jeudi 15 juin 2023

"Blues Bar Belushi": un beau bar atteint de la fièvre du samedi soir par Paul Schirck et René Turquois.


 


Bienvenue au Blues Bar Belushi ! Un bar souterrain qui vous accueille pour partager la vie et l’oeuvre d’un des artistes américains les plus fous du XXème siècle. Célèbre Blues Brother, mais aussi co-créateur du Saturday Night Live, improvisateur de génie, batteur chevronné et consommateur de drogue assidu, John Belushi reste pour beaucoup comme une figure majeure des seventies. Mêlant musique live, extraits de sketchs, moments de vies intimes et pensées artistiques, Blues Bar Belushi vous propose de traverser de manière festive la vie d’un histrion haut en couleur. 

En avant donc pour un spectacle cavernicole dans la grande tradition du désormais incontournable Festival de Caves! Étape à Strasbourg dans les locaux secrets de la LISAA, cave et tréfonds de béton de l'école de design et d'architecture, hôte d'un soir,transformée en studio de répétition ou atelier de l'artiste mythique qui sera évoqué et surtout incarné par un comédien atypique, René Turquois. Une petite heure durant c'est une plongée dans l'univers tantôt burlesque, tantôt dramatique d'un artiste protéiforme, trublion de la scène musicale, théâtrale de son époque épique. Souvenirs, souvenirs...Un homme débonnaire qui se jauge, se mesure à sa propre personne, se toise et opère de petites métamorphoses esthétiques très drôles au demeurant. Devant et derrière le miroir de l'humaine condition. Un artiste émergeant puis grimpant les échelons de la célébrité, de la notoriété avec allégresse, enthousiasme mais aussi doutes et déboires...


Pas facile d'exister, alors les drogues apparaissent dans son espace-temps, d'abord euphorisantes, galvanisantes..Puis peu à peu, c'est la descente, le dégringolade. Une abeille pour ne pas avoir le bourdon, se fait sa muse, sa compagne et l'on assiste à sa métamorphose: de costume banal, classique et peu seyant on passe à un "déguisement", nouvelle carapace, nouveaux atours pour cet insecte butinant à l'envi dans le monde de l'oisiveté. "Maya" débonnaire, marcel et caleçon rayé jaune et noir, petites antennes de carnaval sur le front. Ridicule ou caricatural? Plutôt touchant et sympathique personnage volage et volatile, attachant, émouvant de par sa fragilité, son innocence feinte, sa fausse virginité...En manque de "pollen"? Ou de cocaïne, de "ligne" directrice ou éditoriale...Il sniffe sans cesse sans interdit pour se maintenir debout, jouer de la batterie, à fond, chanter, danser et virevolter, transpirant tant l'énergie déborde.

Le comédien se débat avec ce foutraque personnage, pluridimensionnel, multiforme. Un physique au poil pour incarner la déchéance lente mais sûre de cet homme défait, déçu, désenchanté qui malgré tout s'ingénie à briller et à brûler ses ailes au contact de son entourage. Il fréquente les "grands" de la scène et du cinéma sans vergogne décontracté, désopilant pantin des substances illusoires et euphorisantes, des potions magiques hallucinantes et hallucinogènes..Se saupoudre de "neige" pour exorciser le mal de cheval, joue de l'harmonica à merveille pour s'évader, se fait samouraï ou "hari-kiri" pour tenter la mort, frôler le désastre ou fustiger ses propres ennemis, bêtes noires du roman incroyable de sa vie agitée....

Il garde le cap, notre homme et se métamorphose à l'envi devant nous, dans une proximité étroite. Une quinzaine de personnes font office de "public" d'un soir de cabaret musical fait de sketches, de saynètes bien relevées, pimentées à souhait. On sirote un verre devant notre table basse comme en circonstance réelle de spectacle divertissant et rude. Un excellent moment passé en compagnie de cet escogriffe hurluberlu digne d'une BD décalée et caustique. La mise en scène, juste ce qu'il faut pour habiter un espace exigu de Paul Schirck qui avoue sa passion pour Belushi qui ne date pas d'hier! Texte, conception n'échappent pas à cet aspect incongru, fatal de l'homme à la batterie ravageuse, à l'humour décalé.  Les costumes signés Louise Yribarren au diapason de la singularité du personnage bigarré.Et Simon Pineau à la co-création musicale fait mouche et touche l'auditoire par les interstices sonores percutants de la pièce. Cavicole et performative en diable. Toute une époque en résumé, condensé, rétréci pour le meilleur d'une illustration efficace d'un univers où tout bascule dans l'overdose, la mort tragique d'une victime trop jeune pour s'éteindre à force de brûler sa vie, son corps, sa cervelle...


