jeudi 22 février 2024

"Only" ......you my body ! Les percu, sans percu c'est de la bombe corporelle, de l'agitation, des secouses telluriques, du remous tectonique

 


JEUDI 22 FÉVRIER 2024, 20H, THÉÂTRE DE HAUTEPIERRE, STRASBOURG

L’ensemble présente ONLY, nouveau programme constitué de quatre nouvelles oeuvres sans instrument de percussions, imaginées par les compositrices Agata Zubel, Yijoo Hwang et la chorégraphe Noémie Ettlin. Nous poursuivons l’exploration et l’expérimentation autour du corps, élément indispensable aux percussionnistes dont le geste mène à l’impact. Comment repenser le mouvement des corps dans la musique percussive ?

Spray (2024), Agata Zubel – création*
Désordre (2024), Yijoo Hwang – création

Banquise (2024), Noémie Ettlin – création


Dans Désordres, Yijoo Hwang s’inspire de textes philosophiques pour évoquer la solitude et la difficulté à ne pas être perturbé par les injonctions continuelles qui nous entourent, qui génèrent du stress et peuvent même nous mener au burn-out. Expression de ce qui traverse l’humain, les interprètes de la pièce brisent des murs invisibles, impliquant directement le public dans sa réflexion, dans une quête d’apaisement. Pièce pour gestes et cris, Désordre
agite le public.  

Ils sont trois sur le plateau dans le "plus simple appareil", leur corps. Frottements, glissements sur le tissus de leur vêtement, brèves percussions corporelles en alternance. Au coeur du trio, le rythme est soutenu, tendu comme une danse flamenco, un écho, des ricochets entre les trois interprètes. Précipités et accélérations, volées de petits bruits crissants au final dans le noir. C'est troublant et si des cris, des toux successives parviennent du public, complice de ces "percussions naturelles organiques", c'est pour mieux rendre la salle participative, intrusive dans le processus de création live.


Spr
ay d’Agata Zubel est une œuvre sonore pour bombes de spray, où les sons produits par les bombes interagissent directement avec l’espace visuel du.de la spectateur.rice sur de grandes toiles disposées sur le plateau. Spray
est un acte performatif mélangeant travail rythmique et recherche plastique. 

En bleu de travail, de dos, voici les tagueurs de la soirée, peintres "sauvages" à la sauvette des cités urbaines. Des "bombes" en quelque sorte que ces travailleurs de l'obscurité. Ca spritze à l'envi comme un sprite pétillant de sons incongrus.Toiles blanches pour mieux tracer en formes ovoïdes de couleur verte, puis traces de bleu pour ces graffeurs de sons.Les pinceaux sont des balais de percussionnistes pour un ballet de gestes synchrones, chorus ou alternance rythmée de mouvements. Les sons dérapent, glissent, frottent la toile et des compositions singulières très colorées jaillissent comme des partitions écrites sur le vif, in situ. Les bombes deviennent maracas.Un balayage des toiles sonore fort impressionnent. Des nymphéas pastel sur six chevalets alignés. La scénographie est originale. Encore une touche de rose, un étalage de couleurs et de matière à l'aide de planches et le tour est joué. Du jaune en bavures et coulures à l'aide de papier. Des techniques picturales pour écrire des sons et bruitages inédits. L'expérience est probante et chacun observe, évalue son oeuvre, son résultat, laissant une exposition de six toiles inédites. A quant la vente aux enchères chez Artcurial?


Enfin, tel un commando de pingouins œuvrant à une ferveur commune, régi par une rythmicité intrinsèque et intransigeante, les six interprètes de Banquise exécuteront les missions organisées par la chorégraphe Noémie Ettlin. Cette oeuvre, sans musique, met en mouvement les percussionnistes de manière coordonnée et absurde, au travers un exigent travail sur la rigidité, la rapidité et la précision.


La marche des empereurs sur la banquise

Après un fracas de tempête extérieure et l'apparition de volumes simulant la banquise, six musiciens-danseurs en tenue grise et noire, pieds nus: le corps pour seul instrument. De dos, animés de petites secousses et balancements, puis dans l'espace en mouvements lents, retenus. Entrée en matière de danse pour ce groupe, soudé, à l'écoute. Sculpture mouvante et bruits. Souffles à l'appui. Les visages s'animent dans des directions variables, comme des pantins animés d'une démarche singulière et rythmée, voici les pingouins. Les mains croisées joliment sur le ventre. Sons de sumos, de combat entre le Dieu tonnerre "Takemikazuchi" et le dieu du vent "Takeminakata",d'animaux divers en ricochet ou canon. Telles des mécaniques, joueurs et animés de tempi, nos six danseurs habitent les percussions avec aisance et musicalité. Un porté pour contrer la pesanteur, des roulades et une chaine de corps au sol pour défier les alignements conventionnels. Jeux de pieds, d'aller et retour à quatre pattes. Tout est bon pour percuter, sonoriser l'espace en toute simplicité. Un chant jingle pour chorale et nos pingouins disparaissent, petites créatures en émoi.


