mercredi 5 mars 2025

"Moé moé boum boum" Kaori Ito & Juliette Steiner en balade: yeux dans les yeux à fleur de peau!

 


Les enfants sont invités à prendre place dans un espace qui rappelle une clairière ou un campement, composé d’étang et de tentes dans lesquels ils et elles pourront s’installer.

Arrivent deux créatures, mi-humains mi-Yokai. Amies, ennemies ? Alors que chacune tente d’implanter son campement, un drôle de jeu se met en place. Jeu d’imitation ? De transformation ? Parviendront elles à s’entendre et à créer quelque chose ensemble ?

Petit à petit, Marvin Clech, danseur qui mélange le contemporain au krump, et Naëma Tounsi, comédienne et chanteuse aussi à l’aise chez Mozart qu’Ella Fitzgerald, vont s’apprivoiser pour mêler leurs imaginaires pour finir par inviter les enfants à prendre part à leur joyeuse ronde du changement.



Pour leur première création pour les tout·e-petit·es, les metteuses en scène Juliette Steiner et Kaori Ito utilisent le plaisir de la transformation magique pour donner vie à un rite carnavalesque. La joie de devenir un monstre, un animal, un objet, une plante ou un être hybride, repose sur la liberté de bouger, chanter et danser. S’élabore ainsi collectivement la possibilité de renverser les perspectives, de réinventer un monde de tous les possibles où le changement est source de joie, de rire et d’espoir.

 

Les bambins tout juste sortis de la crèche sont rassemblés autour d'un cercle ovoïde magique illuminé, serpentin et petite clôture pour ne pas dépasser les limites du jeu des acteurs. Public chatoyant comme seront les lumières et costumes de ce spectacle de poche, petite mise en boite charmante de nos désirs d'évasion. En route, sac à dos et chaussettes à doigts de pieds bien confortable pour une virée, une escapade au pays de l'inconnu. Une jeune exploratrice part à la découverte du pays des sons et sonorités, tout en chantant merveilleusement et tout doucement des extraits de mélodies enchanteresses De quoi bercer et conquérir ces petits bouts de choux, graines de jeune public à l'écoute.Elle séduit par un jeu sobre et malicieux, complice des enfants assis à hauteur de sol le temps de se régaler de sa voix bien timbrée, juste et soutenue sans faille. C'est joli et charmeur à souhait. De son grand sac à dos, elle sort une belle couverture de survie, toile dorée et d'un sommeil profond se réfugie dans ses rêves. Le temps qu'un espiègle complice arrive, dansant de ses mains un vrai ballet de signes secrets rejoigne son territoire et s'y installe. Le bonheur de leurs évolutions se fait d'emblée ressentir parme ces trois petits panneaux amusants de signalisation: directions diverses et petits yeux malins qui vous regardent...Des fleurs sortent du sac de cet espiègle créature aux cheveux bouclés, à la ligne épurée, aux gestes précis et dansant à souhait. La scénographie participant à cette atmosphère joyeuse de rêves et autres pérégrinations quasi burlesques. Et toujours accessibles en diable, bruits et sons ponctuant les intrigues et la narration corporelle de nos deux protagonistes. Des yeux partout pour mieux voir le monde et s'en réjouir. Juliette Steiner, en plasticienne avisée fait vivre et vibrer les objets et accessoires qui deviennent personnages et compères. La danse incarnée par  le talentueux Marvin Clech, la voix par Naema Tounsi font mouche et touchent, sensibles instruments d'une épopée singulière. C'est un monstre majestueux qui fait aussi partie de la fête, de cette cérémonie, rituel sauvage. Un simple sac à dos se métamorphose en bestiole comme dans une parade de carnaval ou de nouvel an chinois! Très belle et inventive forme qui nous décale et nous renvoie à un univers onirique de toute beauté. Chaleur des couleurs, des tissus déployés, esthétique lumineuse et féerique à souhait. Un espace de jeu chorégraphié par Kaori Ito qui révèle une fois de plus son amour et respect pour la petite enfance avec intelligence et sans concession. Le bonheur partagé avec les petits et grands à l'issue du spectacle, tendrement encadré par des adultes dont la part d'enfance ne s'est pas retirée!On s'y colle des yeux en sticker pour ne rien rater et découvrir le monde fabuleux d'un pays de cocagne où règnent en majesté tendresse, lumières et félicité. On y joue à cache-cache, apparition-disparition comme dans un conte de fées! Un ravissement enchanteur.

Au TJP  jusqu'au 16 Mars dans le cadre des "micro giboulées"

coproduction  TJP CDN & Cie Quai n°7 


 

Kiyan Khoshoie Cie KardiaK "Wannabe" : mimétisme et construction intime

 


Wannabe Suisse solo création 2024

Après un Grand Écart réjouissant l’an passé, à la croisée des genres, entre théâtre et one man show, stand up, danse et performance, Kiyan Khoshoie poursuit le questionnement de sa pratique. Il replonge avec Wannabe dans sa chambre d’enfant et sa fascination pour les clips de MTV. Ce moment charnière où l’on s’invente en copiant les modèles qui nous fascinent. Formé à la Rotterdam Dance Academy aux Pays-Bas, le chorégraphe suisso-iranien explore les traces de cette époque sur fond de titres iconiques : Rock your body de Justin Timberlake, Never Ever des All Saints ou encore Who do you think you are des Spice Girls. Il renoue en solo avec les émotions qui le saisissaient en copiant ces danses, tout en nous offrant les clés intimes de sa somathèque : ce qui, précisément, l’animait et le poussa à la créativité. Chacun est ainsi renvoyé au dialogue intime avec l’enfant qu’il a été, invité à le regarder avec ses yeux et son cœur d’adulte pour s’autoriser, de nouveau, à jouer.