Une belle rencontre autour d'un verre suit la représentation: à la "santé" des défunts de ce monde truffé du substances pas toujours très catholiques...Merci à la LISAA pour oser accueillir cette "petite forme" confidentielle de si bonne humeur!

A Strasbourg, cave de la LISAA le 14 JUIN





lundi 12 juin 2023

"Kites" et "To Kingdom Come": Jalet et Van Opstal en "bonne compagnie" !

 



L’une des plus grandes compagnies de danse contemporaine s’allie à 3 chorégraphes d’exception : après
Skid, Damien Jalet propose sa nouvelle création, Kites. Imre et Marne van Opstal explorent les limites du corps et de l’esprit avec To Kingdom Come.


Kites, Damien Jalet

Après Skid, donné à Chaillot en 2019 et créé en 2017 à Göteborg, spectacle sidérant où les dix-sept danseurs de la GöterborgsOperans Danskompani évoluaient sur une pente inclinée à 34°, Damien Jalet crée Kites pour la compagnie suédoise. Pour cette nouvelle pièce, le chorégraphe franco-belge reconduit quasiment la même équipe qui a assuré le succès de Skid, avec le plasticien new-yorkais Jim Hodges aux décors et le styliste Jean-Paul Lespagnard aux costumes. La musique est cette fois signée Mark Pritchard, un proche collaborateur de Thom Yorke.
Signifiant « cerf-volant », Kites nous rappelle que la vie et la danse ne tiennent qu’à un fil délicat qu’une brise pourrait souffler. Mais son envol utilise et déjoue les forces contraires, tel l’espoir qui nous submerge et nous donne la force naturelle de résister.


Le plateau est investi par une sculpture magistrale de Jim Hodges, telle deux espaces volants, sortes de pistes de skate board ou de surf...Surgit une femme qui s'adonne à un magnifique solo, enivrant, possédé: roulades, enfilades de volutes gracieuses se fondant dans le sol, se répandant juste avant de se relever dans un rebond régénérant. L'énergie et la passion de la soliste qui l'anime sont foudroyants, captivants, fascinants. La première note est donnée pour cet opus étrange et vulnérable, touchant et parfois maladroit, tant Damien Jalet souligne et surligne son écriture à foison: après ce splendide prologue en introduction comme le début d'une odyssée à venir, d'autres personnages anonymes, de blanc vêtus comme des kimonos ou tenues d'entrainement de judo, combinaisons ouvragées de survie, s'adonnent à des ascensions, descentes effrénées de ses deux terrains de jeux: les plaques ondulées, concaves sont prétextes à des allées et venues sempiternelles qui au départ séduisent puis lassent rapidement...L'"Ascension de Mont Ventoux" ce n'est pas cela, ni l'envol de jeunes émules d'Icare, ivres de frénésies, de redites ou de répétitions.Le danger est absent, l'habitacle de cet espace singulier, très large et libre ne semble pas donner toutes ses pulsations, élans à ces créatures lâchées comme des salves dans l'espace. Le temps d'une tornade venteuse où Éole sauverait la partie en donnant des pulsations d'air ne parvient pas à gonfler les voiles de cette embarcation restée à flot...De l'air s'infiltre dans les vestes blanches qui se transforment en airbag de survie argentés...Ou bouées de sauvetage ou manchons, insignes de danger. Souffler n'est pas danser et ce gadget imparfait ferait plutôt sourire, désuet instrument de l'incapacité de l'homme à prendre son envol. Les deux hélices d'un avion échoué au sol ne peuvent évoquer la légèreté ou brièveté des vies évoquée dans cet ether évoqué. Les danseurs s'ingénient à simuler ces courses folles incessantes, glissades, surf ou autres divagations répétitives. On salue leur énergie qui dans un manque d'engagement et de détermination issus de l'écriture délayée ne parviennent pas à nous faire habiter non plus cet univers volage ou volatile, fugace ou instable à l'envi.


To Kingdom Come
, Imre et Marne van Opstal

Imre et Marne van Opstal sont frère et sœur. Ensemble, ils ont dansé principalement pour le Nederlans Dans Theater 1 et 2, et pour la Batsheva Dance Company. Ils en ont tiré un style inimitable, qui allie à la fluidité du néoclassique des éléments théâtraux, une danse viscérale et brute qui puise à des questionnements existentiels. Leur travail parle de la condition humaine, des limites et des possibilités du corps et de l’esprit. Leur nouvelle création explore la manière dont les traumatismes influencent à la fois l’individu et son environnement. Projetant les formidables danseurs de la GöteborgsOperans Danskompani dans leur monde surréaliste aux confins du réel, les entraînant dans une gestuelle instinctive, aussi physique qu’émotionnelle, cette création confirme l’excellence de la compagnie suédoise.


