jeudi 20 juillet 2023

La Danse dans le Festival IN d'Avignon : Anne Teresa De Keersmaeker, Martine Pisani, Maud Blandel et un collectif pour "Paysages partagés" : un panel subtil d'écritures singulières.


 "Exit Above" Anne Teresa de Keersmarker : le souffle en mouvement.

Avec EXIT ABOVE, Anne Teresa De Keersmaeker remonte le courant de la pop occidentale. À partir de la figure du bluesman afro-américain Robert Johnson, la chorégraphe, la compositrice-interprète Meskerem Mees, le guitariste et producteur Jean-Marie Aerts, et le danseur et guitariste Carlos Garbin nous offrent les joies et les douleurs des musiques qui nous font nous lever. Un univers inattendu pour l’immense chorégraphe belge, créatrice de la compagnie Rosas et de l’école de danse P.A.R.T.S., invitée de nombreuses fois par le Festival et qui nous propose aussi la reprise d’En Atendant cette année au cloître des Célestins… Un mouvement à partir d’une écriture simple qui conquiert dans une originalité enivrante le temps et l’espace, pour une marche à l’opposé des contraintes et des devoirs. Walking songs ou l’union de « Si tu ne peux pas le dire, chante-le » et « Si tu ne peux pas le chanter, danse-le. »

Une pièce qui sublime l'écriture musicale de la chorégraphe, encore à un tournant de son inspiration. C'est toujours une ligne dans l'espace que trace chacun des interprètes que l'on suit comme une rémanence de lumière portée par un corps dansant. Si même un soupçon de figures hip-hop semble ici émaner du corps d'un des interprète, c'est une intention particulière liée au phénomène de la tempête qui l'anime: tourbillon et tumulte, spirale ascendante pour énergie pulsionnelle. La tempête, celle de ce souffle dans un immense voile futile, transparent qui s'agite et semble comme les premières fumées de E.J.Marey, hanter l'atmosphère inquiétante. "Mouvements de l'air, Etienne-Jules Marey (1830-1904), photographe des fluides" ...Une complicité sans doute ou un hasard. Résonance musicale extrême de la danse qui répond à la présence des musiciens sur scène autant danseurs que porteur de leurs instruments. Une pièce où tout bascule à l'envi, se fond et se dilue dans l'air, se répand en autant d'instants magiques suspendus aussi aux silences. Les costumes changent dans un ravissement qui découvre les corps et l'on se prend à pénétrer cet univers de glissements progressifs du plaisir de voir s'accomplir une danse inouïe,qui renverse les corps, allume l'énergie et la fait ruisseler de l'intérieur: de marche en danse pour arpenteur des territoires spirituels inspirés qui font avancer le monde.

 


"Paysages partagés" : promenons nous dans les bois....

En fin d’après-midi et soirée, le temps d’une fin de journée dans la nature en dehors des villes et villages, spectateurs et spectatrices vont arpenter et explorer plaines et forêts à la découverte de sept propositions artistiques et autant de variations sur le paysage. Stefan Kaegi, du collectif Rimini Protokoll et Caroline Barneaud, curatrice, ont invité neuf artistes européens à partager leurs visions du paysage. Sculptures musicales, créations sonores, audio-tour chorégraphique, pique-nique détourné, pièces philosophiques créent une expérience sensorielle collective et participative intense, inventant de nouveaux chemins au cœur des éléments, pour entrer dans le paysage, s’y perdre puis s’y retrouver. Les artistes composent des paysages hors cadre, mettent les sens en éveil, prennent la mesure de l’espace et du temps, cartographient le sensible et l’invisible in situ. Ils et elles interrogent le rapport de l’humain à son environnement et tentent, l’espace d’un moment collectif, de lier nature et culture autrement pour se fondre dans la polyphonie du vivant. Pujaut sera le paysage partagé de ce projet européen.

