lundi 9 janvier 2023

"All" à la lisière: une tranche de vie en répétition publique: Marie Cambois et ses complices...En coulisses...Comme sur un plateau !

 


Marie Cambois
La Distillerie Collective France 2 danseuses + 1 comédienne+ 1 musicien création 2023 

ALL (à la lisière):Créer le trouble

"Marie Cambois aime se situer à la lisière des choses. Marcher sur les bords, comme le funambule sur son fil, toujours proche du déséquilibre, du vertige. Cela donne à sa danse d’étonnantes oscillations aux effets hypnotiques. Dans ALL – trio féminin composé de deux danseuses et d’une comédienne accompagnées d’un musicien et d’un scénographe intervenant en direct sur scène – la chorégraphe se focalise sur ce mouvement de bascule. Hésitation, instabilité mènent les corps au plus proche de la vibration musicale. Partitions écrites, improvisation et jeu théâtral entrent en résonance. Ces dialogues croisés contribuent à créer l’étrange univers, comme en suspens, qui se dégage du plateau et change nos façons de percevoir en multipliant les points de vue. Dans cette création, telle une boule aux mille facettes, tout se réfléchit en éclats."

RÉPÉTITION PUBLIQUE


Marie Cambois vous convie à une répétition publique, une manière d’entrer dans les coulisses d’un travail de création.Accueil chaleureux et sans façon de la chorégraphe et de son équipe quasi à la veille de sa création...Une gestation qui éclate et se finalise.Justement c'est au final du spectacle que nous invite l'équipe au complet: danseuses, scénographe, créateur du son et de la lumière, musicien....Quelques précisions de sa part pour nous éclairer sur la singularité de sa démarche: celle d'un collectif à l'écoute, en résonance des uns et des autres, modelant ainsi chaque phase, chaque tranche de création, de reprise du travail sur les planches, sur l'établi.Nous regarderons donc ces artistes "au travail" comme ils le sont d'ailleurs quand ils évoluent sur scène.Regarder travailler ces artisans de la scène selon les trois "partitions", crédo de la chorégraphe: le "scénario" d'abord d'un film fictionné qui ne se fera jamais, très dans la lignée de son travail. On se souvient de Delovelies qui exprimait la dualité et la fragilité de l'être humain, oscillant entre normalité des comportements et soubresauts des démons intérieurs. Marie Cambois y emmenait son équipe pluridisciplinaire à travers l'univers du réalisateur John Cassavetes. Touchée par la personnalité et les méthodes de travail du cinéaste, elle se reconnaît dans cette figure pour son amour des comédiens, son recours fréquent à l'improvisation et ses personnages proprement inadaptés à l'univers dans lequel ils évoluent. Second facteur de création: "la danse minimaliste", pas "bavarde ni illustratrice" et enfin, le"concret du plateau", le travail, les artistes à l'oeuvre..."Encore et jamais" de Camille Laurens pourrait être inspiré de ce travail....Sur la "répétition", le regard de celui qui paye sa place pour voir travailler les autres, comme sur un plateau où l'artiste  exerce son métier.,

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Cette "fin" de la pièce en gestation, matérialisée par objets, danseuses et musique donne "envie" d'en connaitre plus, d'en voir plus et de relier cette séquence à celles qui ont précédé et que nous n'avons pas vues. L'imagination va bon train pour chacun, interrogé à l'issue de cette présentation, brève mais édifiante. Une gare, des rails, tout converge vers moultes interprétations possibles à partir d'un écran perché qui vient se poser en lévitation comme une toile de Rothko, lumineuse, irradiant de l'espace, des couleurs, de la chaleur. Un "cinq kilo", projecteur sur roulette, oeil ou phare dans la  nuit évoque lui aussi par son apparition, un personnage ou un simple outil, élément d'éclairage. Car il faut voir les objets, ne pas cacher la réalité. Renzo Piano et Richard Rogers pour le Centre Pompidou-Beaubourg ont fait de même: l'architecture et ses "tuyaux" à vif, plein feu sur les entrailles de la structure livrée dans son plus simple appareil. Dans We killed a cheerleader, série de pièces composées pour danseuse(s) et haut-parleur(s) déjà la mise en espace s'attachait au mouvement : mouvement du corps par la production de gestes, mouvement de la membrane par la projection de sons. Et pour "All"la musique  borde le tout pour mieux s'évader, aller à la rencontre de ces femmes qui semblent se quitter sur le bord du chemin, cerné de néons verdoyants.Enfin on y retrouve cette  idée du territoire pensé comme la juxtaposition d'espaces paranoïaques et individualistes, qui se transforme au cours des pièces de Marie Cambois en "un élan humaniste dans lequel chacun, selon ce qu'il est, peut partager l'espace commun." Sur scène les évènements chorégraphiques, musicaux et techniques se mélangent dans une liberté d'écriture fluctuante qui témoigne de cette décomposition des frontières en temps réel.