A Pole Sud les 4 et 5 Mars

samedi 1 mars 2025

"La Forteresse": Groupe 48 TNS : une petite humanité en miettes.

 


Espace Klaus Michael GrüberÉcole du TNS
 On peut retracer le chemin du loup à la perdrix dans la boue à partir des empreintes qu’ils y laissent. Il ne leur viendrait jamais à l’esprit de les effacer. Les hommes, eux, fabriquent des traces qu’il est parfois bon de remettre sur le chemin qui les a vu naître. Imaginons un pays qui, cherchant à se débarrasser de ses « inutiles », ferme progressivement ses établissements psychiatriques. Imaginons une clinique où sont déployés au quotidien les principes de la psychothérapie institutionnelle. Ici, comme à St Alban ou à La Borde, on soigne l’institution pour soigner les malades.

Ici, des hommes et des femmes ont fait tomber les murs pour faire de ce lieu clos un lieu de passage, pour faire d’un lieu de soin, un lieu de vie. Cet îlot est menacé par la montée des eaux : sa fermeture depuis longtemps redoutée est annoncée. Comment prendre soin jusqu’au bout de ce qui s’est vécu là ?  Les utopies doivent-elles nécessairement mourir pour renaître ailleurs ?


"Les nouveaux trésors": bruts de coffrage.

Le spectacle débute par une déambulation dans une exposition : 3 entrées possibles avant le début de la représentation en salle. Exposition des trésors retrouvés à l'intérieur de l'hopital psychiatrique désaffecté: un véritable panel d'Art  Brut à l'état brut! Collection improbable qui va sans doute inspirer notre bande d'écrivains en prise avec un récit qu'ils inventent de toute part avec brio. On déambule à loisirs dans ce cabinet de curiosités pour y puiser déjà quelques bribes des futurs propos de la pièce: sculptures énigmatiques en tête  de gondole qui fait la une du flyer: tête d'oiseau, bateau ondulé, tôle froissée rouge sang...Tout est ici facteur et source d'interprétations diverses: on entre dans le monde de la différence, de la singularité et de l'identité avec une judicieuse clef de lecture.

On pénètre l'espace du jeu: le plateau sombre dévoile une sorte d'arche, porche qui dévoile un intérieur: celui d'une salle qui servira à bien des épisodes comme espace de jeu: cuisine, établi, salle à manger. Bref, multi services et fonctions fort judicieux. Et ici va se mouvoir une petite tribu, famille de résidents et soignants d’hôpital psychiatrique. Jamais clinique ni froid, plutôt très humanisé, peuplé de six personnages bien distincts. Et c'est cette diversité de jeu, d'attitudes, postures qui fait la richesse de l'interprétation des jeunes comédiens. 

Deux heures durant ils s'adonnent à incarner une humanité complexe, faite de rituels, de tocs, de manies toujours très finement et judicieusement observées puis vécues. Histoires de résidents mises en texte, en bouche avec subtilité, sobriété et grand respect. Pas de caricature pour ces princes qui se meuvent dans une grande délicatesse de mouvance et de diction. Suzie qui fait "son manège"comme Petit Pierre, Eric qui a chuté et tenté de "rebondir" dans la vraie vie, Angèle qui de patiente devient soignante, Sylvain aussi entre autre, tous sont fort attachants, sensibles, authentiques. Talent de comédien à l'appui, cette famille se constitue devant nous, vit ses instants quotidiens dans la sérénité et le charme d'une institution à l'écoute.Quand vient l'idée d'une "fête des larmes" c'est toute une organisation qui se met en place avec les codes et rituels de circonstances. Pourtant il y aura des surprises, de la transgression, des écarts et de la fantaisie. Les pleurs seront recueillies dans des seaux! C'est palpitant, édifiant et la gente psychiatrique décortiquée de façon savante, renseignée, documentée avec véracité. Jusqu'aux postures et attitudes, poses et déambulations sur le plateau. Deux scènes croustillantes : celle du sandwich aux beurres et des miettes de pain égrenées sur la table du festin, celle des boulettes de pâte jetées comme des confettis sur le sol..Belle observations des us et coutumes, comportements "déséquilibrés".


Et cette valse entreprise par deux protagonistes qui libèrent leurs angoisses dans les bras l'un de l'autre, virevoltant en pleine liberté! Maison de fous, "Bonjour l'Asile" ou juste "Un p'tit truc en plus", le sujet est brûlant d'actualité et toujours tenu en total respect.On se souvient de la trilogie documentaire signée
Nicolas Philibert qui nous embarquait en immersion “Sur L’Adamant”, au plus près des soignés et des soignants entre autre.

La scénographie judicieuse enveloppe le tout et permet à chacun de trouver son rôle, ses marques. Costumes ingénieux et appropriés aux fonctions, déguisements et autre variantes.
Une expérience de théâtre très aboutie, bien entourée et conseillée par de multiples partenaires: un cum-panis à partager absolument.


Spectacle de et avec les élèves artistes du Groupe 48 

[Mise en scène] Elsa Revcolevschi
[Dramaturgie] Vincent Arot (intervenant extérieur)
[Scénographie] Mathilde Foch 
[Costumes] Salomé Vandendriessche
[Lumière] Clément Balcon
[Son] Paul Bertrand
[Régie plateau et générale] Mathis Berezoutzky Brimeur 

De et avec  
Judy Mamadou Diallo - Sylvain 
Thomas Lelo - François 
Gwendal Normand Mathias
Blanche Plagnol Angèle 
Maria Sandoval - Freudellina
Apolline Taillieu Suzie

Au TNS Gruber jusqu'au 1 MARS