Le concert "Only" prouve une fois de plus que le groupe des Percussions de Strasbourg, cherche, trouve et inaugure des formes musicales sans pareil.Un concert sans percussions et c'est la révolution de 1917 comme "Feu d'Artifice" le ballet de lumières sans danseur de Giacomo Balla et Stravinsky...

 

mercredi 21 février 2024

"Ca va bien se passer j'espère" : les trois coups du brigadier. Avis de Passage à l'acte de Robert Bouvier.

 


This is Robert Bouvier, ze directeur euh directOr of ze théâtre de... Newcastle !

« Robert : Je ne vais jamais faire illusion. Ils voient très bien que je suis le directeur du théâtre et non pas le prince Siegfried. Madame Huguenin a vraiment l’air déçue, elle se réjouissait tellement de voir le Lac des Cygnes. Pas sûr qu’elle reprenne un abonnement la saison prochaine. Essayons quelques pas chassés. Ça a l’air de mieux marcher… »

Robert, le directeur du théâtre, décide de monter sur scène en attendant l’arrivée de la compagnie retenue à la douane pour un problème de visa. Rien ne doit gâcher la première de ce spectacle tant attendu par son cher public. Fidèle public d’un théâtre qu’il dirige depuis plus de vingt ans, bravant courageusement les pannes de billetteries, les lubies d’artistes, l’inconstance des sponsors, les exigences des élus. Alors pas question de ne pas lever le rideau ce soir ! N’est-il pas acteur avant tout ?

Il rêvait d’accueillir la grande troupe de ballet du Kirov et le voici contraint d'être le Prince Siegfried dans le Lac des Cygnes, car ô malheur, la troupe est en retard et le directeur du théâtre se voit dans l'obligation de nous faire patienter: le temps d'une représentation fabriquée de toutes pièces devant nous. L'occasion de faire taire Tchaïkovski, d'assécher le Lac pour plonger dans son histoire personnelle d'apprenti comédien. Il n'y a pas d'eau dans la piscine et voilà Robert Bouvier dans un passage à l'acte pas simple. Auto fiction, autobiographie autosuffisance ou narcissisme? Dans un passage à tabac, le voici qui vitupère et démolit gentiment son univers, son monde d'investigation: de comédien, figurant et acteur de cinéma, il décrit, commente, ironise sur la gente artistique que pourtant il dévore des yeux. Son monde, celui de Gérard Philippe qu'il adule, son rêve jouer Lorenzaccio.. Il passe par tous les genres, les rôles, endosse une centaine de personnages célèbres qui ont accompagné sa carrière. Avec enthousiasme, sincérité et verve linguistique. 


Quelques jolis jeux de mots, des situations , répliques et réparties cocasses à propos des uns et des autres que l'on ne citera pas ici. Mis en scène par sa cousine, danseuse et chorégraphe de la "Nouvelle Danse en France" dans les années 1980, Joelle Bouvier, il arpente, sillonne le plateau, déambule, et s'adresse à nous naturel, quelque peu cabotin. Flagornerie et drôlerie pour ce "Directeur du Théâtre du Passage" à Neuchatel. Direction qu'il quittera en 2025 après de bons et loyaux services: servir et flatter les édiles, les spectateurs, la critique et tout le bataclan. Une vie de "chien" bien fertile et cocasse que la sienne. Un peu d'un autre temps cependant...Avis de passage à l'acte pour ce passeur de farces théâtrales et autres chausse- trappes acidulées. Ça s'est bien passé comme convenu et l'on passe au parler "plat" en Suisse avec son accent si délicat. En coulisse ça jase et le passage à niveau se referme sur ce pamphlet bien mené de main de maitre.

"Cette aventure avec Robert fut merveilleuse. Un moment de joie, de rires, de gravité aussi, mais toujours dans la douceur de notre tendresse. " Joelle Bouvier "Là encore le travail est très joyeux". 

