vendredi 14 avril 2023

"Print" : Sylvain Cathala en quintet de charme et de surprises musicales imprimées d'un cachet singulier.


 En quelque 25 ans d’existence, le groupe Print du saxophoniste Sylvain Cathala aura passé par d’innombrables métamorphoses (jusqu’à se gonfler parfois aux dimensions d’un mini big band !) en conservant toujours au cœur de son dispositif le quartet originel composé de Stéphane Payen au saxophone, Jean-Philippe Morel à la contrebasse et Franck Vaillant à la batterie.

C’est dans une formule en quintet, augmenté pour l’occasion des sonorités mutantes du piano modulaire de Benjamin Moussay, qu’il se présente aujourd’hui pour une musique toujours plus organique et expérimentale. Conjuguant la densité d’une écriture hautement sophistiquée avec l’intensité et l’énergie d’improvisations follement débridées, Print continue de faire de sa musique un petit laboratoire raffiné et poétique où le jazz bouscule ses certitudes.

En première partie on assiste à la restitution de la master class de Sylvain Cathala par les élèves du Djemi. Et c'est un trio qui fait ce beau lever de rideau devant une salle comble. Beau challenge pour ces artistes en herbe, très concentrés, piano, saxophone et batterie, très "jazz" dans deux pièces courtes où le saxo dialogue avec la batterie pour un rythme relevé, enflammé, résonant à l'envi. Pour la seconde formation de circonstance, un invité parmi eux: le pianiste Benjamin Moussay qui leur fait l'honneur et la sympathie de se joindre à leur formation: belle surprise pour le public conquis. Trois saxophones, une contrebasse, une guitare et batterie pour cette équipe de charme.

Puis voici la formation de Sylvain Cathala qui s'empare du plateau avec aisance et bonhomie, décontraction et flegme en apparence. Une bonne dizaine de morceaux choisis parmi leur répertoire commun où chacun s'ingénie à faire place à l'autre sans "solo"virtuose à bon escient. Musique lumineuse, enjouée malgré son caractère savant et très élaboré. Le percussionniste Frank Vaillant allant réajuster la sonorité de son instrument, accorder sa peau à chaque pause brève! Du rarement vu aux dires de Sylvain Cathala, admiratif devant tant de"professionnalisme maison". Et "la nave va" plus d'une heure durant, flamboyante et généreuse prestation, musique déferlante d'où émergent des paysages changeants.  Où l'on se met sur son "31", belle pièce en soi, troublante composition versatile.Le piano électronique modulaire de Benjamin Moussay, curieuse protubérance accolée au pupitre laissant filtrer des sons aiguisés, malmenés et très étonnants. La vélocité de l'interprète faisant le reste, gazouillant à l'envi avec le saxophone, en bonne compagnie et de concert bien chambré. Contrebasse-Jean Philippe Morel- aux petits soins pour son instrument percussif, et Stéphane Payen au saxophone pour couronner ce groupe aguerri à la performance complice et débridée.Cette formation inédite pour le plaisir de l'écoute, dérangée, déstabilisée par des morceaux courts, brefs, "studies", études,sorte de petites nouvelles musicales sorties d'un grimoire inédit. Pour le plus grand plaisir du public et des interprètes chargés ce soir là d'une mission enchanteresse de décliner et répandre les effets bienfaisants de ce jazz-laboratoire expérimental de bon aloi! Merci aux organisateurs et fédérateurs Philippe Ochem et Michael Alizon de nous avoir laissé être "témoins" de cette généreuse prestation inédite." Impressionnante" formation que ce "print" qui imprime son sceau , son cachet singulier, empreinte insolite sur la musique jazz d'aujourd'hui.


 Stéphane Payen saxophone alto Jean-Phillippe Morel contrebasse Franck Vaillant batterie Benjamin Moussay piano

Jeudi 13 avril 2023 20h CMD - auditorium dans le cadre de "JAZZLAB" N° 5 du 11 Au 15 AVRIL


 

jeudi 13 avril 2023

"Botanica" : et si les plantes avaient des é-motions...Lovemusic se "plante verte" dans le terreau fertile de la botanique...

