jeudi 27 février 2025

Alexandre KANTOROW : félicité et harmonie d'un jeu hors pair au coeur du Philarmonique de Strasbourg

 


C'est un répertoire de choix que celui de cette soirée concert extraordinaire couronnant la présence du pianiste Alexandre Kantorow


Avec l'oeuvre peu connue de Nina Šenk "Shadows of Stillness pour orchestre" une atmosphère inédite se dégage de l'orchestre qui donne l'impression d'une réduction sonore caractéristique. Seule une trompette bouchée se singularise et confère à l'opus une étrange atmosphère de mystère et de suspens. De courte durée, la pièce surprend et interroge une musicalité modale curieuse et intrigante.La Slovène Nina Šenk, marquée par la pandémie, conçoit Shadows of Stillness, œuvre dans laquelle le silence est synonyme d’apaisement mais aussi d’incertitude.


Ludwig van Beethoven
Concerto pour piano n°4 en sol majeur 

Peut-être est-ce son silence intérieur naissant qui conduit Beethoven à composer le Concerto n°4 presque introverti. Au piano, Alexandre Kantorow laisse parler sa liberté intérieure, sa poésie.Et plus encore tant la délicatesse des contraste est vive et affirmée, tant le doigté du pianiste laisse couler et déferler les notes dans une subtilité d'interprétation hors pair. Les trois mouvements sont méconnaissables à l'écoute attentive de toutes ses nuances et délicates intentions de jeu. Beethoven en majesté auréolé des interprètes du Philarmonique de Strasbourg sous la direction d'Aziz Shokhakimov, directeur expérimenté des oeuvres monumentales qui cachent des aspects intimes et secrets révélés sous sa baguette en toute sobriété.Un régal, une félicité que cet accord piano-orchestre qui ne se distinguent plus tant les passages sonores du tumulte à l'accalmie se font précis, rigoureux et subtils.Deux bis généreux et virtuoses viennent couronner la prestation magistrale d'Alexandre Kantorow: un Wagner revisité par Litsz ainsi qu'une courte pièce où s'additionnent virtuosité et musicalité de l'artiste.

Johannes Brahms
Symphonie n°4 en mi mineur

 Pour finir, la Symphonie n°4 de Brahms, construite autour d’un motif initial largement développé, installera une ambiance pathétique poignante.Du pathos magistral pour cette oeuvre qui résonne dans notre inconscient collectif comme un leitmotiv enivrant, enjôleur et capricieux. Des vagues compulsives de sonorités font de l"ouverture, une tempête époustouflante et vivifiante. Les soubresauts de percussions, les cordes au diapason d'une intention d'écriture fulgurante et passionnée contribuent à créer une atmosphère d'ouragan sous-jacent de toute beauté.

Un concert symphonique rare et précieux, une intelligence des nuances de l'interprétation globale, totale et aiguisée.

Aziz SHOKHAKIMOV direction, Alexandre KANTOROW piano  Avec l'Orchestre Philarmonique de Strasbourg

Au PMC Les 26/27 Février

mardi 25 février 2025

"And Here I am" et nulle part ailleurs ! Un refuge pour pour partager la résistance.

 


Vous voulez entendre les artistes et les histoires palestiniennes loin des clichés de l’actualité ? Vous aussi vous avez choisi le théâtre pour tout changer ? Ici vous êtes. 


And Here I am
est le geste de résistance d’Ahmed Tobasi, acteur palestinien et directeur artistique du Freedom Theatre du camp de Jénine en Cisjordanie. Né dans ce même camp, passé par la lutte armée, la prison, l’exil en Norvège, il a finalement choisi le théâtre plutôt que le front pour « rester en vie » et raconter les histoires de son peuple, aussi longtemps que possible. Revisité par l’auteur Hassan Abdulrazzak, Ahmed Tobasi incarne son propre rôle dans cette comédie politique qui donne à voir les luttes, les contradictions et les espoirs d'une jeunesse palestinienne en quête de liberté. Loin des clichés et des images toutes faites, c’est la recherche de la vraie vie qui est en jeu, le droit à prendre la parole et à se choisir un avenir.  