Jolie et édifiante démonstration d'un savoir-être créatif, collectif et partagé, "négocié" pour édifier un espace-lumière habité à découvrir très prochainement durant le festival "l'Année commence avec elles"..Des mots, des paroles simples et sincères, mise à nu d'un processus de création original et très inspiré.

A suivre en "ouverture" les 12 et 13 Janvier 20H30

et les 20 et 21 Janvier à l'Espace 110 à Illzach dans le cadre de la "Quinzaine de la danse"


Répétition publique du Lundi 09 Janvier 18:00 sur le plateau de Pole Sud

 

samedi 7 janvier 2023

"La véritable histoire de Casse Noisette": des noix de pa-coco-tille pour un festin musical, dansé et iconographique de toute beauté.

 


"D’après Histoire d’un Casse-Noisette d’Alexandre Dumas, sur la musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski

Un roi et une reine aussi cruels qu’aimants. Une armée de souris vengeresses. Une princesse mordue par une souris. Un astronome et un mécanicien partant en quête d’une noix à travers le monde. Un jeune homme portant des bottes. Alexandre Dumas dresse une galerie de personnages réunis par un dessein commun : la recherche de justice et d’honneur. Voici le tableau de ce récit qui nous narre comment un jeune homme sachant casser des noix entre ses doigts se retrouve emprisonné dans le corps d’un Casse-Noisette.On connait tous la musique du ballet que Tchaïkovski composa pour ce conte fantastique où un casse-noisette prend vie un soir de noël pour entraîner une petite-fille à sa suite dans un monde féérique. Mais sa musique merveilleuse passe sous silence bien des aventures extraordinaires de cette histoire, qui vous seront racontées ici.

L’Orchestre Philarmonique de Strasbourg et les artistes de ce spectacle musical vous invitent à découvrir par exemple les événements qui ont amené le petit soldat à être transformé en casse-noisette…"

Distribution Géraldine ALIBERTI-IVANEZ direction artistique et adaptation du conte, Christophe MANGOU direction, Régis ROYER comédien, Elodie SICARD danseuse, Grégoire DE LAFOND création lumière, ALE + ALE illustrations, Sandro TEIXEIRA animations 
 
Il est des "contes de fée" que l'on croit connaitre, des arguments ou livrets de ballet que l'on croit acquis, connus et remâchés...Et bien si ce "casse-noisette" là n'appartenait à aucun de ces poncifs ou genres galvaudés! C'est donc en bonne compagnie matinale dans l'immense salle du PMC rempliée à ras-bord, pleine à craquer de joyeux bambins accompagnant leurs parents que se dévoile le mystère de "Casse-noisette"...
L’Orchestre philharmonique s'installe à potron-minet devant les enfants curieux et attentifs à ce programme jeunesse dédié à la découverte de "L'histoire d'un casse-noisette" d'Alexandre Dumas
Un mécanicien en salopette, narrateur-comédien pour l'ouverture de cette narration pleine de charme et de surprises, de rebondissements haletants.Une "noisette de beurre" ou un "café noisette" pour cette évocation du livret de l'oeuvre de Tchaïkovski histoire de rendre savoureuses les péripéties d'un homme à la recherche de la noisette perdue. Le "rêve de Marie" en ouverture, brillamment illustré par les images défilantes, icônes quasi "orthodoxes" d'un monde en couleurs chatoyantes, diffusées sur écran de fond