 



"Botanica" Collectif lovemusic  "Theories for living things"

Huit musiciens interprètent des créations du compositeur contemporain Daniel D’Adamo et nous invitent dans un jardin botanique et musical où les plantes surgissent au détour d’une mesure, d’une note. Au gré des tableaux, le vivant nous dévoile ses secrets et ses mystères. Nous sommes alors assemblés dans un paysage qui ne cesse d’évoluer pour nous révéler les richesses et les fragilités des plantes.

 Le décor est "planté"pour une introduction des "Prima lista botanica", sortes de ponctuations, d'entremets ou d'intervalles entre les quatre pièces maitresses du programme. C'est murmures et images à l'appui, ça respire, rythmé, inspiré, aspiré comme des parfums, des fragrances sonores multiples: cela augure des meilleures intentions d'interprétation et de composition! A la manière du "Catalogue de fleurs" de Darius Milhaud, ces accumulations, inventaire à la Prévert sont jouisseuses, bruissantes, évocatrices des sons , accordéon, violon, violoncelle, percussions, clarinette, guitare, voix-soprano et flûte au rendez-vous.

 La première pièce "Le cactus" est introduite par la maitresse de Cérémonie, Manon Corbin et agrémentée des informations savantes de Audrey Muratet, botaniste, écologue émérite. Prologue édifiant sur les caractéristiques de la plante cactée , savoureuse, qui transpire la nuit, épineuse qui stocke l'eau en dessiccation nocturne et qui demeure permanente dans le temps, semblant échapper à toute transformation visible, perceptible...Erreur car le cactus évolue lui aussi, plante succulente et changeante malgré les apparences invisibles..Le compositeur fait écho à cet état de fait et transcrit, prolonge et adapte ses compositions aux données scientifiques. C'est la partie narrative et magique de l'oeuvre qui nous est contée par les musiciens à tour de rôle et contraste avec la version savante de la botaniste. Bienvenue donc à la fantaisie de ces sons au départ figés, ténus, ces mouvements dans la lenteur qui illustrent la longévité de la plante épineuse qui retient l'eau et le temps. Glissando des hauteurs, stoïcisme et magie du cactus empli de pouvoirs étranges et divinatoires. Du surnaturel dans le mode de jeu: des trémolos pour les cordes en accord avec les images découpées sur l'écran, projetées, figures d'algues, lumières de photosynthèse dues à l' inspiration de la graphiste plasticienne Elsa Saunier .La flûte respire, clarinette et violon se répondent dans une conversation débridée.




La seconde pièce "Le moabi" évoque cet arbre mythique, gigantesque, poirier d'Afrique dont les fruits sont mangés par les éléphants, porteurs des graines, dispensateur et fécondateur à son insu. Cette pièce est un laboratoire sonore de correspondances multiples à la Beaudelaire: le son des fruits qui tombent évoqué par des vibrations telluriques des pas de l'éléphant Les vitesses rapides avec gammes descendantes évoquent la chute des fruits odorants, mous Des tempi plus lents façonnent l’icône calme, reposante de cet arbre majestueux qui règne en prince. L'air vibre entre la voix et la clarinette pour cette légende poétique à souhait.Des glissades, glissements sourdent de la musique en dégringolade. La largeur de l'arbre se fait présente, son écorce qui rend invisible se fait image diffractée sur l'écran en phases de kaléidoscope.

Encore quelques entremets sonores de mots scandés, énumérations de noms de plantes en intermède , interlude collectif chaleureux et humoristique.

Et voici la troisième pièce "Le Desmodium Girans" ou plante télégraphe! Ce légumineux, sainfoin oscillant est source d'inspiration versatile, mobile, volubile. Avec ses feuilles à trois folioles voici des mouvements intempestifs imperceptibles, à l'horizontale puis qui s'abaissent de haut en bas. Plante électrique en diable, le jour elle danse, la nuit elle dort... Une pièce parlée pour cette plante serpent qui hypnotise les musiciens comme envoutés par ses charmes. Beaucoup de notes à jouer pour évoquer la fébrilité des limbes en correspondance avec la vie de la plante. Musique de gestes, paroles de conteuses, conversation, vibrations et figures de danseur stabile, en déséquilibre et mouvance intrigante.