Et c'est fort édifiant !Plus d'une heure durant sur les chapeaux de roue, un homme, seul, s'expose à nos regards friands de ses péripéties nombreuses, tempétueuses, à rebondissement constant. Pas une minute de répit, si ce n'est des instants de danse et de grâce, des intermèdes brefs cisaillant le rythme de ce one man show qui tiendrait presque du cabaret ou du standup. Malice, bonhomie pour cette parade sans fioriture qui parle d'un être en prise avec une réalité politique, territoriale qui l'absorbe jour et nuit, le hante et l'habite sans cesse. Son destin est remarquable et l'on ne peut que saluer l'audace et la prise de risque qu'il assume sans coup férir. Une performance qu'il mène à toute blinde dans un rythme infernal où les sons, les bruits du dehors nous rappellent qu'il est prisonnier, captif de son histoire et de ses origines. Mais qu'il peut être épris d'une belle à qui il fait envoyer des petits papiers par l'intermédiaire d'un proche. Romantisme et engagement ne sont pas contradictoires et cette fameuse interprétation nous rappelle qu'il est possible d'oser pour cerner une question brulante le truchement de l'humour et de la distanciation. Ahmed Tobasi parle une langue musicale chantante et vociférante à souhait, en direct ou au micro, toujours en proie à un ou deux personnages qui se donnent la réplique. L'acteur est volubile, bouge à merveille, se balance sur le sol avec avidité et sursaute avec allégresse, joie et enthousiasme.C'est vif, rebondissant et conduit à une compréhension et une empathie certaine avec lui. Il gambade et ne badine cependant pas avec une actualité qui le submerge sans l'étouffer, qui lui inspire une ode à la Palestine loin d'un discours militant obscurantiste. Alors la sympathie opère et l'on pardonne à ce prisonnier autant qu"au comédien immigré dans le nord de l'Europe, son trop plein d'énergie. La mise en scène des textes de Hassan Abdulrazzak signée Zoe Lafferty couronne cet hommage très humain à la condition palestinienne. Sobriété et sobre ébriété pour cet opus singulier qui tient autant de la comédie-parodie que du drame. Les bruitages extraordinaires pour nous projeter au delà de ce huis clos en solitaire et nous faire franchir les murailles du son.


[Texte] Hassan Abdulrazzak[Inspiré de la vie et avec] Ahmed Tobasi[Traduction en arabe] 
Eyas Younis [Traduction en français] Juman Al-Yasiri
[Mise en scène] 
Zoe Lafferty

[Scénographie et costumes] Sarah Beaton [Son] Max Pappenheim [Lumière] Jess Bernberg, Andy Purve [Chorégraphie] Lanre Malaolu [Régie] Robyn Cross [Coach vocal] Amiee Leonard [Technicien Moody Kablawi[Production] Oliver King for Developing Artists 

Production déléguée Sens Interdits with Artists On The Frontline 
Avec le soutien de Qattan Foundation, AFAC, ONDA – Office National de Diffusion Artistique

Au TNS jusqu'au 7 MARS

 

"La Chasse des anges" : l'école du TNS ravit, "aux anges": une image peut en cacher une autre.....Contes et légendes photographiques

 


La Chasse des anges explore l'image photographique, comme croisement entre réel et imaginaire. À travers les écrits et pensées de Susan Sontag, Robert Capa, Hervé Guibert, Henri Cartier-Bresson ou Julie Héraclès, le spectacle questionne ce que révèle ou dissimule une image et nous interroge : que voyons-nous réellement ? Il souhaite donner à voir et à entendre des récits, des fragments de vie qui habitent et gravitent autour de cette image, mais aussi des absences, des mystères qui la constituent tout autant. L'imagination devient alors un outil pour combler les manques, une légende pour réinventer le réel. 


