuvent vous trotter dans la tête toute la journée."

C'est Musica baby, "S" taillé sur mesure pour les petits et les grands XXL qui ont su garder leur âme d'enfant ! C'est un accueil chaleureux et débonnaire de l'équipe de Django qui vous attend pour cette matinée scolaire animée ! La salle est pleine et joyeuse quand apparait, derrière un mur de cartons empilés, un "homme tronc", présentateur "muet" parlant une langue inconnue, doublé par une musique naissante de derrière les fagots...Il croque un navet qu'il explique gouter avec l'oreille, le nez.Sens dessous-dessus , parti pour une leçon sur la"note", la "hauteur", les "timbres" et la "mélodie": sujet qui va parcourir toute la substantielle moelle du spectacle. Fredonner l'absence, de quelque chose, de quelqu'un pour mieux lui redonner corps avec tous ces ingrédients ! En tracer les contours musicaux.Image corporelle, organique de la musique, suggérée à toute allure par le conteur-narrateur qui s'adresse déjà aux mystérieux cartons comme à des êtres vivants.Dans cet étrange entrepôt, boutique fantasque, deux magasiniers vont opérer d'étranges expériences sonores.Une jeune femme bariolée débarque et découvre que de cet amoncellement de boites, sortent des "mélodies". Belle idée, fil conducteur du spectacle qui va entrainer nos trois personnages dans les plus drôles divagations sonores.Par maladresse, cet éléphant dans un magasin de porcelaine va coller au plafond un "ré" qui n'aura de cesse de regagner le "sol", le "ré" de chaussée ! Sol si ré la mi la (sol ciré l'a mis là ,dirait-on d'un homme qui chute)...Ici c'est la remise des archives du son, la boite à musique, la boite à malice, à rythmes,berceau de toutes les intrigues et rebondissements à "portée" d'enseignement pour trouver les clefs de fa ou de sol de la composition musicale. Malins et pédagogues, nos trois protagonistes musiciens,dans un univers à la Prévert, avec fracas et dans un grand fatras,  brodent une histoire à dormir debout pour notre jeune héroïne qui ne trouve pas le sommeil par manque de "mélodie"pour fermer l'oeil de la nuit. Des fragments de "standards" s'enchainent pour mieux faire découvrir les sources sonores de nos "tubes": Marseillaise ou "Joyeux Anniversaire" recomposés en direct, en improvisation: tout devient accessible et ludique dans ces secrets de fabrication révélés sans démagogie, avec humour et malice. Il y a un "dehors", hors de ce huis-clos de conservatoire de bocaux de formol de musique. En rayons bien achalandés, cette Samaritaine, grand magasin de la Mélodie, dévoile ses secrets et les agents de service s'avèrent de bien agiles musiciens, clowns burlesques et comiques de répétition, pleins de fantaisie et d'inventivité: une "école de musique" fabuleuse que ce "chewing gum" au gout de navet salé et pas "piqué des vers" du fruit de l'oreille d'Irène qui ne mâche pas ses mots! Un grand jeu fragile de baguettes géantes de mikado au final fait vibrer percussions et architectures sonores inédites. Voir les sources des sons à la recherche de la mélodie perdue et retrouvée! Mais chercher n'est pas toujours trouver, alors on peut donner du gout à un "navet" un nanar et se coltiner la création pour de bon.Une boite silencieuse, ça existe aussi, qui renferme de "bonne" ou "fausse" note pour mieux "libérer les mélodies" de leur carcan ou complexité!  Mélody, un prénom pour la vie, celle que l'on fredonne en repartant, celle de Michel Polnareff, une "simple mélodie" libre et pleine des percussions des fauteuils de la salle habilement orchestrés par les enfants au plus grand plaisir d'un John Cage, expérimentateur de tous les possibles comme savent le faire les artistes de ce trio magnétique.


 

    composition piano préparé, percussions, voix
  • Jeanne Susin

 


Sonic Temple vol. 2" : pas "fréquent" mais tout à fait "fréquentable" !

 

Sonic Temple vol.2

« L’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance. » Antoine Volodine, Des Anges mineurs

"Ce qui réunit les artistes de cette soirée organisée avec l'INA GRM est l’attention critique qu’ils portent aux ruines spirituelles et sonores que la modernité, les logiques de production/consommation et le système capitaliste ont laissé derrière eux et laissent encore devant nous. Comment faire advenir des communautés sensibles dans les décombres du présent ? Quelle attention pour quel lendemain ? Que peut bien encore vouloir dire le mot « génération » lorsque l’histoire se retourne contre elle-même ?"