À la ville, Robert Bouvier est directeur de théâtre, metteur en scène et acteur pour de vrai. À la scène, il manipule comme personne le récit éclaté, le regard croisé, la mise en abyme, l’humour décalé et l’autodérision dans une création inédite et croustillante qui passe sur le grill sa carrière artistique et les aléas d’un directeur toujours prêt à mouiller sa chemise pour que le spectacle continue… Alors ça va jouer !


Distribution

de Robert Bouvier, Joëlle Bouvier, Simon Romang Mise en scène Joëlle Bouvier, Simon Romang
Compagnie du Passage
, Neuchâtel (Suisse) Avec Robert Bouvier

Lumières Pascal Di Mito Musique et univers sonore Matthias Yannis Babey Musique originale Lucas Warin Costumes Faustine Brenier Décor et accessoires Yvan Schlatter Régie générale Pascal Di Mito Production et diffusion Sandrine Galtier-Gauthey Administration Danielle Junod

La Compagnie du Passage est subventionnée par le Service de la culture du Canton de Neuchâtel, la Direction de la culture de la ville de Neuchâtel, le Syndicat intercommunal du Théâtre régional de Neuchâtel.

Au TAPS SCALA jusqu'au 22 Février

"Almataha": manipulations de rêve. Kleist en émoi

 


Brahim Bouchelaghem
Cie Zahrbat France 3 danseurs + 1 marionnette création 2021

Almataha


Brahim Bouchelaghem, chorégraphe de la compagnie Zahrbat et grande figure de la danse hip-hop et Denis Bonnetier, directeur artistique de la compagnie de marionnettes Zapoï, se sont associés pour créer un monde imaginaire inspiré des mythes grecs du Minotaure ou d’Icare. Véritable voyage initiatique, trois danseurs accompagnent la marionnette Shorty – moins d’un mètre de haut – dans sa quête d’identité et guident le petit héros dans le labyrinthe de ses pensées pour éprouver et faire naître au fur et à mesure les plus beaux des sentiments, l’amour et la fraternité.
Avec délicatesse et prouesse technique, les danseurs donnent vie à une marionnette plus vraie que nature dans ses gestes et totalement crédible dans ces passages dansés. La danse hip-hop incarnée dans un personnage par nature inanimé révèle à la fois la magie et l’empathie des interprètes. Un spectacle familial totalement touchant.


"Étant donné que, dans la marionnette, l'âme et le mouvement des membres sont un, la marionnette est  le « symbole de la nature humaine idéale ». Extrait de  "Sur le théâtre de marionnettes" de Kleist. Alors quoi de plus naturel que de voir d'animer sous les doigts de soi disant "manipulateurs" un petit corps cartonné de dimension réduite. Un personnage à part entière qui se réveille, fait ses exercices quotidiens dans son intimité, à vue. Perché sur des blocs amovibles, constructions changeantes au gré des séquences qui se succèdent. On est touché par cette énergie qui pulse, petit corps perméable imprégné de grâce, poreux à chaque pulsation des mains qui le font se mouvoir. Mains et bras de danseurs de hip-hop donc de corps aguerris au rythme, à la faculté de créer du mouvement sans limite ni obstacle au passage de flux énergétiques. Histoire de Minautore gardant la grotte mystérieuse de la Mythologie de référence. L"atmosphère, sombre, opaque désigne les silhouettes, fait apparaitre dans la lumière la marionnette qui se dessine, bouge, se meut gracieusement dans une rare qualité de fluidité. Des nuages comme décor, la mer comme surface de navigation dans une séquence onirique où Shorty navigue sur sa barque oubien s'élève sur un croissant de lune. Les trois danseurs mimétisent avec cette créature qui leur enseigne l'art du bougé hip-hop en miroir. Ils sont eux malgré tout ficelé à des amarres, cordons qui les empêchent, les entravent dans leur mouvement, mais au profit d'un autre style de mouvance. Trois hip hopeurs bien "couronnés", aptes à adopter ou se faire adopter par un corps-objet inanimé: lui rendant âme et énergie.
Marionnette et danse pour explorer les traces de la mythologie avec humour, délicatesse, tendresse et talent étonnant. L'histoire est simple, toute en objet décrite, incarnée, explorée pour rendre tangible un univers fondateur. Voyage initiatique fort bien conduit et organiser pour faire décoller dans l'imaginaire, autant cette marionnette manipulée par trois danseurs hip-hop, où bercée par un french cancan de vaches suisses, délicieuse touche d'humour sanglant dans cette atmosphère tendre et romanesque à souhait.
 
 A Pole Sud le 21 Février