7 pièces entre champs et forêts comme une invitation à un long parcours de 7 heures au coeur de la garrigue, en petit groupe curieux d'expérimenter toutes sortes de médium au service l'imagination de chacun des artistes convoqués à imaginer un épisode, un bivouac de cette aventure pédestre, diurne, et quasi nocturne.On navigue entre expérience musicale conduite sous casques, entre envolée sidérale au dessus du plateau par la magie de casques simulant le décollage d'un avion... Entre expérience sensorielle d'un immense groupe formé de deux rondes où l'on communique en union libre. Les étapes se succèdent dans la curiosité et l'adhésion du public "suiveur" et docile. Un pique nique extraordinaire en compagnie de Chiara Bersani et Marco D'Agostin en serait un épisode phare: en compagnie d'un danseur polyhandicapé, le chorégraphe nous invite à la cérémonie du thé partagé; les corps complices tentent la position verticale avec succès et l'audace de cette danse thérapie spectaculaire séduit, convainc que les obstacles s'abattent dans des transports en communs amoureux de mouvement et d'enthousiasme.Après la pause collective, c'est dans les vignes que Emilie Rousset en compagnie de ses interprètes livre ses pensées écologiques, perchée au loin sur des branches d'arbre en compagnie d'un animateur de cérémonie débonnaire. La pensée fuse, dénonce les aberrations des politiques internationales sur la sauvegarde de l'environnement.  Alors que fait irruption un tracteur top modèle pour l'agriculture bio des vignes. Un engin hyper sophistiqué où le viticulteur maison expose ses contradictions et paradoxes Quant au vol des alouette disparues de nos haies, c'est à la spécialiste, thèseuse de la question, érudite et passionnée que revient le clou du spectacle. Au final on donne la parole et les écrits à Dame Nature, réunis sur un grand pré pour un monologue sidérant sur nos attitudes irrespectueuse envers celle qui nous nourrit, nous inspire et que l'on foule négligemment du pied.

Pour clore l'aventure, des musiciens complices, instruments à vent en bouche bouclent la boucle: tant qu'il y a du souffle il y a de la vie...

Avec des pièces de Chiara Bersani et Marco D’Agostin, El Conde de Torrefiel, Sofia Dias et Vítor Roriz, Begüm Erciyas et Daniel Kötter, Stefan Kaegi, Ari Benjamin Meyers, Émilie Rousset 

 


"Loeil nu" de Maud Blandel : constellations rémanentes.

On dit qu’une étoile commence à mourir lorsque, ayant épuisé ses réserves d’hydrogène, elle quitte son état d’équilibre. Débute une longue phase de dégénérescence qui mènera, selon la taille de l’astre, à l’effondrement de son cœur voire à sa violente explosion. Pour cette création, la chorégraphe franco-suisse associe le phénomène astrophysique des pulsars* au souvenir sonore tragique de l’explosion du cœur de son père. En traduisant les principes de rotation, de gravité, de périodicité, L’œil nu met en jeu six danseuses et danseurs et transformera le cloître du cimetière de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon en véritable terrain d’observation. Face à un corps (stellaire, physique, collectif) qui dégénère, que perçoit-on réellement ? Plus qu’un travail de reconstitution d’un événement autobiographique, Maud Blandel joue des changements d’échelles, déjoue le tragique et met en images les fonctionnements de la mémoire : ses persistances, ses boucles autant que ses trous, ses zones d’ombre et autres inventions. 

*Formé après l’explosion du cœur d’une étoile massive, un pulsar est un objet céleste tournant sur lui-même à très grande vitesse.

 Tout commence dans le cloitre de la Chartreuse de Villeneuve par une simulation de partie de pétanque: attention des danseurs au coeur de l'arène, précision des geste de tir, de revanche, de belle autour d'un cochonnet absent. Les pieds tanqués comme il se doit. Comme autant de constellations, les boules-balles se heurtent, avancent. Métaphore d'un cosmos imaginaire où plus tard ce seront les corps qui seront les étoiles. L'obscurité, la pénombre s'éclaire ou s'épaissit, les traces des déplacements, la marche font suite, le groupe se constitue en petite meute: celle d'étoiles, de météorites, de cristaux cosmiques. La planète s'anime, les pièces du puzzle composent un agencement qui se déconstruit sans cesse.Tumulte ou masse compacte, la danse avance et Maud Blandel propose en ce lieu et à cet endroit un milieu gazeux, futile et poreux à sa guise. La force et l'engagement des interprètes que l'on frôle feront le reste.Un soir où la rencontre des éléments terrestres et humains fusionnent à foison.


"Kono atari no dokota": je me souviens....