Pour la dernière pièce "Le nénuphar géant", cette plante aquatique de nymphéa mythique, seront évoquées les feuilles larges en circonférence, qui flottent dans l'éther, comme une chambre florale qui s'épanouit sur l'eau. Les percussions "tam-tam" insolite bassin incurvé circulaire, se font légères et multiples agent de communication entre air et eau. Les accessoires nombreux pour percuter cet état de corps végétal dénoncent les insectes voyageurs pollinisateurs qui fréquentent les fleurs. Un code en morse pour mieux faire voyager les sons et déverser un message magique à décrypter. Des silences pour signifier le calme et la durée infinie de vie de ces feuilles , plateaux support de l'histoire de ce nénuphar dans sa vie agitée des eaux dormantes.Des noms de nénuphars sont psalmodiés dans de multiples langues comme éventail déployés de sons signifiants. Du statisme aussi, des glissés dans de lents passages évoqués par les "vents".

Daniel d'Adamo signe ici un bréviaire magique de l'histoire fantasmée des plantes, herbier sonore, petit carnet secret de botanique que l'on feuillette à l'envi avec compagnie de Lovemusic, toujours à l'affut des expériences et rencontres musicales insolites et décalées!



Lovemusic  au Point d'Eau à Oswald le 12 avril (18h)  . Le Curieux Festival fait rencontrer les arts et les sciences et on y  joue la nouvelle pièce de Daniel D'Adamo - Theories for living things - une oeuvre qui mets en musique la vie des plantes ! L'oeuvre est ponctuée par une discussion entre Daniel D'Adamo, hélas absent, la Botaniste Audrey Muratet et Manon Corbin. 

Emiliano Gavito, flûte
Adam Starkie, clarinette
Emily Yabe, violon
Lola Malique, violoncelle
Nuno Pinto, guitare
Nejc Grm, accordéon
Rémi Schwartz, percussion
Léa Trommenschlager, voix

 

"Poufs aux sentiments": ça décoiffe et ça décapite: Marie Antoinette aux anges! Chasse à cour, à jardin.....


Comme ils l’avaient fait en 2021 avec leurs Merveilles, Clédat & Petitpierre puisent dans l’Histoire pour cette nouvelle création

Les poufs, ce sont ces perruques surdimensionnées et extravagantes apparues à la cour de Marie-Antoinette, décorées d’ornements les plus farfelus. Les « poufs aux sentiments », auxquels étaient accrochés portraits et objets rappelant les êtres aimés, reflétaient plus particulièrement les liens affectifs de ceux et celles qui les portaient. S’emparant de ces étranges constructions, les deux artistes font naître un monde insolite : dans un jardin à la française taillé au cordeau, les danseurs Ruth Childs et Sylvain Prunenec, dont le costume prend la forme duveteuse de ces coiffes d’antan, déploient une chorégraphie subtile qui renvoie aussi à l’univers de la danse baroque. Deux arbustes anthropomorphes habitent également ce décor de verdure, lui-même doué de vie. Chez Clédat & Petitpierre, qui interviennent tant dans les théâtres que dans les centres d’art et l’espace public, le travestissement constitue à la fois le point de départ et la matrice d’une rêverie hors du temps.

Je vous "haie" d'honneur...
 
Un décor comme un labyrinthe, jardin à la Le Nôtre, tracé au cordeau, un petit bosquet de buis qui va donner naissance en accouchant comme la montagne, de souris, velues: des moutons de jardin qui copulent sauvagement comme une bête à deux dos dans des ébats jouissifs, petits culs de puttini à l’appui. Cela s'annonce charmant et désuet: culs blancs de lapinoux et pom-pom girls au chapitre. Au menu, menuet et  rigaudon car c'est bien la danse baroque qui est convoquée ici.On songe à:
"C´est nous les petits puttini
Fesses à l´air et joues rebondies
En peinture, en lavis,
En marbre d´Italie,
Fanfarons, fripons, trublions,
Tétons mignons, bedons trognons,
Chantons le gai rigaudon,
La chanson des gros cupidons
Fesses à l´air et joues rebondies
C´est nous les petits puttini " (juliette le congrès des chérubins)
 
