mardi 12 novembre 2024

"On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie" Éric Feldman, Olivier Veillon, complices!


 Et si Freud avait été le psy d’Hitler ? Le mal absolu aurait-il pu être évité ? Dans ce « stand-up d’art et d’essai, conférence et confidence, mi idiot mi intello », Éric Feldman explore avec humour et gravité les traumatismes des enfants cachés survivants de la Shoah : ses propres parents, oncles et tantes. Sur le fil d’un mystère qu’on se prend à vouloir résoudre, le texte nous plonge dans un tourbillon de pensées, d’émotions, de rires et de souvenirs aux accents Yiddish. On croise tonton Gilbert et tonton Lucien, le grand écrivain Isaac Bashevis Singer, Milosh le chat d’Éric, et on pense aux grandes figures des comediens juifs new-yorkais. Une autofiction plus auto que fiction pour dépasser son histoire personnelle, toucher le cœur des gens et célébrer la joie d’être vivant. 


Seul et avec nous, toujours durant ce solo inédit, Eric Feldman se révèle compagnon le temps du spectacle de tout un chacun. Avec sobriété, discrétion, modestie et autre trait de caractère pudique lié au sujet, le voici immergé dans un bain de judaïsme salvateur, tonique et très respectueux. Dans une ambiance cosy sur fond de jazz, on se détend, on se rend "disponible" en respirant à fond, expirant les mauvaises humeurs ou mauvais sentiments, inspirant les bonnes ondes. Très "zen" et empathique personnage. Assis dans un fauteuil léger où l'on ne peut pas "se vautrer", il met en abime, fait parenthèse sur parenthèses, digressions sur digression pour le meilleur d'un texte captivant, enrobant, inquiétant parfois.Du traumatisme de la Shoah sur les générations de survivants, le comédien fait auto fiction, acte d'aveux universels, de blessures ou secrets de famille révélés. Effets souvent très drôles, décalés, jubilatoires, poignants selon le point de vue, l'angle d'attaque, la cible visée. Hitler après l'amour, c'est pas si bizarre que cela, 


Et Freud dans le même bateau, pourquoi pas! En "équilibre" sur sa petite chaise, très à l'aise, le nez dans le guidon, il est possible de rire de tout quand on est impliqué, dans le bain, concerné. Et si les analystes semblent être souvent visé, c'est pour le bien qu'ils ont opéré auprès de notre héros qui ne s'en cache pas.La vérité, rien que la vérité au bout de cette langue bien pendue et jamais de bois. Ce strand-up très "pensé" est un bijou du genre et jamais on ne se lasse d'écouter cette verve textuelle pleine de charme, de surprises, de rebonds. Rebondissements fulgurants lors d'une danse de pantin articulé, très "cancan" malgré lui, sans frou-frou! Le yiddish au poing sur un fond obscur pour clamer la vie, la joie, la musique, la danse: thérapie en solitaire partagée par le groupe de spectateurs qui en bénéficie au passage et sort soulagé comme à l'issue d'une bonne confession. Histoire de partager le pain en bonne cum panis! Et sans "pied tanqué"!

Au TNS jusqu'au 22 Novembre

samedi 9 novembre 2024

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG & PAUL LAY TRIO DIRECTION WAYNE MARSHALL : une musique enthousiasmante

 


Pianiste aussi brillant qu’érudit, Paul Lay a pris l’habitude de faire entendre sa propre voix par le truchement de projets originaux confrontant notre modernité à de grandes figures du passé. A la tête de son trio et accompagné par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Wayne Marshall, c’est cette fois au grand compositeur américain George Gershwin que Paul Lay rend hommage en proposant sa propre version de la célèbre pièce concertante Rhapsody in Blue ainsi que de quelques standards orchestrés par ses soins. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg mettra ensuite en lumière le caractère visionnaire de deux pièces signées Kurt Weill (Symphonic Nocturne de Lady in the Dark) et Leonard Bernstein (Fancy Free) jetant également à leurs façons quelques passerelles inédites entre l’énergie du jazz et la sophistication de la musique symphonique occidentale.

 

photo Teona Goreci

Programme

• Première partie – Orchestre philharmonique de Strasbourg & Paul Lay trio

George Gershwin
- Rhapsody in Blue, orch. F. Grofé, 1942. Un chef d'oeuvre en matière de musicalité joyeuse, sensuelle, provocante et lumineuse. L'Orchestre semble jubiler, galvanisé par des sons clairs, enjoués. Tout chavire, balance, tangue et se fond dans une atmosphère radieuse. Ces moments de partage avec une salle comble et comblée par tant de talent et d'interprétation habitée, sentie, sont de l'ordre du miracle. Alors Gerschwin , on adore et sans se lasser, on se laisse aller à une écoute ravie et un enthousiasme non dissimulé.
- "Nice Work if You Can Get it et "It Ain't Necessarily So":deux Standards arrangés par Paul Lay laissent à l'interprète de génie une large marge pianistique d'envergure pour donner le frisson, aller au devant de toute attente musicale dans le plus grand respect de la partition d'origine. Et les deux rappels fulgurants nous enchantent par leur inventivité et l'audace du chef d'orchestre de se joindre en duo d'improvisation avec ce pianiste hors pair. Wayne Marshall et Paul Lay au diapason pour une interprétation aux anges, décrochant la lune de l'audace et de l'inventivité. Une façon de se rejoindre en compagnie des membres de l'Orchestre et du contrebassiste Clemens van der FeEn et du batteur Donald Kontomanou.

