mercredi 22 novembre 2023

"Good boy": bad is beautiful..et cela ne fait pas "mauvais genre"....

 


Alain Buffard France solo création 1998, réinterprétation 2012, transmission 2023

Good Boy

Près de 25 ans après sa création à La Ménagerie de Verre à Paris, nous accueillons la reprise de Good Boy, pièce mythique d’Alain Buffard. Ce solo a marqué l’histoire de la danse et du sida en France dans les années 1990. Alors qu’il a arrêté la danse depuis sept ans, Alain Buffard fait la rencontre déterminante des chorégraphes américaines Yvonne Rainer et Anna Halprin. Il va trouver auprès d’elles la force de se reconstruire et il met en scène, dans Good Boy, la reconquête de son propre corps. Figure majeure de la scène chorégraphique française, il crée une quinzaine de pièces entre 1998 et 2013, année de son décès, toutes caractérisées par un puissant rapport au corps non normé, tout à la fois intime et politique, entre humour et tragédie. Laurence Louppe, critique d’art et historienne de la danse, décrivait l’impact de cette création avec ces mots : « Tout ce qui pouvait rattacher la danse à la représentation d’un corps classique et son intimité sentimentaliste est pulvérisé. Alain Buffard livre une vision crue de l’âpre réalité. La sexualité normée d’une société qui pensait avoir dépassé tout puritanisme est mise sur la sellette, renvoyée à la face ».

Quand la transmission opère, c'est à une chirurgie de main de maitre à danser que l'on assiste et participe. On se souvient de la passation du solo de Dominique Bagouet "F. et Stein" à Christian Bourigault et de bien d'autres "réussites" du genre. Exercice de funambule et d'équilibriste pour Christophe Ives, coaché par Matthieu Doze pour la circonstance.C’est le corps émacié d’Alain Buffard, danseur phare de la scène contemporaine, des années 80 et 90, que l’on revoit à travers celui de Christophe Ives qui reprend ici le rôle transmis par Matthieu Doze et remonté pour la première fois en 2017 au Centre national de la danse, puis en 2023 à la Ménagerie de Verre, dix ans après la mort de son créateur et interprète.Une masculinité à nu, le visage dissimulé par quatre néons, masqué, d’abord corps résistant et presque supplicié.Tel un Christ descendu de la croix ou un Saint Sébastien très pictural. En "posture vicieuse" recroquevillé comme un mourant sur sa couche. L'icône est travaillée comme pour une pause de modèle languissant, gisant au sol. Bach en musique de fond pour cette séquence du surplus, du trop plein quasi baroque, de slips qui s'amoncellent sur son sexe scotché par une bande adhésive.Spasmes du dos, d'un bras rescapé une paralysie clinique.Soubresauts de survie tétaniques, danse arachnéenne derrière une constellation d'étoiles lumineuses. Paréidolie d’attitudes avoisinant des formes étranges, inédites. Des secousses fébriles animent le corps du danseur, comme des gestes test de yoga pour ajuster des performances physiques retrouvées. Il se mesure, s'apprécie, oscule ses flancs, ses jambes comme pour une visite médicale intime dans ce décor vide, blanc clinique. Il frappe le mur où il est acculé par de petites percussions sonores de plus en plus vives sur son corps, il évalue ses sensations, ses possibilités de renaissance sensorielles, motrices. Tel une danseuse classique, il retrouve l'attitude fétiche de l'en dehors. On passe de l'intime à l'extime. Comme une danseuse classique, il prend soin de ses pieds en déroulant ses lacets de sparadrap adhésif.On passe violemment du silence à la musique, ce "good boy" qui le fait se hisser sur hauts talons, démarche de défilé de mode à l'appui. Les appuis sont malhabiles, chancelants: travesti, transformé sur aiguilles maléfiques. De ce bref rêve restera la trace du déséquilibre. La réalité se profile à nouveau, menaçante. A reculons, le danseur explore son fessier, ses cuisses et ses mains exploratrices sont des gants de velours, des caresses douces et très suggestives. Et le "tragique de répétition" de réapparaitre quand précipitamment, l'interprète se rhabille encore d'une couche de slips...Corps luttant une fois de plus contre la maladie avec des armes dont il fait des trophées : slips kangourou enfilés les uns sur les autres ; boîtes de Retrovir, le premier antirétroviral utilisé dans le traitement du VIH, en guise de talons hauts, ou des petites lampes tempête que le danseur allume et éteint tout seul. Le solo joue sur beaucoup de fibres sensibles et si la douleur, la souffrance originelle ont disparu, demeure l'émotion, la tendresse et la force du propos chorégraphique qui sans les mots en dit long sur les maux d'un fléau qui a impacté toute une génération. On en demeurera "inconsolable"...et inaccoutumés.