.La musique enjouée, dirigée de main de maitre par le chef Christophe Mangou, subtil, à l'écoute des variations de ton et d'atmosphères, caressant la musique ou l 'amenant à valser dans un rare plaisir de danse. Dans ce palais nous révèle notre conteur, les rats n'ont plus rien à manger et transforment la fille du roi en chat....Ce mécano fabulateur se prend à rafistoler la princesse, une danseuse réveillée de son sommeil: cela donne corps à un duo chorégraphié par Géraldine Alberti-Ivanez où les membres désarticulés de Marie se déglinguent, se décomposent en autant de segments démantibulés, désarticulés: pseudo danse hip-hop de manipulation très réussie et évocatrice de la machinerie humaine. Jusqu'à ramollir ce petit corps assujetti, secoué, renversé en porté quasi classique. Une "personne singulière" que cette princesse "différente" en prise avec ce nouveau monde fantasque.Une visite à l'astrologue(le chef d'orchestre en personne) et le conte va bon train. 
 

Encore des images sublimes de dômes d'églises orthodoxes dans la nuit étoilée pour mieux nous faire pénétrer dans l'univers fantastique du conte.Un jeu magique avec cette noisette tant convoitée entre danseuse et conteur fait un tour de la salle, gai, magnétique, charmeur. Les péripéties s'enchainent, entrecroisées d'entremets dansés très touchant et bien ciblés dans le rythme du spectacle où la musique prend le relais...Gestes chaplinesques de Régis Royer, galvanisé par son personnage, malin et pourvu de dons scéniques pertinents.Mimiques et attitudes au poing, très filmiques, "mimodrame" lyrique, cette oeuvre charme et enthousiasme. Alors que le récit avance, les images défilent, colorées, vives: la cour des chats en pays lointain ravit de ses couleurs et modèles félins mi-hommes mi-animal... Créatures hybrides où la princesse métamorphosée en femme-chat se révèle aussi dans la gestuelle très fouillée d' Elodie Sicard. Belle et généreuse présence sur le plateau parmi les musiciens.
 

Duo de charme sur les postures animales cavalières de l'un et de l'autre, segmentation raide et articulée simulant la mécanique ou la chevauchée des montures du Sultan. Dans le "deuxième rêve de Marie" apparait un narrateur en frac et chapeau haut de forme, assis dans son fauteuil pour mieux nous conter la suite des aventures de ce curieux et énigmatique"casse-noisette". En images, flocons de neige de Noël, danse des rats.. Tout y est pour émerveiller et éclairer nos lanternes sur le contenu de l'histoire si méconnu. La harpe en sublime évocation de tout ce petit monde gourmand, joyeux autant qu'inquiétant...Danse des massepains pour déguster la rondeur de cette musique dite de ballet, appétissante, apéritive à souhait. Danse de la fée Dragée oblige, en ombres chinoises. Ces moments de danse qui ponctuent le spectacle opèrent en apparitions récurrentes, servies par une interprète maline malicieuse, Elodie Sicard en pleine volupté dansante. Clin d'oeil à cette fête du gout: une noisette est l'enjeu de cette aventure qui dévoilera toutes ces facéties plus d'une heure durant au grand bonheur du public.
 

Palais de la Musique et des Congrès LE 7 jANVIER
 


 

"Par autan" en emporte le vent...La "choréité" comme souffle de vie!


" L’autan est un vent du sud-ouest de la France, né au large marin, si changeant dans son intensité qu’il « peut rendre fou » dit-on. Le Théâtre du Radeau, avec son metteur en scène François Tanguy, s’inscrit de manière inimitable dans le paysage théâtral depuis quarante ans. Dans ce théâtre, pas de fable, pas de personnages ou de psychologie. Tout est matière à jeu et sensations : l’espace mouvant, manipulé par les acteurs eux-mêmes, créant des changements de cadres et de perspectives, les costumes hétéroclites, les mots de Walser, Shakespeare, Kleist ou Kafka, ainsi que le son et la musique − ici, un pianiste est présent. Tout invite à redécouvrir et partager l’instant commun en sortant des codes usuels de la représentation."