Des relations artistiques nouées entre le performeur japonais-autrichien Michikazu Matsune et Martine Pisani, chorégraphe française accompagnée par Theo Kooijman, peintre et interprète néerlandais, est née une question : Que reste-t-il de la danse une fois le spectacle terminé ? Dans Kono atari no dokoka (Quelque part par ici), archives, souvenirs intimes, anecdotes partagées, carnets et dessins seront leurs points d’appui pour reconstituer les premières créations de la carrière de Martine Pisani. Quelque part au Japon, lieu imaginé pour la représentation… Par ici en Europe… Entre poésie à la beauté simple, humour et surtout tendresse, se recompose ce qui reste du passé pour former un présent composé.

Kono atari no dokoka est un lieu à la fois lointain et très proche, aux contours flous et pourtant familiers, un voyage à travers le temps et l’espace. D’une plage de Kobe au port de Marseille, de Paris à Vienne et ailleurs encore, une mémoire collective se tisse en filigrane des histoires personnelles.

Que voici une rencontre touchante et émouvante dans les plis de la mémoire qui se perd, se retrouve ou s'oublie délibérément. Trois complices de toujours évoquent leur vie autour de celle du pilier de la pièce: Martine Pisani en personne qui se rappelle à nous en toute humilité et modestie. Entourée de son "plasticien" compagnon de vie et d'un artiste japonais danseur épris, amoureux de son oeuvre. Il tente de raviver les mémoires qui se délient, les titres des solo ou pièces de Martine dont elle ne se souvient pas du contenu! Et réincarne sa danse à sa façon sans copie conforme ni mimétisme d'une mémoire absente. Des images de Martine qui danse, il n'y en a pas beaucoup et la voici toute jeune à l'écran qui danse comme une Trisha Brown ou Yvonne Rainer. Moment de grâce, instant réactivé d'un patrimoine chorégraphique oublié, négligé, méconnu. La question de l'archive, de la reprise se repose et ceux qui ont vécu cette "époque" n'en sortent ni nostalgiques ni conservateurs. Juste le temps de pointer que cette rencontre scénographiée à merveille sur les pans de murs de la cour de la Fondation Lambert  est un petit chef d'oeuvre d'intelligence, d'humour, de légèreté malgré la gravité du propos. Martine Pisani, assise à une table se souvient, oublie, occulte alors que la gente universitaire et institutionnelle débat avec lucidité et urgence à la protection et restitution d'un patrimoine chorégraphique. La patte, la trace de Martine est singulière, unique et non restaurable. Tout fout le camp et c'est peut-être la force de la danse: éphémère, lucide, inégalable, futile, irremplaçable Et vécue comme nulle autre par des corps dansant, pensant qui se plient mais ne cèdent pas à l'opportunisme.

 Avec Theo Kooijman, Michikazu Matsune, Martine Pisani
Conception Michikazu Matsune en dialogue avec Martine Pisani 
Basé sur les premières œuvres de Martine Pisani   

 


"En Atendant"

D’un même lieu, le cloître des Célestins, aux mêmes heures : du crépuscule à la nuit, plus de dix ans après sa création, En Atendant d’Anne Teresa De Keersmaeker nous revient. En nous proposant de revivre ou vivre pour la première fois son répertoire, la chorégraphe belge unit les musiciens de l’ensemble Cour et Cœur à ses danseurs de toujours et d’aujourd’hui. Le tissage des polyphonies de l’Ars Subtilior, apparues lors de la peste noire au XIVe siècle, à une danse qui « marche ». En Atendant signe une véritable méditation dans un espace à la fois clos et ouvert, propice à sentir et respirer. La reprise de cette pièce du répertoire de cette figure majeure de la danse offre toute son essentialité à l’heure d’une pandémie mondiale et du réchauffement climatique. Sa résonance dans cet espace alliant nature, architecture et histoire, répond par une célébration de la vie à nos inquiétudes contemporaines. Programmer En Atendant et EXIT ABOVE after the tempest lors de cette même édition fait correspondre des œuvres et leur offre la possibilité de se parler. 