interprétation : Christophe Ives
Assistant à la création et transmission : Matthieu Doze
Accompagnement artistique : Fanny de Chaillé

A Pole Sud les 22 et 23 Novembre

PRÉSENTÉ DANS LE CADRE DE L’EXPOSITION « AUX TEMPS DU SIDA, ŒUVRES, RÉCITS ET ENTRELACS » DU MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN DE STRASBOURG.

dimanche 19 novembre 2023

Hanatsu Miroir: des rencontres fertiles et prometteuses pour cet "sound up n° 5"

 Tout démarre par un accueil auréolé d'une dégustation de gateaux japonais préparés par Usagiya, Maison Alsacienne de Wagashi: des petits cubes translucides fort esthétiques, moulés à couper au couteau, lignes droites, angles parfaits. Fragrances et gouts inouis, semblables à la musique de Malika Kishino que nous allons déguster. Des oreilles et des yeux, des papilles aussi !


: de


 
"Notre style de vie moderne, basé sur une technologie de pointe, nous rend la vie plus pratique, plus facile, plus rapide et notre environnement d’autant plus clinquant et trépidant. Mus par cette effervescence, nous n’accordons plus d’attention au processus. Nous n’avons plus le temps de percevoir les choses de multiples points de vue et de rechercher l’équilibre et l’harmonie.
Inspiré du célèbre essai de Jun’ichirō Tanizaki, Éloge de l’ombre 陰翳礼讃 , Shades, sept états entre l’ombre et la lumière nous montre l’importance de saisir les nuances et de rechercher la beauté dans notre vie quotidienne."

 

"SHADES"


Un spectacle multimédia comme à l'habitude pour Hanatsu Miroir. Les deux protagonistes dans une scénographie originale sont perchés en hauteur et donne le ton le "la"onirique de la soirée. La flute est volubile, acrobate, sur le fil des sons, tissant une matière sonore inédite alors que la percussion épouse ces tonalités pour engendrer une atmosphère sereine et rêveuse. Ayako Okubo sobre et habile, virtuose du souffle dans tous ses états, ses éclats, ses tenues et modulations subtiles qu'exige la partition lumineuse et solaire de Malika Kishino. Olivier Maurel, tel un chat, félin mobile et tactile aux percussions. Félins pour l'autre...L"ambiance est mystérieuse, rehaussée par les gestes et postures à terre d'une danseuse dont on perçoit à peine les contours du corps, couché au sol. Grace et volupté de mouvements ondulatoires, versatiles, ancrés dans la terre mais cependant très aériens au ressenti. Le dos est quasi nu, les plis de sa longue jupe, style plis à la Yssey Myake ou origami font office d'éventail japonais Qui se plie et se déplie au gré des sonorités, du rythme de la composition musicale Cela semble du sur mesure, haute couture pour un corps féminin en reptation et glissements très sensuels. Un partenaire, comme un corps siamois entre en scène et se fond dans sa gestuelle: créature hybride et mystérieuse qui hante le plateau et fait corps avec le duo de musiciens compères et complices de cette fable épique. Fantastique et parfaite représentation de rêves éveillés qui donnent le frisson. Comme un insecte rampant, une mante religieuse casquée de noire, un coléoptère bizarre, inquiétant. Noéllie Poulain et Yon Costes, interprètes idéaux pour un adage poétique et très séduisant. Danse arachnéenne sans nul doute.Yurei ou Yokai de toute beauté!


Les lumières et images vidéo végétales enveloppant le tout pour un état de fébrilité fragile et spectrale: "shades" comme les ombres portées dans la grotte de Platon.
L’allégorie de la caverne est une allégorie exposée par Platon dans La République. Elle expose en termes imagés les conditions d'accession de l'humain à la connaissance du Bien, au sens métaphysique du terme, ainsi que la transmission de cette connaissance. Images en ombres "chinoises" à travers des panneaux tendus, icônes éphémères d'un temps absent, de la pertes de la carnation, de la chair: celle de la muse Echo qui s'efface, disparait peu à peu pour laisser la rémanence de la voix, du son, des percussions.