photo teora goreci


• Deuxième partie – Orchestre philharmonique de Strasbourg 

Kurt Weill
Symphonic Nocturne de Lady in the Dark, arr. R.R. Bennett

Que du bonheur à l’écoute d'un monument solide et vertueux de la musique américaine. Contrasté, entre volumes sonores puissants et discrète intervention de solistes dans les vents, cuivres et bois, cette oeuvre questionne les harmoniques et les divergences musicales au sein d'un tout remarquablement composé, vif, entrainant, burlesque et fantaisiste. Une ambiance et atmosphère de fête s'en dégage, salvatrice et bienfaisante.

Leonard Bernstein
Fancy Free, suite de ballet. Alors ici, on danse, swingue, allègrement au choeur de la musique chaleureuse et enivrante. . En fermant les yeux, c'est à Jerôme Robbins que l'on songe avec ses marins bondissants et sa verve chorégraphique. Un ballet "concertant" c'est original et plein de nostalgie!


Au PMC le 8 NOVEMBRE



En coproduction et coréalisation avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg

Soirée d'ouverture DU FESTIVAL JAZZDOR parrainée par la Ville de Strasbourg
 

FR + GB + NL + US
Orchestre philharmonique de Strasbourg | Wayne Marshall direction | Paul Lay piano | Clemens van der Feen contrebasse | Donald Kontomanou batterie 
 

 

mercredi 6 novembre 2024

"Inconditionnelles" ; s'lamenter en édulchorégraphie.

 


Chess et Serena s’aiment. Malgré les règles et les interdictions de cette prison pour femmes où elles partagent la même cellule, elles se sont trouvées, confiées et ont atténué leurs peines. Mais le jour où Serena apprend qu’elle va être libérée, comment continuer à vivre séparées l’une de l’autre ? Dorothée Munyaneza s’empare de cette pièce bouleversante de Kae Tempest dont elle signe la traduction française. La langue et les chansons originales du poète rencontrent le mouvement et le regard de la chorégraphe pour nous emporter dans une histoire d’amour et d’amitié où pulse la possibilité d’être libre, d’être soi, sans condition.  


Deux femmes, complices, soeurs ou fratrie, amantes, amies...Le cadre est celui d'une cellule plutôt "ouverte", celle d'une prison où elles purgent une peine. Noires de peau, sororité renforcée par la taille, le costume, style de salopette de travail très designée. Le dialogue s’instaure quasi joyeux, plein de verve et de questionnement. Le sort de l'une sera la rédemption par la musique. Elle est "choisie" pour ses potentialités vocales et physiques. Par une pédagogue vivace, sorte de musicothérapeute,un tantinet caricaturale munie de sa valise pédagogique : une boite à rythme de moindre qualité qui déverse des syncopes faciles. C'est cela que lui propose cette femme aux cheveux blancs fabuleux, elle aussi en tenue de labeur. Censée redonner confiance en elle à la belle prisonnière, cette "geôlière" fait office de prêtre salvateur; libérateur. Mais celle ci se cabre, se rebiffe et n'accepte que dans sa clandestinité le deal. Jouer, chanter dans le noir et l'obscurité pour masquer des imperfections liées à son "ignorance" de la grande musique, ou solfège. La pédagogue s'entête à lui faire passer le message de résilience. Sa compagne, amie, amante l'encourage, la stimule et au bout du compte,  quasi deux heures de représentation durant, elle nous délivre un show vocal plus ou moins convaincant. Le slam est un art difficile, rythme et battements du corps, du coeur, des cordes vocales, du palais et cela ne s'invente pas.


Les deux protagonistes bougent, dansent, se meuvent sous la direction avisée de la chorégraphe Dorothée Munyazena qui s'empare également de la traduction des textes de Kae Tempest. Le décor judicieux préfigure le monde carcéral avec de longs pendrillons qui peuvent dissimuler les gardiennes du temple, comme des "jalousies", des stores où le son passe au travers. Au sol, un damier qui se délite, désignant un espace quadrillé, scandé, géométrique oppressant. Une marelle qui ne conduit pas au ciel...Grilles et enfermement dans les pas, transcendée par la danse qui échappe à cet espace restreint.Pas de secret ici, tout est filtré et retenu et la narration entraine dans une temporalité, unité de lieu, de temps qui frôle le drame. Mais la survie est assurée par la musique qui redonne des ailes à l'oiseau prisonnier dans sa cage pas vraiment dorée.Les comédiennes au plateau flattant cette langue édulcorée avec grâce et volonté, détermination et engagement.Au sol puis en bandes suspendues, les textes manuscrits des chansons, comme autant de dazibaos...

Sondos Belhassen, Bwanga Pilipili, Davide-Christelle Sanvee, Grace Seri pour servir une oeuvre généreuse et engagée.

Au TNS jusqu'au 15 Novembre