Le cloitre des Célestins empli de la lumière du couchant, de la clarté du crépuscule du soir est dévolu à la danse, sans fards, sans trace de technologie, d'amplification: rien sauf de la terre battue pleine d'embuches, de souffle de vent et de cris de corneilles qui s'abattent dans les gigantesques platanes, gardiens du lieu.Une chanteuse apparait bientôt suivie d'une danseuse et le voile est levé. Ce sera un dialogue constant entre musique, danse et silences. Une ode au crépuscule, à la tombée de la nuit enchanteresse qui berce ces apparitions fugaces, ces traces de danse mouvante, spiralée. En marche, en avancées constantes, en bribes de meute, en solo, à reculons. En attendant la nuit, la danse émeut, éveille, rend attentif au monde son et les corps se couchent à terre, se relèvent à l'envi. La poussière s'ébroue, les costumes noirs, sombres se souillent de terre, les pas glissent sur le sol rugueux, obstacle ou compagnon de route. Les destins s'y croisent, la mort frôle chacun et les corneilles qui s'invitent chaque soir pour leurs retrouvailles rituelles ne gâchent rien à l'atmosphère étrange, lente et inquiétante de cette cérémonie, culte à l'obscurité. Les trois musiciens dialoguent et se fondent dans cet univers implacable où la vie est mouvement, soulèvement, résistance et aveu d'humilité.

 

Les indisciplinaires au festival IN d'Avignon 2023: vive le sujet!..... à vif: des tentatives vivantes.... Ah, ça ira, ça ira .....


Vive le sujet! Tentatives SERIE 1avec la SACD
 

"Ce qui restera secret"

Le rêve secret d’Auguste est d’être un jour chanteur dans un groupe – c’est une des raisons qui l’ont poussé vers Alex, la chanteuse du duo punk Siksa. Ensemble ils créent What will remain secret  - Ce qui restera secret : une invocation souterraine réanimant les secrets du fond de la cour de récré, ceux qui se cachent à l’orée des oreilles où ils ont été prononcés, juste sous la peau qu’ils ont fait frissonner ou entre les parcelles de terre dans lesquelles ils ont été enterrés. 

Auguste et Alex ne portent plus les prénoms qui leur ont été donnés à la naissance. Dans What will remain secret - Ce qui restera secret iels invitent leurs enfants, qui ne portent plus leurs noms, à réenchanter ou réenfanter leur corps. Iels chantent pour agiter les souvenirs et dansent pour construire des cabanes où les faire reposer. 

Ce sont deux charmantes créatures androgynes qui s'offrent à notre regard aiguisé par cette gémellité extraordinaire entre ils-elles. Deux figures de la jeune création scénographique qui déjà ont fait leur bonhomme de chemin sur les sentiers de l'âne loin des autoroutes de la scène. Auguste-le clown blanc- et Alex comme deux faunes faunesques, sobres, très malins et plein de désuétude. Deux corps souples, singuliers, filiformes, graciles et gracieux. Pour nous raconter leurs rêves, leurs ambitions avec légèreté: c'est touchant, efficace et plein de poésie , sobre et mesuré: une complicité véritable s'y développe sans gêne ni démonstration.L'empathie avec les deux personnages auteurs d'un très beau texte sur les errances de l'enfance qui accompagne la fiche de salle.Autant de naïveté, d'ingéniosité, de tendresse et de douceur à partager.

Avec Auguste de Boursetty, Alex Freiheit

 



"Ampawa"

L’apocalypse, nous l’avons déjà traversée. Plusieurs fois nous sommes morts, et inlassablement nous sommes revenus à la vie, le corps raturé par une amnésie orchestrée. Dans cet ultime rituel, ici là-même, nous devrons déchirer notre peau pour enfin retrouver le souvenir de qui nous deviendrons.

Dans une écriture reliant oralité, corporalité et musicalité, la performance nous transporte dans un entre-mondes, pour y vivre l’expérience d’une initiation libératoire.

Elle est forte et rebelle cette femme qui dialogue avec son musicien. Elle apparait empanachée, sensuelle érotique et belle dans la fulgurance d'une interprétation très incarnée. On lui doit un moment de pure sensualité, de délice partagé autant par la douleur que par le plaisir: celui de se donner entière à la cause d'une performance mêlant costumes, danse et musique avec radicalité.