Spectres, fantômes, ectoplasmes, bienvenus dans le monde de Malika Kishino, ravie ce soir là de voir son oeuvre incarnée et vivante.

Malika Kishino, composition | Noëllie Poulain, chorégraphie et danse | Yon Costes, danse | Ayako Okubo, flûtes | Olivier Maurel, percussions | Raphaël Siefert, lumière et vidéo. 

Puis changement d'espace pour un spectacle inédit, à l'arrache à l'issue de cette création:
Concert hommage à Kaija Saariaho
Duo Haelim Lee et Gayané Movsisyan et Louis Siracursa

[Duo vocale] [electro fusion] [contrebasse] [espace cabaret] tout public

Accueillir le duo vocale Haelim Lee (soprano) et Gayané Movsisyan (mezzo)est un vrai bonheur: une formule inédite à l'occasion de cette soirée où les rencontres sont décidément de mise et de bon aloi!.
Elles proposent From the Grammar of Dreams de Kaija Saariaho.
~D’après le livre de Sylvia Palth. Textes forts et qui traitent de la mort et de la vie…
"S’échapper dans la folie, destruction et combats contre…Le cauchemar finit dans la lumière du jour et de la vie". Il faut les entendre, les sentir dans cette proximité de mise en espace où les deux chanteuses se positionnent parmi le public. Debout, solides interface d'une composition vocale extra-ordinaire. La pureté des voix, leur ampleur et chaleur se déploient à l'envi et résonne comme des phares solaires dans ce lieu, cet endroit, ce milieu où il fait bon écouter et se laisser surprendre. Tout de noir vêtues, les deux chanteuses excellent dans ce répertoire virtuose et sur le fil des tonalités inouïes et troublantes.
Le programme fut complété par Folia, toujours de Kaija Saariaho pour contrebasse et électronique, interprété par Louis Siracusa-Schneider. Puis,le tout dans une rencontre avec le duo Ppaulus & frère qui processe à sa manière, à cet ensemble de pièces.Pour interpréter une pièce de Scelsi. Du jamais entendu que cette doublure architecturale de son live et charnel, alliés aux sonorités et atmosphères de l'électroacoustique. Un assemblage, une alliance, un alliage tectonique et percutant comme pour un bon vin: des cépages qui se marient pour créer une nouvelle formule: voix et électroacoustique qui s'écoutent, modulent ton et volume sonore, cède la place à chacun ou fonctionne en osmose…

Puis au tour de  PPAULUS & FRÈRE, une alliance par les câbles, le signal audio et les pics de tension: un[electro set] tout public réjouissant pour clore le cycle de découvertes de cette soirée exploratoire et conviviale: à l'image du duo protéiforme, Hanatsu Miroir.

Lovemusic fait son "plastic love" avec Santiago Diez Fischer: "c'est l''plactic qu'ils préfèrent" ....

 

plastic love | Santiago Díez Fischer & lovemusic Album release party

  •   Manufacture des tabacs (map)

"Venez fêter avec nous la sortie de notre premier album: plastic love lovemusic & Santiago Díez Fischer le 18 novembre à 18h à la manufacture des tabacs à Strasbourg, récemment rénovée, en compagnie de nos amis du festival Exhibitronic pour partager un verre lors de l'Happy Hour et explorer l'univers sonore expérimental et éclectique de Santiago".

Plastic love retrace 5 ans de relation artistique en parfaite symbiose avec Santiago Díez Fischer. L'album met en lumière la nature souple et organique de notre processus créatif, se concentrant sur une entité artistique plutôt que sur une collection de morceaux. Il présente trois œuvres commandées par lovemusic, entrecoupées d'Intermezzi coécrits par lovemusic et Santiago, offrant des aperçus de notre univers sonore commun en tant que forces collectives. Enregistré à GRAME à Lyon, l'album capture la qualité unique et constamment changeante de la musique de Santiago, privilégiant la documentation à la production studio. Il témoigne de notre amitié artistique et reflète l'évolution du monde sonore de Santiago.