Précieuse et galantes évolutions, les bras et mains très  maniérés, façonnés par le style relevé juste ce qu'il faut; sauf que, en collants chair moulants et cul-nus nos deux escogriffes font obstacle au bon comportement. Dress-code aux oubliettes.Le maitre (mètre) à danser fait défaut pour ces figures anachroniques qui se baladent nonchalamment aux jardin des délices. De la haie surgissent deux arbrisseaux malins qui ne cessent de se métamorphoser, de se transformer en animaux dans ce parterre de feuilles vertes artificielles. Kitsch et drôle à la fois, ce tableau ravit: les étreintes se font électriques et lumineuses pour ce couple de charme, enjôleur à souhait. Les sculptures de plantes, buis,  en art topiaire se font vivantes et mobiles, s'adonnent à un jeu de mimétisme troublant et la haie d'honneur est endroit et place de révérences distinguées, de piqués en contrepoints, de sautillés savants, dosés à point. Quelques mouvements d'escrime , fondus en tierce pour orner le tout. Les perruques dissimulent deux visages charmants: celui de Sylvain Prunenec, petit faune désopilant au sourire naïf, serein et malicieux, le "ravi de la crèche" face à Ruth Childs, femme offerte et maline, calculatrice et séduisante. Cette danse très "plasticienne" obéit aux lois d'une mise en scène qui évoque la "carte du tendre", géographie du désir, de la reconnaissance, de l'estime: les codes de bonne conduite et de bienséance de l'époque. Danses tracées, éloquence du verbe et des paroles murmurées par la femme-mouton affublée de ce tutu de laine façonné comme les organes et membres reproducteurs... Une étreinte phosphorescente de barbe à papa glamour, savoureuse, succulente, un amour sur petit nuage duveteux, ouaté, et le tour est joué au pays de la douceur, de la tendresse.Billet doux, danse candide, retenue pour ébats érotiques de toute beauté amusante et frivole. Sans Lully, ni Rameaux sur fond de petites percussions ou de musique pop, se déroule les intrigues On se fait la chasse, la courre à cour, à jardin sans cesse et les bosquets de jouer à l'apparition-disparition comme autant de tableaux-pièges ou de décor de circonstances. Joli tableau où nos amoureux transits paradent sur la haie, bordée d'un treillis de verdure mouvante...Un cadre idyllique pour amours distinguées. On se laque à l'envi en poudre de perlimpinpin bombée sur les perruques , on se renvoie la balle au bond, ping-pong avec arbustes mouvants et les inventions fusent à l'envi. La chanson des amants de Moustaki vient au finale, couronner le tout, douce et suave comme cette odyssée précieuse, gâteau "merveilleux" saupoudré de meringue et autres douceurs sucrées. Haie d'honneur taillée dans le vif du sujet pour cartomancienne éclairée. C'est réjouissant et volage
  • Conception, chorégraphie, scénographie, costumes : Clédat & Petitpierre

  • Avec : Ruth Childs, Sylvain Prunenec, Max Ricat, Coco Petitpierre
  • Lumière : Yan Godat
  • Son : Stéphane Vecchione
Au Maillon Wacken jusqu'au 14 AVRIL
 
Couple d’artistes fusionnel, Yvan Clédat et Coco Petitpierre se sont rencontrés en 1986. Sculpteurs, performeurs, metteurs en scène, ils interrogent tour à tour l’espace d’exposition et celui de la scène à travers une œuvre protéiforme et amusée, dans laquelle les corps des deux artistes sont régulièrement mis en jeu. Leurs œuvres sont indifféremment présentées dans des centres d’arts, des musées, des festivals ou des théâtres, en France et dans une quinzaine de pays. Au Maillon, ils sont accueillis avec Helvet Underground en 2019 et Les Merveilles en juin 2021 dans le cadre du temps fort Les Narrations du futur avec le TJP CDN.

 
charlie le mindu