Avec Daniely Francisque, Mawongany
Texte et mise en scène Daniely Francisque

 


"Occupation"

"Occupation est pensée comme un manifeste chorégraphique. Une danse qui mêle la tradition gestuelle, dansante, musicale de la culture wayuu avec une vision plus contemporaine. Une danse que documente la situation de violence et tension qui se vit dans le territoire de la Guajira en Colombie, depuis l’implantation des entreprises multinationales. Avec cette pièce nous souhaitons créer un geste témoin, une danse documentaire qui traverse la réalité et la fiction, une danse capable de se manifester, de se révolter contre les establishments d’une domination coloniale imposée au peuple wayuu encore de nos jours.   L’action de manifester nous invite à construire un espace fictionnel qui mêle les récits des habitants de la Guajira (région frontalière entre la Colombie et le Venezuela où est installé le peuple wayuu), la danse de la Yogna (rituel de passage de la jeune fille wayuu à l’adolescence), les archives organisées et compilées autour de la question de l’occupation de leur territoire et les dégâts produits par l’entreprise El Cerrejón avec l’exploitation du charbon et la privatisation de la seule rivière qui permet un accès à l’eau de la région."

Ce sont trois fantômes rouges qui surgissent des portes grandes ouvertes du fond de scène du jardin de la Vierge. Trois créatures mouvantes, sans identité qui s'avancent vers nous, menaçantes, inconnues. Très bel effet de perspective plastique, ondoyante, mystérieuse, intrigante.La culture Wayuu est présente, forte et se met en scène dans cette violente couleur dérangeante. Sanglante qui fait référence à la domination coloniale sans aucun doute. Anonyme crime et bourreaux masqués s'animent puis se dévoilent Tentative réussie d'impressionner, de faire peur et de prendre le pouvoir des images fortes qui portent en elles, sens, gravité et questionnement.
 
Avec Lazaro Benitez, Astergio Pinto, Isabel Villamil
Conception et chorégraphie Lazaro Benitez

 

 



"L'Entente"

« Je vis de tout ce que les autres ne savent pas de moi. » (Peter Handke) Extérieur nuit, à l’Ouest. Un agriculteur confie son histoire à un musicien.
Un traumatisme sonore. Un soir, le premier a perdu l'oreille. L’autre, récemment, la trace de son désir. Pourtant, cette nuit là - alors que des présences sans visage frémissent autour d’eux - les deux inconnus s’entendent avec l’acuité des premières fois.Que peut l’écoute ?
Composé d’un récit dénudé, raconté les yeux dans les yeux, et d’une musique aux fréquences acérées et à la mélancolie latente, L’entente s’offre comme une fable - en mouvements - sur la surdité, l’attention, et ce qui bruisse au fond de nous.

Un homme sauvage ça ne s'invente pas, celui qui nous hante, qui perturbe l'espace et surgit dans l'univers de deux êtres en état de corps dansant, pensant. Celui qui se glisse et tente de vivre, de survivre parmi nous comme un spectre de feuilles, d'arborescence. La pièce marque par sa dimension onirique qui vient perturber le réel et instaurer magie, surprise et empathie.Trouble et peur de l'autre qui tente de se faire apprivoiser, monstre ou chimère.

Avec Clément Gyselinck, Gabriel Legeleux (Superpoze), Blandine Rinkel
Texte et mise en scène Blandine Rinkel
Musique Superpoze
Chorégraphie Clément Gyselinck


"Jeune Mort"

Jeune mort est un récit violent, à vif. 
Le récit d’un embrasement. Le récit d’une jeunesse brisée qui ne retrouve flamme qu’à l’ultra-droite. L’histoire d’un jeune homme, nouvellement employé aux espaces verts d’une ville anciennement industrialisée, qui rencontre Frédo, un collègue avec qui il se lie d’amitié. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que Frédo est un militant politique convaincu de l’ultra-droite française.  Et lorsque, dans la colonie de vacances où travaille sa femme, la création d’un centre pour réfugiés est annoncée, tout s’emballe pour lui.  Avec Jeune mort,
Guillaume Cayet poursuit son travail à la lisière de l’écriture politique et poétique.Ici il se déploie de façon très intimiste, dans un dispositif radiophonique-live, accompagné par le compositeur musical Karam Al Zouhir, et le créateur sonore Antoine Briot ; une façon de faire parvenir la parole et l’imaginaire au plus près.  