La photo, c'est la chasse, c'est l'instinct de chasse sans l'envie de tuer. C'est la chasse des anges ... On traque, on vise, on tire, et Clac ! Chris Marker
 
 Belle initiative que cet opus indéfinissable qui mesure l'impact des images de guerre, celles que nous voyons dans les magazines, expositions, livres ou actualités sur tout support. S'habituer à regarder l'horreur, à côtoyer ce que des grands reporters ont fréquenté durant leurs expéditions non "punitives" au regard de la paix? Là semble être la question fondamentale que se posent et se relancent les personnages incarnant de grands photographes de guerre: que des hommes exceptés Susan Sontag, celle qui pose les choses dès le départ sous forme d'interview questions-réponses. Au public, autant qu'à ses collaborateurs, partenaires ou collègues de travail, de mission. Sur un plateau sobrement meublé de chaises et bureau d'agence de presse, nous voici à Magnum ou ailleurs dans ces lieux de réunion après des expéditions, reportages sur les hommes qui font et subissent les affrontements. Les sept comédiens incarnent les rôles de ces grands artistes sans clichés ni focales sur quoi que se soit de morbide. Les faits, la réalité est-elle montrable et comment? 


C'est un métier, une tâche indispensable mais comment ne pas devenir indifférent, habitué, blasé ou saturé de ces images: imago qui envahissent la scène sociétale dans le blindage, la saturation,  ou l'overdose de snipers assassins...Zoom sur la responsabilité, cadrage sur ce qui fait de l'argentique une réalité du moment, sur le diaphragme de la vie et le déclic de la prise de point de vue. Ici la "légende" est plus qu'une histoire c'est ce qui commente de façon légitime une image qui pourrait avoir plusieurs sens. Alors la "vérité ou rien", l'authenticité loin du flou artistique et des effets plasticiens de l"art photographique contemporain. 


La photo de reportage s'inscrit dans le récit possible de l'Histoire des peuples et des nations. La trafiquer, la modifier fut chose faite et demeure aujourd'hui comme leurre et mensonge...Sarah Cohen s'empare du sujet avec détermination, sobriété et accompagnée d'excellents comédiens. A qui le talent, la présence et l'ingéniosité ne manquent pas. Deux heures durant, le courant passe et l'information devient pour nous source de questionnement autant que de certitudes.  
 
Accompagné d'un petit livret conducteur, fiche de salle comme un négatif très positif: un toit, un mur, une prison, un camp...C'est "le point de vue du gras" de Nicephore Niepce...
 

Seul le photo-graphe en traduira le sens: à nous de nous faire aussi notre histoire et de lui attribuer une "légende"...La promotion 48 de l'école du TNS regorge de jeunes recrues talentueuses, solidaires et fédérées au coeur d'un métier qui fait corps et graphie , en bonne compagnie; cum- panis partageux! La scénographie en ombre portées ou silhouettes noir et blanc est scintillante comme du papier photo et les poses lascives de ces jeunes artistes parfois sont  aux antipodes de ce que l'on pourrait imaginer de ces soldats de l'information imagée.Paradoxe que ces "dandys", "beaux parleurs" ou véritables militants de l'art au service de la réalité.Y- a pas photo, ils sont une révélation...


[Texte]
Librement adapté des écrits de Susan Sontag, Robert Capa, Hervé Guibert, Julie Héraclès et des entretiens d'Henri Cartier-Bresson et George Rodger

[Mise en scène] Sarah Cohen
[Dramaturgie et collaboration artistique] Louison Ryser
[Scénographie] Nina Bonnin
[Costumes] Noa Gimenez
[Lumière] Marie-Lou Poulain
[Son] Macha Menu
[Régie générale, plateau et vidéo] Corentin Nagler


Avec 

Miléna Arvois - Susan Sontag
Aurélie Debuire - Inge Morath
Ömer Alparslan Koçak - George Rodger 
Steve Mégé - Henri Cartier-Bresson 
Nemo Schiffman - Robert Capa 
Ambre Shimizu - Eve Arnold et Une femme 
Bilal Slimani – David Seymour, dit «  Chim  » et Ernest Hemingway
Costumes et décors réalisés dans les ateliers du TnS.

Sarah Cohen et l'équipe tiennent à remercier Clarisse Bourgeois et l'Agence Magnum pour leur confiance, et Clara Bouveresse.

Au TNS GRUBER jusqu'au 1 MARS 

Le Point de vue du Gras est la première photographie1,note 1, permanentenote 2, réussienote 3 et connuenote 4 de l'histoire de la photographie. Elle est l'œuvre et l'invention de l'inventeur français Nicéphore Niépce qui réalise la prise de vue en 1827 de sa maison de Saint-Loup-de-Varennes près de Chalon-sur-Saône en Saône-et-Loire.