De surprise en surprise soufflent comme un air de musique, comme des ondes de choc entre les comédiens, le décor, les mélodies et les mots. Car c'est à une navigation sous les bons auspices d’Éole ou de Borée, comme il vous plaira, que nous invite la troupe du "Radeau", cette embarcation médusante entre absurde, artefact, rêve ou légende. Ici pas de narration ni de récit linéaire, mais un patchwork lumineux d'extraits de textes de référence d'auteurs choisis, volubiles accumulations de citations incongrues qui parsèment la ligne éditoriale et directionnelle sans boussole de cet étrange opus. Opéra, œuvre sans toit ni loi qui obéit à l'instinct,  à l'intuition autant du "metteur en scène" que des comédiens dont les univers s'inspirent, s'entrechoquent mutuellement. Résultat: un maelstrom, un tsunami de costumes hétéroclites invitant matières de tissus, époques anachroniques, univers débridés de couleurs, de rayures, de blancheur immaculée...On parcourt ce récit de corps en toute adhésion si l'on veut bien faire corps et esprit commun avec cette atmosphère de l'absurde, de l'incohérence apparente. Et l'empathie fonctionne à l'envi de la scène à la salle, sans frontière ni distanciation, au seuil du théâtre.


L'estrade est factice, les comédiens, avec nous jouent les passerelles et la communion est délicieuse, savoureuse. Les "personnages" dont un "général" de pacotille en font la mécanique, le mécano de la Générale et ce rituel théâtral, tantôt verbal tantôt muet,entraine dans l'utopie, le rêve, les songes qui pétrissent cette pièce improbable, histoire à tiroirs....Voir les objets bouger, les décors se manifester avec leur âme est réjouissance et délectation. Papier peint désuet, panneaux mobiles, pendrillons vivants, c'est un peu Mélies qui veille au grain...Tout se meut, des corps au décor dans une allégresse communicative qui franchit et déborde des frontières ou lisières du compréhensible: alors on se laisse aller, on fond, on se répand voluptueusement devant ces tableaux, comme autant de références à la peinture impressionniste: une tornade avec parapluie comme bouclier de protection, une mélodie chantée comme un évanouissement, un Général fantoche touchant, émouvant .Le jeu des comédiens est "choréité",chorale physique contagieuse, comme l'explique Martine Dupé, bloc opératoire opérationnel, fédérant chorégraphie, déplacements, mise en espace et scénographie. François Tanguy hantant la salle Gruber du TNS pour y avoir présenter tant d'opus intrigants, étonnants, déroutants. Ce soir de "première" l'émotion est forte et l'on partageait cette communion en bonne compagnie -cum-panis-, partageant le pain des anges qui ne désespèrent pas d'être au monde un jour.

Une pensée en mouvement digne du chorégraphe Alwin Nikolais pour qui couleur-son-musique-mouvement et lumières ne font qu'un Deus ex machina. Pensée organique en mouvement, tout simplement à vivre comme spectateur acteur actif, réceptif et consentant.

L'exposition attenante des esquisses et dessins de scène est digne d'un accrochage de pièces d'art brut et révèle une fois de plus l'univers prolixe et magnétique d'un prestidigitateur du plateau. De l'ether, de l'espace des sables mouvants de l'imagination débordante d'un créateur; malicieux spectre du lieu, esprit chatouilleux de nos fantasmes les plus fous....Un pied de nez à la vie, au vent, souffle et respiration inspirée d’Éole ou Borée en autant de zéphyrs, aquilon et autre dénominations de déplacement de l'air!!


Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller

Au TNS du Vendredi 6 Janvier 2023 au Samedi 14 Janvier 2023