Au coeur du récit, casque sur les oreilles le public partage le récit traumatique d'un personnage "victime" de ses convictions cruelles et démoniaques. Hélas membre d'un parti dévastateur, raciste et profondément démuni, désorienté. Pétri de convictions illégitimes au sein d'un collectif de purification, le jeune homme ira jusqu'au bout et inverse les valeurs de l'humain pour devenir auteur de crimes et méfaits. On suit son parcours ascendant dans l'horreur et le prosélytisme, haletant et suspendu au rythme de la diction et de la musique. Un moment intense de malaise autant que de radicalité politique engagée.

Avec Antoine Briot, Guillaume Cayet, Karam Al Zouhir
Texte, création radiophonique, lecture Guillaume Cayet 
Musique Karam Al Zouhir 


"Feu"

FEU est l'expérience brute d'une dépense d'énergie excessive. Un rituel d'agitation pour célébrer les élans. Avec cette proposition, Fanny Alvarez cherche l'allumage. « Il faudrait inventer des formules d’engagement à l’inverse des mises en garde affichées pour protéger les forêts, quelque chose comme : pour la suite de votre monde, pour garantir votre place dans ce monde, privilégier les consignes suivantes : nourrir le feu, alimenter le feu, prendre soin du feu ». (Martine Delvaux) 

Fanny Alvarez et ses trois collaborateurs artistiques se découvrent une curiosité réciproque, un même recul vis-à-vis des cadres et un enthousiasme à partager cet agglomérat improbable. 

Sans doute le moment le plus décalé, le plus foldingue de ces "tentatives" où les trois personnages apparaissent dans un chaos sonore et vestimentaire faisant appel au désordre, à la désobéissance. Dans un rythme endiablé, la scène se recouvre d'objets sonores, de cordes, de ficelles et d'accessoire: tambours battant et folle mécanique ahurissante. Mené par Fanny Alvarez, interprète hors pair, déployant une forme et une force physique étonnante. Un opus circassien où le risque est constant de perdre pied dans un tintamarre joyeux, omniprésent, ludique autant que catastrophique.Voltige, bascule et portés acrobatiques au poing. C'est haletant, jubilatoire, plein de punch et assuré par un rythme soutenu qui maintient en haleine.Pour le jardin de la Vierge, des agrès, des résonances, annonciation de temps troublés prémonitoires.
Avec Fanny Alvarez, Morgane Carnet, Xavier Tabard
Mise en scène Fanny Alvarez

 

 

 

 

La danse dans le Festival IN 2023 à Avignon: "The Romeo" de Trajal Harrell et "Le jardin des délices" de Philippe Quesne: que le spectacle continue: the show must go on....


"Le jardin des délices" de Philippe Quesne : paradis perdu pour arrêt de bus provisoire durant les travaux.

 Bienvenue dans Le Jardin des délices, une épopée rétrofuturiste à la rencontre des mondes à venir. Dans l’espace fantasmagorique de la Carrière de Boulbon, Philippe Quesne, créateur de La Mélancolie des dragons, La Nuit des taupes ou encore Farm fatale, retrouve le Festival pour fêter les vingt ans de sa compagnie, le Vivarium Studio. Il rassemble une équipe d’interprètes, acteurs et musiciens prêts à entreprendre un voyage dans le temps d’hier à aujourd’hui, inspiré des allégories prémonitoires du tableau de Jérôme Bosch. Le peintre flamand a décrit le bouleversement radical des repères usuels, techniques et politiques dans une époque de transition, entre Moyen Âge et Renaissance. À sa suite, entre bestiaire médiéval, science-fiction écologique et western contemporain, Le Jardin des délices explore des mondes à la lisière des nôtres, lorsque fantaisie et utopie troublent le rapport entre nature et culture et formulent une réponse ludique aux menaces en cours.

La carrière Boulbon c'est un voyage, un rituel, un événement pour le spectateur, alors on y arrive en petit bus et pas pedibus comme ces huit escogriffes qui vont animer ce plateau, cette plaque tournante pole intermodal du théâtre, de la musique, de la danse  Chacun s'ingénie deux heures durant à manifester son identité parmi les indices de l'univers de Jérôme Bosch et ça fonctionne, ça cartonne comme un bon western peuplé d'individus uniques, revanchards ou soudés à un destin burlesque, absurde, décalé, déjanté. Les corps bien identifiés dans des costumes tallés dans le vif pour mieux brouiller les pistes que l'on voudrait bien suivre pour comprendre l'intrigue. Justement c'est bien parce qu'il n'y en a pas que la dramaturgie patine joyeusement, que ça dérape et déraille à l'aise. La carrière comme un immense berceau, une cour des miracles trop grande, un XXXL démesuré pour ce petit autobus désuet, touchant qui se transforme à l'envi en cage, en studio, en navire qui divague. De la poésie, du trouble pour faire de ce spectacle un gouffre jubilatoire où le tonnerre gronde où la foudre menace où les petites fourmis que nous sommes ont des yeux de taupes et n'entrevoient rien d'une catastrophe imminente. Départ immédiat pour l'enfer, plus que le paradis perdu.