Ce sont les grandes orgues de St Paul qui inaugure ce concert hors-norme, énorme machinerie électro-acoustique: le public, en rond autour de l'estrade qui accueille artistes et consoles. De longues tenues répétitives s'enchainent, solennelles dans une belle ambiance "stimmung", recueillie, le public encore dirigé frontal, assis sur ces adorables tabourets en carton recyclable d'une année sur l'autre,  face à cette machine soufflante et respirante, vents en poupe. Brise, pulsations régulières de cette bête, fourmilière ou pulsante. termitière

Kali Malone à l'honneur avec "Glory Canon 3":des reprises, répétitions scandent le rythme soutenu des notes, en boucle: éternel retour, le son tourne, emplit l'espace, les volumes de la nef éclairée pour l'occasion en ciel d'ogives convergentes. Décor et espace de choix pour une pièce où le son se réverbère, en vibrations et fréquences, pas fréquentes, mais bien fréquentables pour l’Ouïe. 

Suit "Numen" de Annabelle Playe , sorte de cataclysme sonore de guerre, tonnerre, ravages, destructions au poing. L'électro-acoustique à son zénith, volume surdimensionné, amplification du son à l'envi.Pièce angoissante, envahissante, submergeante à l'ambiance de catastrophe aérienne: l'horizon s'ouvre en contraste soudain, silence étiré, déroutante fausse piste de calme: passages de salves, de bruits de percussions étranges, de choc underground, de vibrations de coulées d'avalanches...Qui ruissellent, roulent, se déversent, chaotiques Des impacts sonores fulgurants, légers, furtifs à l'appui, éphémères lignes horizontales de sonorités brèves: qui se soulèvent, épaississent, envahissantes venant densifier la matière sonore conséquente. 

"How to Avoid Arts" de Lasse Marhaug prend la relève: les éclairages de la voute céleste gothique varient pour accueillir cette musique, composition répétitive semée de bruits de pluie, comme une plongée dans les abysses, les abimes aquatiques, subway tétanisant, chutes d'eau, atmosphère "glauque" verte sournoise, ou ventilation ténue de sons indistincts. Des souffles divers sont projetés, postillons, écume et contrastent avec les masses sonores qui montent, submergent, se gonflent, déferlent et étouffent savamment l'auditeur, transporté en commun avec l'assemblée de spectateurs transits.Eruption volcanique, torrents de masse liquide, lave incandescente... Infiltrations karstiques du son dans lesfailles béantes des avens tectoniques...Minérale planète, cosmos sidéra, sidérant!

"Living Torch" de Kali Malone poursuit la recherche sonore, acoustique inédite, ce soir là en création nationale ou mondiale, toutes les pièces datant fraichement de 2020.En lentes vagues de son soutenu qui déferle, magistrales, grandiloquentes en puissantes vibrantions envoutantes, le voyage continue sans embuche: on est dans le ton de la soirée: tectonique, inquiétante, survol planétaire de la création acoustique, voie de tous les possibles, de toutes les écoutes. Voute et couverture acoustiques idéales pour une production inédite si bien maniée par l'ensemble GRM.

Enfin, morceau de choix et pièce maitresse de la soirée: "Four Rays" quatre faiszeaux d'anti division de François J.Bonnet et Sptephen O'Malley: une immersion totale lente, dans l'atmosphère vibratoire caverneuse et grondante, tunnel résonnant, couches et stratosphère vivante, organique, sourdant des deux guitares live, manipulées par les musiciens connectés. Apocalypse sidérale à l'entenne, quand le jeu s'emballe, ivre de sons déferlants, jeu de consoles égarées, affolées, réverbération intense des fréquences timbrées, disharmoniques: soutenable ou insoutenable décibels, puissants qui dérangent de confort d'une audition, écoute saturée. Longue et lente alarme en épilogue, au final de cette soirée sans quiétude aux confins de nos cauchemards ou rêves éveillés!

Relire aussi "le chant des muses" de Lacoue-Labarthe où il est question de l'amplification, de la "caisse de résonance" : les cavernes préhistoriques qui avaient des propriétés acoustiques particulières de résonance....Comme st Paul et l'électroacoustique sophistiquée !

"L’Américaine Kali Malone se produit pour la première fois à Strasbourg et fait résonner ses monolithes acoustiques dans l’espace de l’église Saint-Paul. Son écriture minimaliste, volontairement dépouillée pour mieux surinvestir le « sujet », est une recherche croisant l’harmonie, les simples relations entre intervalles et la psychoacoustique, en faisant notamment résonner l’orgue, son instrument de prédilection. Cette volonté d’inclure l’écoute elle-même à la composition, tout en jouant sur l’altération de la perception, est également au cœur des préoccupations du duo que forment François J. Bonnet et Stephen O’Malley. Après Cylene (2019), ils dévoilent leur dernier projet en date : entre rituel sacré et expérience du chaos, phénomènes sensibles et divination séculaire — un romantisme pour le XXIIe siècle ? Enfin, les variations infinitésimales comme les éruptions tonitruantes délimitent l’aire de contraste d’Annabelle Playe, qui place l’écoute en état d’urgence, dans une attention quasi-animale."


Kali Malone création française
Annabelle Playe
NUMEN (2020)
création mondiale
Lasse Marhaug création mondiale
Kali Malone création française