Un cercle magnétique fait de terre battue ou de sable comme une arène sera le second terrain de jeu de la deuxième pièce de la soirée.  Une femme s'y tient au bord de la ligne de démarcation entre le plateau et cette aire de jeu. Espace sensible qui évoquera le champ de bataille où les corps des danseurs viendront s'y lover, s'y répandre, s'y fracasser... Solo, duos ou mouvements de groupe époustouflants habitent ce cirque d'éléments minéraux instables, mouvants, accueillant ou repoussant les corps à l'envi. Pas d'esthétisme sur cette matière quasi organique qui sollicite ou répond aux investigations dansées des interprètes. Cela donne lieu à une dramaturgie savante et calculée, celle d'un désastre, d'une attente vaine d'une mère au bord du précipice de la douleur. Ou la beauté d'un duo fugace qui évoque amour, fraternité ou solidarité. Un univers étrange, émouvant s'en détache, parsemé de saynètes quasi comiques à la "danse gaga"à la Naharin , à des pieds flex et une danse de déséquilibré à la Mats Ek, toujours les bienvenues en citations ou inspirations folles. C'est dire si la danse des Von Opstal est vive, habitée, dramatique ou burlesque.. Très picturale à la Goya ou Delacroix, champs de bataille ou héros surgissant du groupe pour brandir l' étendard de la fraternité. La musique en contrepoint de Tom Visser pour rehausser l'atmosphère jamais morbide mais éclairant ce monde minéral. Les costumes au diapason.La compagnie "GoteborgsOperans Danskompani" en très "bonne compagnie" avec les deux chorégraphes inspirés, convaincants, dotés d'une "patte", dune "griffe" originale où la danse prend ses quartiers de théâtralité singulière au regard de mouvements prégnants, fluides, fugaces et volubiles. Graves et pondérés aussi dans cette logique d'évocation de tristesse, vacuité, attente ou folle désolation. Des pieds de nez burlesques en contrepoint, des mimiques ironiques et caustiques au chapitre et un vocabulaire pétri d'inventivité loquace à foison.

A La Grande Halle de la Villette avec Chaillot Théâtre National de la Danse, nomade. Du 7 au 10 JUIN

samedi 27 mai 2023

"Wakatt" : les peurs de notre époque selon Serge Aimé Coulibaly: "sans peur et sans reproche"..

 




Au Maillon Wacken présenté avec POLE-SUD, CDCN les 25 et26 Mai

Comme toujours dans ses spectacles, Serge Aimé Coulibaly se penche sur la société contemporaine, sur les conflits qui la traversent, sur la place qu’y occupe l’individu. Dans Wakatt, un mot qui signifie « notre époque », c’est plus particulièrement notre peur de l’Autre qu’il interroge dans son langage chorégraphique énergique et généreux.


À l’heure où grandissent partout les systèmes xénophobes et les réflexes identitaires, sommes-nous condamné·e·s à réagir instinctivement avec méfiance face à celui que nous ne connaissons pas ? En quoi y sommes-nous conditionné·e·s ? Accompagné·e·s par le trio du Magic Malik Orchestra, au pied d’un rocher et sur un sol organique qui rappelle la terre, les interprètes développent une chorégraphie qui emprunte autant à la tradition qu’au contemporain. Dans le droit fil de l’art engagé, mêlant l’intime et le politique, qui le caractérise, le chorégraphe belge d’origine burkinabé célèbre ici l’altérité et affirme avec force notre liberté et notre capacité à dépasser nos peurs.