"The Roméo" de Trajal Harrell : à la mode de chez nous....

Le mythique personnage shakespearien dans la Cour d’honneur. Un prénom plus connu que celui de Juliette, plus rassembleur mais aussi plus ambigu. Grand amoureux ? Séducteur invétéré ? Il est au-delà des frontières le symbole d’un « à la vie, à la mort », adolescent et incandescent. En faisant avec le « the » un archétype, le chorégraphe et danseur nord-américain Trajal Harrell, actuellement directeur du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble, se joue des singuliers et des pluriels, des frontières nationales et culturelles. Une histoire contenue dans des danses imaginaires qui va ressusciter en nous l’archaïque, comme le désir de rêve commun. The Romeo est une Histoire de la danse qu'incarnent des interprètes de toutes origines, sexes, générations, tempéraments et humeurs. Une ode à la liberté lorsqu’ils et elles ont laissé leurs tragédies derrière eux ! Une danse, qui sait, d’avant la danse. Une danse qui convoque les imaginaires afin que ce qui est pensé impossible advienne. 

Et si le "Roméo" était simplement une danse, un rituel, un habit, un vêtement sur mesure taillé dans le vif du sujet humain, dans le sujet à vif comme une proposition chorégraphique mouvante, seyante: de la haute couture signée par un maitre à danser, un mètre à danser, toise des corps, différents, multiples, uniques? Dans la Cour d'Honneur rien de semblable jusqu'alors ne s'y était déroulé. Prise comme un podium immense, un salon clôturé par un moucharabieh aéré aux fins interstices laissant filtrer l'air, le vent dans les voiles de tous ces apparats que l'on va voir "défiler" plus d'une heure durant. Le Palais des Papes frissonne et retentit de musique nostalgique, piano à la "Diva" de J.J.Beneix dont sont empruntés quelques belles mélodies lyriques. Ils sont là, les danseurs, nous accueillent, nous attendent dans une ambiance relax. Se présentent, se prénomment. Ils existent. Et tout démarre simplement par de très beaux mouvements d'ensemble où l'on perçoit traces et empreintes de Nijinski, d'Isadora Duncan, de ceux qui ont magnifié le corps comme enveloppe, tissu, ivres de liberté, de naturel. Paradoxe que ces nymphes, frises peintes et mouvantes dans ce futur beau désordre de couleurs, de parures, de luxe et volupté. Car du voguing dépenaillé d'origine, on passe à un rituel splendide d'atours lumineux, empanachés, fouillés conduit par des danseurs aguerris à une forme de gestuelle entre mannequina dompté et mouvance sauvage. Toutes les fantaisies permises sur cet immense plateau font office de rituel sacral où l'officiant, Trajal Harrell en personne surveille, conduit, observe ses serviteurs. Comme autant de chasubles ornementées d'une cérémonie païenne agencée pour malmener les codes ecclésiastiques. La mule du Pape comme autant de chaussures aux pieds d'un piédestal érigé en manifeste de la beauté. Loin de Shakespeare cet opus décoiffe, déroute ou offusque les bien-pensants, les adeptes de recettes à la mode. Un défilé loin des Chopinot-Gaultier de l'époque où la danse se frottait à la mode pour réinventer le "costume à danser". Ici les tissus, plis et replis de sapes insensées sont chargés de désordre et d'indiscipline dans un timing furieux et envoutant. La cour s'offusque et bien tant mieux" temps mieux" disait Bagouet: l'étang du lac est asséché pour le plus pur désir de Cocteau qui stigmatisait "Le Lac"comme un étang d'art funeste. Vive le voguing même décharné de sa charge sociétale, de son impact et sens d'origine. Que le spectacle continue.