Cette soirée fut l’occasion pour lovemusic de présenter plastic love, leur dernière production discographique, fruit d’une collaboration de cinq ans avec le compositeur argentin Santiago Díez Fischer, qui a composé un cycle de pièces pour six instrumentistes laissant une part importante à la spontanéité

 Quel beau et solide compagnonnage que cette rencontre fertile et prolixe entre un ensemble et un auteur-compositeur. Fidélité, audace et complicité pour ces artistes porte drapeau de la musique d'aujourd'hui. La soirée "inaugurale" débute avec l'un des morceau enregistré sur le CD. someone will remember us Violoncelle, flûte , guitare et saxophone dans une partition "préparée" pour donner du son, des tonalités inouïes à des mesures complexes qui s'emboitent et laissent un parfum de surprise, de douceur tenue à l'opus. Dans une scénographie simple, sobre , du plastique froissée en sculpture fantasques, éclairées pour sculpter des corps alanguis, des formes hybrides qui se marient et s'allient aux costumes. Gilet plastique transparent pour Adam Starkie, chaussures transparentes pour Emilio Gavito, robe légère et dos nu pour Lola Malique.Lumières fluorescentes sur les colonnes, piliers de la salle de la Manufacture des Tabacs. Suit l'emblématique "plastic love", joué et rejoué moultes fois mais donc la ré-écoute est toujours bénéfique. Les musiciens au diapason d'une écoute réciproque fort intuitive pour exécuter cette oeuvre phare qui n'a pas pris une seule ride. Les sons sourdent de sources inconnues, se mêlent, se déforment et un bréviaire musical de style de Santiago Diez Fischer se compose à l'audition précieuse et concentrée du public réuni autour des musiciens. La lumière et les costumes brillants réverbérant les vibrations des instruments, réunis pour des trouvailles sonores inédites.L'électroacoustique comme une couche enveloppante, rehaussant les effets de saturation ou de développement des tonalités qui se chevauchent. Dernier morceau de la "démonstration" du soir pour honorer la musique transcendante de cette récollection unique des pièces et morceaux d'une oeuvre qui comptera dans le glossaire et le catalogue raisonnée de la musique contemporaine! "De toutes les matières, c'est le plastic qu'ils préfèrent" !

Et le CD de ne pas céder à la morosité dans un design dépouillé, signé Emiliano Gavito pour le logo et les visuels.... Lea Legros Pontal pour le graphisme spectral de la pochette. Des distorsions plaintives de la guitare électrique sur someone will remember us à la pièce qui donne son titre au CD – alliance étrange et sublime entre les instruments et des… boîtes en plastique qui s’amusent à s’imiter, – le disque se révèle passionnant dans sa quête de sonorités organiques nouvelles.

 Emiliano Gavito - flute
Niamh Dell Bradbury - hautbois
Adam Starkie - clarinette
Léa Legros Pontal - alto
Lola Malique - violoncelle
Christian Lozano Sedano - guitare
Finbar Hosie - electronique

Santiago Diez Fischer - composition

lovemusic est un collectif de musiciens spécialisés dans la création basé à Strasbourg. Nourri des goûts éclectiques de ses membres, le processus créatif de lovemusic célèbre la multiplicité des esthétiques que la création musicale contemporaine peut offrir (travail avec la vidéo, lumière et scénographie), et a la particularité de toujours jouer sans chef, ce qui crée des liens intimes entre les musiciens•nes mais aussi une connexion active et passionnante avec le public. Lovemusic travaille à une plus grande représentation et visibilité de toutes les diversités, ainsi nous nous efforçons de choisir nos programmes en tenant compte des origines ethniques, des genres et des identités sexuelles, en créant un univers de travail et de création sûr et inclusif.
Cette soirée sera l’occasion pour lovemusic de présenter plastic love, leur dernière production discographique, fruit d’une collaboration de cinq ans avec le compositeur argentin Santiago Díez Fischer, qui a composé un cycle de pièces pour six instrumentistes laissant une part importante à la spontanéité.
 

archives

Et pour clore en beauté plastique et esthétique, voici le fameux et attendu "plastic love" signé Santiago Diez Fischer.
Sur un dispositif de deux cubes lumineux, deux archets reposent; les interprètes, glamour, chaussettes roses, tee shirt transparent ajouré vont faire partie du voyage.Un écran vidéo diffuse de beaux ébats de bans de poissons fluorescents, feux follets égaux aux sonorités conduites par les instruments. Le son se fait lumières et couleurs: "limelight" ou lumières de la ville: c'est beau une ville la nuit dans ce contexte sonore bigarré: un archet grince, comme un son de poulie; l'amplification artificielle opère pour des bruits citadins en registres multiples. Le tout dans une ambiance, atmosphère secrète d'un paysage ouvert, presqu'ile de cette magnifique carte maritime, icône du concert, carte de navigation où l'on traverse ces "villes invisibles" au radar de l'intuition sonore.