Soleil en découpe sur le fond de scène, champ de bataille en ligne de mire, les corps qui jonchent le sol..Le tableau se répète et sort d'un terreau de scories noires, un homme qui n'aura de cesse que de s'ébrouer violemment, faisant voler ces morceaux ou paillettes de terre noire  volcanique: comme ces corps qui vont s'agiter devant nous plus d'une heure durant. D'abord statiques silhouettes costumées de couleurs chaudes, de vêtements d’apparat. Pour quelle cérémonie, quelle démonstration de savoir faire virtuose? Un florilège de courses, roulades, déflagrations de corps jetés dans la bataille...Mais sans émotions ni sens dans d’ennuyeuses reprises sempiternelles de gestes saccadés, mécanique infernale lancée pour ne jamais atterrir. Un rocher doré tient l'avant-scène, alors que le trio de musiciens semble envahir le plateau de décibels monocordes, lassants et sans relief. Un solo à terre, vrillé, aspergeant de débris noirs les personnages hiératiques, fait cependant mouche. Rage, révolte, soulèvement ou simple expression de solitude et de violence faite à l'autre..Car les rencontres sont teintées d'hésitation, de haine ou d'attirance malveillante: l'autre, ce "loup" pour l'homme réagit au coeur du propos comme un leitmotiv d'expression de la fuite, du recul. Possession, transes, zizanie à l'envi sur le plateau peuplé de cette horde de dix danseurs: chacun pour soi dans des battements de coeur qui ne réussissent pas à les fédérer. Un solo de chant, désarticulé au sommet du rocher comme une plainte, un appel, une rogation vaine. Un quatuor dans le silence retrouvé, roulades, sauts, bruit des pieds qui frappent le sol: on revient à de la danse primitive, primaire avec soulagement. En apnée ou à perdre haleine, les sursauts de la danse épuisent leur chapitre et le spectateur, lassé de la redondance des propos dansés. Un seul et unique moment magique quand une des danseuse , Marion Alzieu,traverse la scène à la Pina Bausch, errant, cherchant ses repères dans une gestuelle virtuose et unique de tout son corps engagé dans le mouvement qui suit les pans de sa robe... Un homme-monstre, sauvage, de carnaval costumé à la Charles Fréger fait son apparition, esquissant quelques pas maléfiques, beaucoup de personnages propulsés sur scène en mouvements communs ou singuliers, ne font pas une chorégraphie enthousiasmante... L'ascension du rocher, sa métamorphose en immense termitière mouvante sont idées reçues et "déjà vues". Transe en danse et autres gesticulations qui multiplient les points de vue pour mieux s'y perdre simultanément...Que conclure sinon que l'ennui nait de la redite et de la vacuité d'une proposition au demeurant fort généreuse et pertinente: même pas peur, même pas d'empathie avec cette tribu éclectique qui ne parvient pas à se défaire de la musique omniprésente de Magic Malik qui tient le haut du pavé sans tenir compte du quadrillage de la rue, du trottoir où se meuvent en vain les acteurs de cette fresque indigeste.L'engagement et la dynamique ne pouvant faire office de "pardon" à cet opus vivendi fait de rabâchages.

charles fréger


 

La compagnie Faso Danse Théâtre a été fondée en 2002 par Serge Aimé Coulibaly. Dans toutes ses créations, dix à ce jour, le chorégraphe burkinabé, installé à Bruxelles, explore des thèmes complexes dans le but d’impulser une véritable dynamique positive.
Son inspiration est enracinée dans la culture africaine et son art est engagé dans le besoin d'une danse contemporaine, puissante, ancrée dans l'émotion mais toujours porteuse de réflexion et d'espoir. Il a développé un processus créatif qui part du principe de la dualité. Chaque mouvement qui traverse le corps a un contraire. Chaque forme d'énergie est accompagnée d'une seconde forme. Cela amène le corps et l'esprit dans un état où l'intuition et l'urgence prennent le dessus. Son langage fort est universel,
il est invité dans le monde entier avec ses différentes créations (Nuit blanche à Ouagadougou, Kalakuta Republik, Kirina…).  

témoignages:

"Tout à fait d’accord ! J’y ai même senti une certaine paresse, de la confusion sur le sens. L’hyperlaxité de certains danseurs finit par lasser. Quelques beaux moments qui ne masquent pas l’ennui et -ce n’est que mon point de vue- des costumes  dont le sens m’a échappé mais pas la laideur.Un peu de beauté ne nuirait pas.C’est pour moi l’exemple même d’un artiste trop adulé que son succès initial oblige à un travail qui manque de temps, de recul et « d’infusion ». Le public ne s’y trompa pas et les applaudissements juste polis" .   

"Je connais en revanche très bien Magik Malik (depuis 20 ans)avec qui j’ai pu échanger car je le considère comme le virtuose actuel de la flute traversière dans le monde du jazz contemporain.Ce n’est pas seulement un musicien brillant et atypique mais également un humaniste ,je l’apprécie énormément .Je lui ai demandé en discutant « comment tu fais pour ne pas être épuisé car tu as tout donné la? Il a dit « Je le suis «  je le trouve généreux et je pense qu’avec ses musiciens ils ont largement contribué à porter en partie ce spectacle ."